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D. FERNAND.

Levez-vous l'un & l'autre, & parlez à loifir.
Chiméne, je prens part à voftre déplaisir,
D'une égale douleur je fens mon ame atteinte.
à D. Diégue.

Vous parlerez après, ne troublez pas sa plainte.

CHIMEN E.

Sirę, mon Pére eft mort; mes yeux ont vû fon fang
Couler à gros bouillons de fon genereux flanc,
Ce fang qui tant de fois garantît vos murailles
Ce fang qui tant de fois vous gagna des batailles,
Ce fang qui tout forty fume encor de courroux
De fe voir répandu pour d'autres que pour vous,
Qu'au milieu des hazards n'ofoit verfer la guerre,
Rodrigue en voftre Cour vient d'en couvrir la terre.
J'ay couru fur le lieu fans force, & fans couleur,
Je l'ay trouvé fans vie. Exculez ma douleur,
Sire, la voix me manque à ce récit funeste,
Mes pleurs & mes foûpirs vous diront mieux le reste.
D. FERNAND.

Prens courage, ma Fille, & fçache qu'aujourd'huy
Ton Roy te veut fervir de Pére au lieu de luy.
CHIMENE.

Sire, de trop d'honneur ma mifére eft fuivie.
Je vous l'ay deja dit, je l'ay trouvé fans vie,
Son flanc étoit ouvert, & pour mieux m'émouvoir,
Son fang fur la pouffiére écrivoit mon devoir,
Ou plûtoft fa valeur en cét état réduite

Me parloit par fa playe, & haftoit ma poursuite,
Et pour fe faire entendre au plus juste des Rois,
Par cette triste bouche elle empruntoit ma voix.
Sire, ne fouffrez pas que fous voftre puiflance
Régne devant vos yeux une telle licence,
Que les plus valeureux avec impunité
Soient expofez aux coups de la temerité,
Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
Se baigne dans leur fang & brave leur mémoire.
Un fi vaillant Guerrier qu'on vient de vous ravir
Eteint, s'il n'eft vangé, l'ardeur de vous fervir.
Enfin mon Pére eft mort, j'en demande vangeance,
Plus pour voftre intéreft que pour mon allegeance,

Yous

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Vous perdez en la mort d'un homme de fon rang.
Vangez-la par une autre & le fang par le fang.
Immolez, non à moy, mais à voftre Couronne,
Mais à voftre grandeur, mais à voftre perfonne,
Immolez, dis-je, Sire, au bien de tout l'Etat,
Tout ce qu'enorgueillit un fi haut attentat.

D. FERNAND

Don Diégue, répondez.

D. DIEGUE.

Qu'on eft digne d'envie Lors qu'en perdant la force on perd auffi la vie, Et qu'un long âge aprefte aux hommes généreux Au bout de leur carrière un destin malheureux! Moy, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire, Moy, que jadis par tout a fuivy la victoire, Je me vois aujourd'huy, pour avoir trop vécu, Recevoir un affront, & demeurer vaincu. Ce que n'a pû jamais combat, fiége, embuscade, Ce que n'a pu jamais Arragon, ny Grenade, Ny tous vos ennemis, ny tous mes envieux, Le Comte en voftre Cour l'a fait prefque à vos yeux, Jaloux de voftre choix, & fier de l'avantage Que luy donnoit fur moy l'impuiflance de l'âge.

Sire, ainfi ces cheveux blanchis fous le harnois, Ce fang pour vous fervir prodigué tant de fois, Ce bras, jadis l'effroy d'une Armee ennemie, Defcendoient au tombeau tout chargez d'infamic, Si je n'euffe produit un Fils digne de moy Digne de fon pays, & digne de fon Roy. Il m'a prefté fa main, ila tue le Comte, Il m'a rendu l'honneur, il a lave ma honte. Si montrer du courage & du reffentiment, Si vanger un fouflet merite un chatiment, Sur moy feul doit tomber l'éclat de la tempefte, Quand le bras a failly l'on en punit la tefte Qu'on nomme crime, ou non, ce qui fait nos debats, Sire, j'en fuis la tefte, il n'en eft que le bras; Si Chimene fe plaint qu'il a tue fon Pere, Il ne l'euft jamais fait, fije l'eufie pû faire, Immolez donc ce Chef que les ans vont ravir, Et confervez pour vous le bras qui peut fervir. B 2

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Aux dépens de mon fang fatisfaites Chimene,
Je n'y refiste point, je confens à ma peine,
Et loin de murmurer d'un rigoureux decret,
Mourant fans deshonneur, je mourray fans regret.
D. FERNAND.

L'affaire eft d'importance, & bien confiderée
Mérite en plein Confeil d'eftre déliberée.

Don Sanche remettez Chiméne en fa maison, Don Diégue aura ma Cour, & fa foy pour prifon. Qu'on me cherche fon Fils. Je vous feray justice. CHIMENE.

Il eft juste, grand Roy, qu'un Meurtrier périffe.
D. FERNAND.

Prens du repos, ma Fille, & calme tes douleurs,
CHIMENE.

M'ordonner du repos c'eft croiftre mes malheurs. Fin du fecond Alte.

ACTE III.

SCENE PREMIER E.

D. RODRIGUE, ELVIRE.

R

ELVIRE.

Odrigue, qu'as tu fait ? où viens-tu, mife-
D. RODRIGUE.

(rable? Suivre le triste cours de mon fort déploELVIRE.

rable.

Où prens-tu cette audace & ce nouvel orgueil.
De paroiftre en des lieux que tu remplis de deuil?
Quoy? viens-tu jufqu'icy braver l'Ombre du Comte?
Ne l'as-tu pas tué?

D. RODRIGUE.

Sa vie eftoit ma honte, Mon honneur de ma main a voulu cet effort.

ELVIRE.

Mais chercher ton azile en la maifon du Mort!
Jamais un Meurtrier en fit-il fon refuge?

D. RODRIGUE.

Et je n'y viens auffi que m'offrir à mon Juge.

Ne

Ne me régarde plus d'un vifage eftonné,
Je cherche le trépas après l'avoir donné.
MonJuge eft mon amour, mon Juge eft ma Chimene,
Je mérite la mort de mériter fa haine,

Et j'en viens recevoir, comme un bien fouverain,
Et l'arreft de fa bouche, & le coup de fa main.
ELVIRE.

Fuy plûtoft de fes yeux, fuy de fa violence,
A fes prémiers transports dérobe ta préfence;
Va, ne t'expofe point aux prémiers mouvemens
Que pouffera l'ardeur de fes reffentimens.

D. RODRIGUE.

Non, non, ce cher Objet à qui j'ay pû déplaire,
Ne peut pour mon fupplice avoir trop de colére,"
Et j'évite cent morts qui me vont accabler,
Si pour mourir plûtof je puis la redoubler.

ELVIRE.

Chiméne eft au Palais de pleurs toute baignée,
Et n'en reviendra point que bien accompagnée.
Rodrigue, fuy de grace, ofte-moy de foucy.
Que ne dira-t'on point fi l'on te voit icy?
Veux-tu qu'un médifant, pour comble à fa mifére,
L'accufe d'y fouffrir l'Affaflin de fon Pére?
Elle va revenir, elle vient, je la voy;

Du moins pour fon honneur, Rodrigue, cache-toy,

SCENE I I.

D. SANCHE, CHIMENE, ELVIRE.

D. SANCH E.

Uy, Madame, il vous faut de fanglantes victimes, Voftre colére eft juste, & vos pleurs légitimes, Et je n'entreprens pas, à force de parler, Ny de vous adoucir, ny de vous confoler; Mais fi de vous fervir je puis eftre capable, Employez mon épée à punir le coupable, Employez mon amour à vanger cette mort, Sous vos commandemens mon bras fera trop fort. CHIMENE.

Malheureuse!

D. SAN

D SANCHE.

De grace acceptez mon service.
CHIMEN E.

J'offenferois le Roy qui m'a promis justice.
D. SANCHE.

Vous fçavez qu'elle marche avec tant de langueur,
Qu'affez fouvent le crime échape à fa longueur;
Son cours lent & douteux fait trop perdre de larmes.
Souffrez qu'un Cavalier vous vange par les armes,
La voye en eft plus feure, & plus prompte à punir.
CHIMENE.

C'est le dernier reméde, & s'il y faut venir,
Et que de mes malheurs cette pitié vous dure,
Vous ferez libre alors de vanger mon injure.
D. SANCHE.

C'est l'unique bonheur où mon ame prétend,
Et pouvant l'espérer, je m'en vay trop content.

SCENE III.

CHIMENE, ELVIRE.

CHIMENE.

ENfin je me voy libre, & je puis fans contrainte

'De mes vives douleurs te faire voir l'atteinte, Te puis donner paffage à mes tristes foûpirs, Je puis t'ouvrir mon ame, & tous mes déplaifirs. Mon Pére eft mort, Elvire, & la prémiere épée Dont s'eft armé Rodrigue a fa trame coupée. Pleurez, pleurez, mes yeux, & fondez-vous en eau. La moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau, Et m'oblige à vanger après ce coup funeste, Celle que je n'ay plus fur celle qui me reste.

ELVIRE.

Repolez-vous, Madame.

CHIMENE.

Ah: que mal à propos

Dans un malheur fi grand tu parles de repos!
Par où fera jamais ma douleur appaifée,
Si je ne p is haïr la main qui l'a caufée,
Et que doy-je espérer qu un tourment éternel,
Si je pourfuis un crime, aimant le Criminel?

EL

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