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LE CID,

TRAGEDIE.

P. Corn, II. Partie,

A

Ac

ACTEURS.

D. FERNAND, premier Roy de Castille.

D. URRAQUE, Infante de Castille.

D. DIEGUE, Pére de D. Rodrigue.

D. GOMES, Comte de Gormas, Pére de Chiméne.

D. RODRIGUE, Amant de Chiméne.

D. SANCHE, Amoureux de Chimene.

D. ARIAS,

}Gentils-hom

Gentils-hommes Castillans.

D. ALONSE, S

CHIMENE, Fille de D. Gomes.

LEONOR, Gouvernante de l'Infante.
ELVIRE, Gouvernante de Chimene.

UN PAGE de l'Infante.

La Scéne eft à Séville.

LE

TRAGEDIE.

ACTE I.

SCENE PREMIERE.

CHIMENE, ELVIRE.

CHIMENE.

Lvire, m'as-tu fait un rapport bien fin

cere?

(re!

Ne déguises-turien de ce qu'a dit monPe

ELVIRE.

Tous mes fens à moy-mefine en font encor charmez,
Il estime Rodrigue autant que vous l'aimez,
Et fije ne m'abufe à lire dans fon ame,
Il vous commandera de répondre à fa flame.

CHIMENE.

Dy-moy donc, je te prie, une feconde fois
Ce qui te fait juger qu'il approuve mon choix, (dre;
Apprens-moy de nouveau quel espoir j'en doy pren-
Un fi charmant discours ne fe peut trop entendre,
Tu ne peux trop promettre aux feux de noftre amour
La douce liberté de fe montrer au jour.

Que t'a-t'il répondu fur la fecrete brigue

Que font auprès de toy, D. Sanche & D. Rodrigue? N'as-tu point trop fait voir quelle inégalité

Fait qu'entre ces Amans je panche d'un cofté?

ELVIRE

Non, j'ay peint voftre coeur dans une indifference
Qui n'enfle d'aucun d'eux ny n'abat l'esperance,
Et fans les voir d'un ceil trop fevere, ou trop doux,
Attend l'ordre d'un Pére à choifir un Epoux.
Ce respect l'a ravy; fa bouche & fon vifage

A 2

M'en

M'en ont donné fur l'heure un digne témoignage,
Et puisqu'il vous en faut encor faire un récit,
Voicy d'eux & de vous ce qu'en hafte il m'a dit.
Elle eft dans le devoir, tous deux font dignes d'elle,
Tous deux formez d'un fang, noble, vaillant, fidelle,
Jeunes, mais qui font lire aisément dans leurs yeux
L'éclatante vertu de leurs braves Ayeux.

D. Rodrigue fur tout n'a trait en fon visage
Qui d'un homme de cœur ne foit la haute image,
Et fort d'une maison fi féconde en Guerriers,
Qu'ils y prennent naiffance au milieu des lauriers.
La valeur de fon Pere en fon temps fans pareille,
Tant qu'a duré fa force, a passé pour merveille,
Ses rides fur fon front ont gravé (es exploits,
Et nous disent encor ce qu'il fut autrefois.
Je me promets du Fils ce que j'ay veu du Pére,
Et ma Fille en un mot peut l'aimer, & me plaire.
Il alloit au Confeil, dont l'heure qui preffoit
A tranché ce discours qu'à peine il commençoit ;
Mais à ce peu de mots je croy que fa pensée
Entre vos deux Amans n'eft pas fort balancée.
Le Roy doit à fon Fils élire un Gouverneur,
Et c'eft luy que regarde un tel degré d'honneur.
Ce choix n'eft pas douteux, & fa rare vaillance
Ne peut fouffrir qu'on craigne aucune concurrence.
Comme fes hauts exploits le rendent fans égal,
Dans un espoir fi juste il fera fans Rival,
Et puisque D. Rodrigue a réfolu fon Pére,
Au fortir du Confeil, à propofer l'affaire,
Je vous laiffe à juger s'il prendra bien fon temps,
Et fi tous vos defirs feront bien-toft contens.
CHIMENE.

Il femble toutesfois que mon ame troublée
Refufe cette joye, & s'en trouve accablée.
Un moment donne au fort des visages divers,
Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.

ELVIRE.

Vous verrez cette crainte heureusement déçuë.

CHIMENE.

Allons, quoy qu'il en foit, en attendre l'iffuë.

SCE

SCENE I I.

L'INFANTE, LEONOR, Page.

L'INFANTE.

PAge, allez avertir Chimene de ma part Qu'aujourd'huy pour me voir elle attend un peu tard,

Et que mon amitié fe plaint de sa pareffe.

Le Page rentre.

LEONOR.

Madame, chaque jour mefme defir vous preffe,
Et dans fon entretien je vous voy chaque jour
Demander en quel point fe trouve fon amour.

L'INFANΤΕ.

Ce n'eft pas fans fujet, je l'ay prefque forcée
A recevoir les traits dont fon ame eft bleffée ;
Elle aime D. Rodrigue, & le tient de ma main,
Et par moy D. Rodrigue a vaincu fon dedain.
Ainfi de ces Amans ayant formé les chaifnes,
Je doy prendre intereft à voir finir leurs peines.
LLONOR.

Madame, toutefois parmy leurs bons fuccès
Vous montrez un chagrin qui va jufqu'à l'excès.
Cet amour qui tous deux les comble d'allegresse,
Fait-il de ce grand cœur la profonde tristesse,
Et ce grand intéreft que vous prenez pour eux,
Vous rend-il malheureufe, alors qu'ils font heureux?
Mais je vay trop avant, & deviens indiscrette.

L'INFANT E.
Ma tristeffe redouble à la tenir fecrette.
Ecoute, écoute enfin comme j'ay combatu,
Ecoute quels affauts brave encor ma vertu.
L'Amour eft un tiran qui n'épargne perfonne.
Ce jeune Cavalier, cet Amant que je donne,
Je l'aime.

LEONOR.

Vous l'aimez !

L'INFANTE.

Mers la main fur mon cœur, Et voy comme il fe trouble au nom de fon vainqueur,

A 3

Com

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