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La mort que je demande, & qu'il faut que j'obtienne
Augmentera fa peine, & finira la mienne.
Sire, voyez l'excès de mes tristes ennuis,
Et l'effroyable état où mes jours font réduits.
Quelle horreur d'embraffer un homme dont l'épée
De toute ma Famille a la trame coupée,
Et quelle impiété de haïr un Epoux

Pour avoir bien fervy les fiens, l'Etat, & vous!
Aimer un bras fouillé du fang de tous mes Fréres!
N'aimer pas un Mary qui finit nos miferes!
Sire, delivrez-moy par un heureux trépas
Des crimes de l'aimer, & de ne l'aimer pas.
J'en nommeray l'arreft une faveur bien grande;
Ma main peut me donner ce que je vous demande,
Mais ce trépas enfin me fera bien plus doux
Si je puis de fa honte affranchir mon Epoux,
Si je puis par mon fang appaifer la colére
Des Dieux qu'a pû fascher sa vertu trop sévére,
Satisfaire en mourant aux Manes de fa Sœur,
Et conferver à Rome un fi bon défenseur.
Le vieil HORACE

Şire, c'est donc à moy de répondre à Valére.
Mes enfans avec luy conspirent contre un Pére,
Tous trois veulent me perdre, & s'arment fans raifon
Contre fi peu de fang qui reste en ma maison,

à Sabine.

Toy, qui par des douleurs à ton devoir contraires Veux quitter un Mary pour rejoindre tes Frères, Va plûtoft confulter leurs Manes généreux ;

(reux.

Ils font morts, mais pour Albe, & s'en tiennent heu-
Puisque le Ciel vouloit qu'elle fuft affervie,
Si quelque fentiment demeure après la vie,
Ce mal leur femble moindre, & moins rudes fes

coups,

Voyant que tout l'honneur en retombe fur nous.
Tous trois defavoûront la douleur qui te touche,
Les larmes de tes yeux, les foûpirs de ta bouche,
L'horreur que tu fais voir d'un Mary vertueux.
Sabine, fois leur Soeur, fuy ton devoir comme eux.
au Roy.

Contre ce cher Epoux Valére en vain s'anime,

Un

Un premier mouvement ne fut jamais un crime,
Et la louange eft deue au lieu du châtiment
Quand la vertu produit ce prémier mouvement.
Aimer nos Ennemis avec idolâtrie,

De rage en leur trépas maudire la Patrie,
Souhaiter à l'Etat un malheur infiny,

C'est ce qu'on nomme crime, & ce qu'il a puny
Le feul amour de Rome a fa main animée,
Il feroit innocent s'il l'avoit moins aimée.
Qu'ay-je dit, Sire: il l'eft, & ce bras paternel
L'auroit déja puny, s'il étoit criminel,
J'aurois fçu mieux ufer de l'entiére puiflance
Que me donnent fur luy les droits de la naiffance;
J'aime trop l'honneur, Sire, & ne fuis point de rang
A fouffrir ny d'affront ny de crime en mon fang.
C'est dont je ne veux point de témoin que Valére,
Il a veu quel accueil luy gardoit ma colere,
Lors qu'ignorant encor la moitié du combat
Je croyois que fa fuite avoit trahy l'Etat.
Qui le fait fe charger des foins de ma Famille?
Qui le fait malgré moy vouloir vanger ma Fille,
Et par quelle raifon dans fon juste trépas
Prend-il un intéreft qu'un Pére ne prend pas?
On craint qu'après fa Sœur il n'en maltraite d'autres :
Sire, nous n'avons part qu'à la honte des noftres,
Et de quelque façon qu'un autre puiffe agir,
Qui ne nous touche point ne nous fait point rougir.
Tu peux pleurer, Valére,& même aux yeux d'Horace,
Il ne prend intéreft qu'aux crimes de fa race;
Qui n'eft point de fon fang ne peut faire d'affront
Aux lauriers immortels qui luy ceignent le front.
Lauriers, facrez rameaux qu'on veut réduire en pou-
Vous qui mettez fa tefte à couvert de la foudre, (dre,
L'abandonnerez-vous à l'infame coûteau (reau?
Qui fait choir les mechans fous la main d'un bour-
Romains, fouffrirez-vous qu'on vous immole un
homme

Sans qui Rome aujourd'huy cefferoit d'eftre Rome,
Et qu'un Romain s'efforce à tacher le renom
D'un Guerrier à qui tous doivent un fi beau nom?
Dy, Valére, dy-nous, fi tu veux qu'il périffe,

Où tu penfes choilir un lieu pour fon fupplice?
Sera-ce entre ces murs que mille & mille voix
Font réfonner encor du bruit de fes exploits?
Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places,
Qu'on voit fumer encor du fang des Curiaces,
Entre leurs trois tombeaux, & dans ce champ d'hon-

neur

Témoin de fa vaillance, & de noftre bonheur ?
Tu ne fçaurois cacher la peine à fa victoire,
Dans les murs, hors des murs, tout parle de fa gloire,
Tout s'oppose à l'effort de ton injuste amour,
Qui veut d'un fi bon fang fouiller un fi beau jour.
Albe ne pourra pas fouffrir un tel spectacle.
Et Rome par les pleurs y mettra trop d'obstacle.
Vous le préviendrez, Sire, & par un juste arreft
Vous fçaurez embraffer bien mieux fon intéreft.
Ce qu'il a fait pour elle il peut encor le faire,
Il peut la garantir encor d'un fort contraire.
Sire, ne donnez rien à mes débiles ans ;

Rome aujourd'huy m'a veu Pére de quatre Enfans,
Trois en ce mefme jour font morts pour fa querelle,
Il m'en reste encor un, confervez-le pour elle,
N'oftez pas à fes murs un fi puiffant appuy,
Et fouffrez pour finir que je m'adrefle à luy.
Horace, ne croy pas que le Feuple stupide
Soit le maiftre ablolu d'un renom bien folide,
Sa voix tumultueufe affez fouvent fait bruit,
Mais un moment l'éléve, un moment le detruit.
Et ce qu'il contribue à noftre renommée
Toûjours en moins de rien fe diffipe en fumée.
C'eft aux Rois, c'eft aux Grands, c'eft aux esprits bien-
A voir la vertu pleine en fes moindres effets. (faits,
C'eft d'eux feuls qu'on reçoit la véritable gloire,
Eux feuls des vrais Héros affeurent la mémoire.
Vy toûjours en Horace, & toûjours auprès d'eux
Ton nom demeurera grand, illustre, fameux,
Bien que l'occafion moins haute, ou moins brillante,
D'un vulgaire ignorant trompe l'injuste attente.
Ne hay donc plus la vie, & du moins vy pour moy,
Et pour fervir encor ton païs, & ton Roy.

Sire, j'en ay trop dit, mais l'affaire vous touche,

Et

Et Rome toute entiére a parlé par ma bouche.

VALERE.

Sire, permettez-moy...

TULLE.

Valére, c'eft affez,

Vos discours par les leurs ne font pas effacez,
J'en garde en mon esprit les forces plus preffantes,
Et toutes vos raifons me font encor prefentes.

Cette énorme action faite presque à nos yeux
Outrage la Nature, & bleffe jusqu'aux Dieux.
Un premier mouvement qui produit un tel crime,
Ne fcauroit luy fervir d'excufe légitime,

Les moins fevéres loix en ce point font d'accord,
Et fi nous les fuivons, il eft digne de mort.
Si d'ailleurs nous voulons regarder le Coupable,
Ce crime, quoy que grand, énorme, inexcusable,
Vient de la mefme épée, & part du mefme bras
Qui me fait aujourd'huy maiftre de deux Etats.
Deux Sceptres en ma main, Albe à Rome affervic,
Parlent bien hautemen: en faveur de sa vie.
Sans luy j'obeïrois où je donne la loy,

Et je ferois Sujet où je fuis deux fois Roy.

Affez de bons Sujets dans toutes les Provinces (ces.
Par des vœux impuiffans s'acquirent vers leurs Prin-
Tous les peuvent aimer, mais tous ne peuvent pas
Par d'illuftres effets affeurer leurs Etats,

Et l'art & le pouvoir d'affermir des Couronnes
Sont des dons que le Ciel fait à peu de pertonnes,
De pareils Serviteurs font les forces des Rois,
Et de pareils auffi font au deffus des loix.
Qu'elles fe taifent donc, que Rome diffimule
Ce que dès fa naiffance elle vit en Romule;
Elle peut bien fouffrir en fon Liberateur
Ce qu'elle a bien fouffert en fon premier Auteur.
vý donc, Horace, vy, Guerrier trop magnanime,
Ta vertu met ta gloire au deffus de ton crime,
Sa chaleur généreufe a produit ton forfait,
D'une caufe fi belle il faut fouffrir l'effet.
Vy pour fervir l'Etat, vy, mais aime Valére,
Qu'il ne reste entre vous ny haine, ny colére,
Et foit qu'il ait fuivy l'amour, ou le devoir,

Sans

Sans aucun fentiment refous-toy de le voir.

Sabine, écoutez moins la douleur qui vous preffe, Chaffez de ce grand cœur ces marques de foibleffe, C'eft en féchant vos pleurs que vous vous montrerez La véritable Sœur de ceux que vous pleurez.

Mais nous devons aux Dieux demain un facrifice, Et nous aurions le Ciel à nos vœux mal propice, Si nos Preftres, avant que de facrifier, Ne trouvoient les moyens de le purifier. Son Pére en prendra foin, il luy fera facile D'appaifer tout d'un temps les Manes de Camille. Je la plains, & pour rendre à fon fort rigoureux Ce que peut fouhaiter fon esprit amoureux, Puisqu'en un mefme jour l'ardeur d'un mefme zéle Achève le Destin de fon Amant, & d'elle, Je veux qu'un mesme jour témoin de leurs deux

morts

En un mefme tombeau voye enfermer leurs corps,

Fin du cinquiéme & dernier Alte.

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