Page images
PDF
EPUB

Comme il le reconnoit.

LEONOR.

Pardonnez-moy, Madame,

Si je fors du respect pour blafmer cette flame.
Une grande Princeffe à ce point s'oublier,
Que d'admettre en fon cœur un fimple Cavalier!
Et que diroit le Roy? que diroit la Castille?
Vous fouvient-il encor de qui vous estes Fille?
L'INFANTE.

Il m'en fouvient fi bien que j'epandray mon fang,
Avant que je m'abaiffe à dementir mon rang.
Je te répondrois bien que dans les belles ames,
Le feul merite a droit de produire des flames,
Et fi ma paffion cherchoit à s'excufer,

Mille exemples fameux pourroient l'autoriser ;
Mais je n'en veux point suivre où ma gloire s'engage,
La furprife des fens n'abat point mon courage,
Et je me dis toûjours qu'eftant Fille de Roy,
Tout autre qu'un Monarque eft indigne de moy.
Quand je vis que mon cœur ne fe pouvoit défendre,
Moy-mefme je donnay ce que je n'ofois prendre,
Je mis au lieu de moy Chimene en fes liens,
Et j'allumay leurs feux pour éteindre les miens.
Ne t'étonne donc plus fi mon ame gefnée
Avec impatience attend leur hyménée.
Tu vois que mon repos en dépend aujourd'huy,
Si l'amour vit d'espoir il perit avec luy.
C'eft un feu qui s'éteint faute de nourriture,
Et malgré la rigueur de ma triste avanture,
Si Chiméne a jamais Rodrigue pour Mary,
Mon espérance eft morte, & mon esprit guéry.
Je fouffre cependant un tourment incroyable;
Jusques à cet hymen Rodrigue m'eft aimable,
Je travaille à le perdre, & le perds à regret,
Et de là prend fon cours mon déplaifir fecret.
Je vois avec chagrin que l'amour me contraigne
A pouffer des foûpirs pour ce que je dédaigne.
Je fens en deux partis mon esprit divifé;
Si mon courage eft hout, mon coeur eft embrafé.
Cét hymen m'eft fatal, je le crains & fouhaite,
Je n'ofe en espérer qu'une joye imparfaite,

Ma

Magloire & mon amour ont pour moy tant d'appas, Que je meurs s'il s'achève, où ne s'achève pas.

LEONOR.

Madame, après cela je n'ay rien à vous dire,
Sinon que de vos maux avec vous je foûpire;
Je vous blämois tantoft, je vous plains à prefent.
Mais puisque dans un mal fi doux & fi cuifant,
Voftre vertu combat & fon charme & fa force,
En repouffe l'affaut, en rejette l'amorce,
Elle rendra le calme à vos esprits flotans.
Espérez donc tout d'elle, & du fecours du temps,
Espérez tout du Ciel; il a trop de justice
Pour laiffer la vertu dans un fi long fupplice.

L'INFANT E.

Ma plus douce espérance eft de perdre l'espoir.

LE PAGE.

Par vos commandemens Chiméne vous vient voir. L'INFANTE à Léonor.

Allez l'entretenir en cette galerie.

LEONOR.

Voulez-vous demeurer dedans la réverie ?

L'INFANTE.

Non, je veux feulement, malgré mon déplaifir, Remettre mon visage un peu plus à loifir.

Je vous fuy. Juste Ciel, d'où j'attens mon reméde, Mets enfin quelque borne au mal qui me poffede, Affeure mon repos, affeure mon honneur.

Dans le bonheur d'autruy je cherche mon bonheur, Cét hyménée à trois également importe.

Rens fon effet plus prompt, ou mon ame plus forte; D'un lien conjugal joindre ces deux Amans,

C'eft brifer tous mes fers, & finir mes tourmens. Mais je tarde un peu trop; allons trouver Chimene, Et par fon entretien foulager noftre peine.

SCENE III.

LE COMTE, D. DIEGUE.

LE COMT E.

ENfin vous l'emportez, & la faveur du Roy Vous éleve en un rang qui n'eftoit dû qu'à moy, A. 4.

[ocr errors]

Il vous fait Gouverneur du Prince de Castille.

D. DIEGUE.

Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille Montre à tous qu'il eft juste, & fait connoiftre affez, Qu'il fçait récompenfer les fervices paflez.

LE COMTE.

(sommes ; Pour grands que foient les Rois, ils font ce que nous Ils peuvent fe tromper comme les autres hommes, Et ce choix fert de preuve à tous les Courtisans Qu'ils fçavent mal payer les fervices prefens.

D. DIEGUE.

Ne parlons plus d'un choix dont voftre esprit sirrite,
La faveur l'a pu faire autant que le mérite;
Mais je dois ce respect au pouvoir abfolu,
De n'examiner rien, quand le Roy la voulu.
A l'honneur qu'il m'a fait ajoûtez-en un autre,
Joignons d'un facré noeud ma maison à la vostre,
Rodrigue aime Chiméne, & ce digne sujet
De fes affections eft le plus cher Objet.
Confentez-y, Monfieur, & l'acceptez pour Gendre.
LE COMTE.

A des partis plus haurs Rodrigue doit prétendre,
Et le nouvel éclat de voftre Dignité
Luy doit enfler le coeur d'une autre vanité.

Exercez-la, Monfieur, & gouvernez le Prince,
Montrez-luy comme il faut regir une Province,
Faire trembler par tout les Peuples fous fa loy,
Remplir les bons d'amour,& les mechans d'effroy.
Joignez à ces vertus celles d'un Capitaine ;
Montrez-luy comme il faut s'endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars fe rendre fans égal,
Paffer les jours entiers & les nuits à cheval,
Repofer tout armé, forcer une muraille,
Et ne devoir qu'à foy le gain d'une bataille.
Instruifez-le d'éxemple, & rendez-le parfait,
Expliquant à fes yeux vos leçons par l'effet.
D. DIEGUE.

Pour s'instruire d'exemple en dépit de l'envie,
Il lira feulement l'hiftoire de ma vie.
Là, dans un long tiffù de belles actions,
Il verra comme il faut dompter des Nations,

At

Attaquer une Place, ordonner une Armée,
Et fur de grands exploits baftir fa renommée.

LE COMTE.

Les exemples vivans font d'un autre pouvoir,
Un Prince dans un livre apprend mal fon devoir.
Et qu'a fait après tout ce grand nombre d'années,
Que ne puiffe égaler une de mes journées?

Si vous fuftes vaillant, je le fuis aujourd'huy,
Et ce bras du Royaume eft le plus ferme appuy,
Grenade, & l'Arragon tremblent quand ce fer brille,
Mon nom fert de rempart à toute la Castille,
Sans moy vous pafferiez bien-:oft fous d'autres loix,
Et vous auriez bien-toft vos Ennemis pour Rois.
Chaque jour,chaque instat, pour rehauffer ma gloire,
Met lauriers fur lauriers, victoire fur victoire,
Le Prince à mes coftez feroit dans les combats
L'eflay de fon courage à l'ombre de mon bras.
Il apprendroit à vaincre en me regardant faire,
Et pour répondre en hafte à son grand caractére,
Il verroit....

D. DIEGUE.

Je le fçay, vous fervez bien le Roy.
Je vous ay vû combatre & commander fous moy.
Quand l'âge dans mes nerfs a fait couler fa glace,
Voftre rare valeur a bien remply ma place;
Enfin, pour épargner les discours fuperflus,
Vous eftes aujourd'huy ce qu'autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence
Un Monarque entre nous met quelque difference.
LE COMTE.

Ce que je meritois, vous l'avez emporté.

D. DIEGUE.

Qui l'a gagné fur vous l'avoit mieux mérité.
LE COMTE.

Qui peut mieux l'exercer en eft bien le plus digne.

D. DIEGUE.

En eftre refufé n'en eft pas un bon figne.

LE COMTE.

Vous l'avez eu par brigue, eftant vieux Courtisan.

D. DIEGUE.

L'éclat de mes hauts faits fut mon feul partifan.

A S

LE

LE COMTE.

Parlons-en mieux, le Roy fait honneur à voftre âge.

D. DIEGUE.

Le Roy, quand il en fait, le mesure au courage.
LE COMTE.

Et par là cét honneur n'eftoit dû qu'à mon bras.
D. DIEGUE.

Qui n'a pû l'obtenir ne le méritoit pas.

LE COMTE.

Ne le meritoit pas! moy?

D. DIEGUE.

Vous.

LE COMTE.

Ton impudence,

Teméraire Vieillard, aura fa récompenfe.
Il luy donne un fouflet.

D. DIEGUE mettant l'épée à la main.
Achéve, & prens ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vû rougir fon front.

LE COMTE.

Et que penfes-tu faire avec tant de foibleffe?

D. DIEGUE.

O Dieu! ma force ufée en ce befoin me laifle!
LE COMTE.

Ton épée eft à moy, mais tu ferois trop vain,
Si ce honteux trophée avoit chargé ma main.
Adieu, fay lire au Prince, en dépit de l'Envie,
Pour fon instruction l'histoire de ta vie.
D'un infolent discours ce juste châtiment
Ne luy fervira pas d'un petit ornement.

SCENE I V.

D. DIEGUE.

Rage! ô defefpoir! ô vieilleffe ennemie! N'ay-je donc tant vécu que pour cette infamie, Et ne fuis-je blanchy dans les travaux guerriers, Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers? Mon bras qu'avec respect toure l'Espagne admire, Mon bras qui tant de fois a fauvé cet Empire, Tant de fois affermy le trône de fon Roy,

Tra

« PreviousContinue »