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Va de noftre combat l'entretenir
pour moy,
De la part du Vainqueur luy porter ton épée
Sire, j'y fuis venu, cét objet l'a trompée,
Elle m'a crû vainqueur me voyant de retour,
Et foudain fa colére a trahy fon amour,
Avec tant de transport & tant d'impatience,
Que je n'ay pû gagner un moment d'audience.
Pour moy, bien que vaincu, je me repute heureux,
Et malgré l'intéreft de mon coeur amoureux
Perdant infiniment, j'aime encor ma défaite,
Qui fait le beau fuccès d'une amour fi parfaite.
D. FERNAND.

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Ma Fille, il ne faut point rougir d'un fi beau fêu,
Ny chercher les moyens d'en faire un defaveu;
Une loüable honte en vain t'en follicite,

Ta gloire eft dégagée, & ton devoir eft quitte,
Ton Pére eft fatisfait, & c'étoit le vanger
Que mettre tant de fois ton Kodrigue en danger.
Tu vois comme le Ciel autrement en dispofe;
Ayant tant fait pour luy fay pour toy quelque chofe,
Et ne fois point rebelle à mon commandement,
Qui te donne un Epoux aimé fi chérement,

SCENE VII.

D. FERNAND, D. DIEGUE, D. ARIAS, D. RODRIGUE, D. ALONSE, D. SANCHE> L'INFANTE, CHIMENE, LEONOR. ELVIRE

L'INFANTE.

SEche tes pleurs, Chimene, & reçoy fans tristeffe Ce généreux Vainqueur des mains de ta Princeffe.

D. RODRIGUE.

Ne vous offenfez point, Sire, fi devant vous
Un respect amoureux me jette à fes genoux.

Je ne viens point icy demander ma conquefte,
Je viens tout de nouveau vous apporter ma tefte,
Madame, mon amour n'emploira point pour moy,
Ny la loy du combat, ny le vouloir du Roy.
Si tout ce qui s'eft fait eft trop peu pour un Pere,
Dites par quels moyens il vous faut fatisfaire.

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Faut

Faut-il combattre encor mille & mille Rivaux,
Aux deux bouts de la terre étendre mes travaux,
Forcer moy feul un camp, mettre en fuite une Armée,
Des Héros fabuleux paffer la renommée ?
Si mon crime par là fe pent enfin laver,

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J'ofe tout entreprendre, & puis tout achever.
Mais fi ce fier honneur, toûjours inexorable,
Ne fe peut appaifer fans la mort du coupable,
N'armez plus contre moy le pouvoir des Humains
Ma tefte eft à vos pieds, vangez-vous par vos mains.
Vos mains feules ont droit de vaincre un invincible,
Prenez une vangeance à tout autre impoffible;
Mais du moins que ma mort fuffife à me punir,
Ne me banniffez point de voftre fouvenir,
Et puisque mon trépas conferve voftre gloire,
Pour vous en revancher confervez ma mémoire,
Et dites quelquefois, en déplorant mon fort,
S'il ne m'avoit aimée il ne feroit pas mort.

CHIMENE.

Reléve-toy, Rodrigue. Il faut l'avouër, Sire,
Je vous en ay trop dit, pour m'en pouvoir dédire,
Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr,

Et quand un Roy commande, on luy doit obéir.
Mais à quoy que déja vous m'ayez condamnée,
Pourrez-vous à vos yeux fouffrir cét hyménée,
Et quand de mon devoir vous voulez cet effort,
Toute voftre justice en eft-elle d'accord?
Si Rodrigue à l'Etat devient fi néceffaire,
De ce qu'il fait pour vous doy-je eftre le falaire,
Et me livrer moy-mefme au reproche éternel
D'avoir trempé mes mains dans le fang paternel?

D. FERNAND.

Le temps affez fouvent a rendu légitime

Ce qui fembloit d'abord ne fe pouvoir fans crime.
Rodrigue t'a gagnée, & tu dois eftre à luy;
Mais quoy que la valeur t'ait conquife aujourd'huy,
Il faudroit que je fuffe ennemy de ta gloire
Pour luy donner fi-toft le prix de fa victoire.
Cet hymen différé ne rompt point une loy,
Qui fans marquer de temps luy destine'ta foy.
Prens un an, fi tu veux, pour effuyer tes larmes.

Ro

Rodrigue, cependant il faut prendre les armes. Après avoir vaincu les Mores fur nos bords, Renverfé leurs deffeins, repouffé leurs efforts, Va jusqu'en leur pays leur reporter la guerre, Commander mon Armée, & ravager leur terre. A ce nom feul de Cid ils trembleront d'effroy, Ils t'ont nommé Seigneur, & te voudront pour Roy.

Mais parmy tes hauts faits fois-luy toûjours fidelle, Reviens-en, s'il fe peut, encor plus digne d'elle, Et par tes grands exploits fay-toy fi bien prifer, Qu'il luy foit glorieux alors de t'épouser.

D. RODRIGUE,

Pour poffeder Chimene, & pour vostre service, Que peut-on in'ordonner que mon bras n'accompliffe?

Quoy qu'abfent de fes yeux il me faille endurer,
Sire, ce m'eft trop d'heur de pouvoir espérer.
D. FERNAND.

Espére en ton courage, espére en ma promeffe,
Et poflédant déja le coeur de ta Maîtreffe,
Four vaincre un point d'honneur qui combat contre
toy,

Laiffe faire le temps, ta vaillance, & ton Roy.

Fin du cinquiéme & dernier Alte.

EXAMEN

DU CI D.

2

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E Poëme a tant d'avantages du cofté du Sujet, & des penfees brillantes dont il eft femé, que la plupart de fes Auditeurs n'ont pas voulu voir les defauts de fa conduite ont laiffé enlever leurs fuffrages au plaifir que leur. a donné fa reprefentation. Bien que ce foit celuy de mes Ouvrages réguliers où je me fuis permis le plus de licence, il paffe encore pour le plus beau auprès de ceux qui ne s'attachent pas à la derniére févérité des Régles, & depuis cinquante ans qu'il tient fa place fur nos Theatres, P'Histoire ny l'effort de l'imagination n'y ont rien fait voir qui en ait effacé l'éclat. Auffi a-t'il les deux grandes conditions que demande Aristote aux Tragédies parfaites, & dont l'affemblage fe rencontre fi rarement chez les Anciens & les Modernes. Il les affemble mefme plus fortement, & plus noblement, que les espéces que pofe ce Philofophe. Une Maitreffe que fon devoir force à poursuivre la mort de fon Amant qu'elle tremble d'obtenir, a les paffions plus vives & plus allumées, que tout ce qui peut fe paffer entre un Mary & fa Femme, une Mére & fon Fils, un Frére &fa Saur; & la haute vertu dans un naturel fenfi-ble à ces paffions, qu'elle dompte fans les affaiblir, & à qui elle laiffe toute leur force pour en triompher plus glorieufement, a quelque chofe de plus touchant plus élevé, & de plus aimable, que cette médiocre bonté, capable d'une foibleffe & mefme d'un crime, oùs nos Anciens étoient contraints d'arréter le caractére le

de

plus parfait des Rois & des Princes dont ils faifoient

leurs

leurs Héros, afin que ces taches & ces forfaits défigu rant ce qu'ils leur laifoient de vertu, s'accommodaffent au gouft & aux fouhaits de leurs Spectateurs, & fortifiaßent l'horreur qu'ils avoient conceuë de leur domination, & de la Monarchie.

Rodrigue fuit icy fon de voir fans rien relafcher de fa paffion. Chiméne fait la mefme chofe à son tour, fans laiffer ébranler fon desein par la douleur où elle fe voit abimée par la; & fi la prefence de fon Amant luy fait faire quelque faux pas, c'est une gliẞade dont elle fe releve à l'heure mesme, & non feulement elle connoît fibien fa faute qu'elle nous en avertit; mais elle fait un prompt defaveu de tout ce qu'une veuë fi chere luy a på arracher. Il n'est point besoin qu'on luy reproche qu'il luy eft honteux de fouffrir l'entretien de fon Amant après qu'il a tué fm Pére; elle avoue que c'est la feule prife que la médifance aura fur elle. Si elle s'em-. porte jusqu'à luy dire qu'elle veut bien qu'on fçache qu'elle l'adore & le pourfuit, ce n'eft point une résolution fi ferme, qu'elle l'empefche de cacher fon amour de tout fon pouvoir lors qu'elle eft en la préfence du Roy. S'il luy échape de l'encourager au combat contre Don Sanche par ces paroles,

Sors vainqueur d'un combat dont Chiméne eft le prix,

elle ne fe contente pas de s'enfuir de honte au mefme moment; mais fi-toft qu'elle eft avec Elvire, à qui elle ne déguife rien de ce qui fe paße dans fon ame, & que la veuë de ce cher objet ne luy fait plus de violence, elle forme un fouhait plus raisonnable, qui fatisfait fa vertu & fon amour tout enfemble, & demande au Ciel que le combat fe termine,

Sans faire aucun des deux ny vaincu, ny vainqueur.

Si elle ne diffimule point qu'elle panche du cofté de Rodrigue, de peur d'eftre à D. Sanche, pour qui elle a de l'averfion, cela ne detruit point la protestation

qu'el

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