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Se rend-elle fi-toft à cette lasche flame?

L'INFANTE.

Ne la nomme point lafche, à prefent que chez moy
Pompeufe & triomphante elle me fait la loy,
Porte-luy du respect puisqu'elle m'eft fi chere;
Ma vertu la combat, mais malgré moy j'espére,
Et d'un fi fol espoir mon cœur mal défendu
Vole après un Amant que Chiméne a perdu.
LEONOR.

Vous laiffez choir ainfi ce glorieux courage,
Et la raifon chez vous perd ainfi fon ufage!
L'INFANTE.

Ah! qu'avec peu d'effet on entend la raison,
Quand le cœur eft atteint d'un fi charmant poison!
Et lors que le malade aime fa maladie,
Qu'il a peine à fouffrir que l'on y remédie!

LEONOR.

Voftre espoir vous féduit, voftre mal vous est doux, Mais enfin ce Rodrigue eft indigne de vous.

L'INFANTE.

Je ne le fçay que trop, mais fi ma vertu céde,
Apprens comme l'amour fiate un coeur qu'il poffède.
Si Rodrigue une fois fort vainqueur du combat,
Si deffous fa valeur ce grand Guerrier s'abat,
Je puis en faire cas, je puis l'aimer fans honte.
Que ne fera-t'il point, s'il peut vaincre le Comte?
J'ofe m'imaginer qu'à fes moindres exploits
Les Royaumes entiers tomberont fous fes loix,
Et mon amour flateur déja me perfuade
Que je le vois affis au trône de Grenade,
Les Mores fubjuguez trembler en l'adorant,
L'Arragon recevoir ce nouveau Conquérant.
Le Portugal fe rendre, & fes nobles journées
Porter de là les Mers fes hautes Destinées,
Du fang des Africains arrofer fes lauriers.
Enfin tout ce qu'on dit des plus fameux Guerriers,
Je l'attens de Rodrigue après cette victoire,
Et fais de fon amour un fujet de ma gloire.
LEONOR.

Mais, Madame, voyez où vous portez fon bras,
En fuite d'un combat qui peut-eftre n'eft pas.

L'INFANTE.

Rodrigue eft offenfé, le Comte a fait l'outrage,
Ils font fortis enfemble, en faut-il davantage ?
LEONOR.

Et bien, ils fe battront, puisque vous le voulez.
Mais Rodrigue ira-t'il fi loin que vous allez ?

L'INFANTE.

Que veux-tu ? je fuis folle, & mon esprit s'égare,
Tu vois par là quels maux cet amour me prépare.
Viens dans mon cabinet confoler mes ennuis,
Et ne me quitte point dans le trouble où je fuis.

SCENE VI.

D. FERNAND, D. ARIAS, D. SANCHE, D. ALONS E.

D. FERNAND.

LE Comte eft donc fi vain & fi peu raifonnable!
'Ofe-t'il croire encor fon crime pardonnable?
D. ARIAS.

Je l'ay de voftre part long temps entretenu,
J'ay fait mon pouvoir, Sire, & n'ay rien obtenu.

D. FERNAND.

Justes Cieux! Ainfi donc un Sujet téméraire
A fi peu de respect & de foin de me plaire!
Il offenfe D. Diégue, & méprise son Roy!
Au milieu de ma Cour il me donne la loy!"
Qu'il foit brave Guerrier, qu'il foit grand Capitaine,
Je fçauray bien rabattre une humeur fi hautaine.
Fuft-il la valeur mefme, & le Dieu des combats,
Il verra ce que c'eft que de n'obeïr pas.
Quoy qu'ait pu mériter une telle infolence,
Je l'ay voulu d'abord traiter fans violence;
Mais puisqu'il en abuse, allez dès aujourd'huy,
Soit qu'il refiste, ou non, vous affeurer de luy.
D. Alonfe rentre.

D. SANCHE.

Peut-eftre un peu de temps le rendroit meins rebelle,
On l'a pris tout bouillant encor de fa querelle.
Sire, dans la chaleur d'un prémier mouvement
Un cœur fi généreux fe rend mal-aifément:

1

11 voit bien qu'il a tort, mais une ame fi haute N'eft pas fi-toft réduite à confeffer sa faute.

D. FERNAND.

D. Sanche, taisez-vous, & foyez averty
Qu'on fe rend criminel à prendre son party.

D. SANCHE.

J'obéis, & me tais, mais de grace encor, Sire,
Deux mots en fa défense.

D. FERNAND.

Et que pourrez-vous dire ?

D. SANCHE.

Qu'une ame accoûtumée aux grandes actions
Ne fe peut abbaiffer à des foûmiffions.

Elle n'en conçoit point qui s'expliquent fans honte,
Et c'est à ce mot feul qu'a réfisté le Comte.
Il trouve en fon devoir un peu trop de rigueur,
Et vous obeïroit s'il avoit moins de cœur.
Commandez que fon bras nourry dans les alarmes
Répare cette injure à la pointe des armes,
Il fatisfera, Sire, & vienne qui voudra,
Attendant qu'il l'ait fçu, voicy qui répondra.
D. FERNAND.

Vous perdez le respect, mais je pardonne à l'âge,
Et j'excule l'ardeur en un jeune courage.

Un Roy dont la prudence a de meilleurs objets Eft meilleur ménager du fang de fes Sujets; Je veille pour les miens, mes foucis les confervent, Comme le chef a foin des membres qui le fervent. Ainfi voftre raifon n'eft pas raifon pour moy, Vous parlez en Soldat, je dois agir en Roy, Et quoy qu'on veuille dire, & quoy qu'il ofe croire. Le Comte à m'obeïr ne peut perdre fa gloire. D'ailleurs, l'affront me touche, il a perdu d'hon

neur

Celuy que de mon Fils j'ay fait le Gouverneur. S'attaquer à mon choix, c'eft fe prendre à moy-mefEt faire un attentat fur le pouvoir fupreme. (me, N'en parlons plus. Au reste, on a veu dix vaiffeaux De nos vieux Ennemis arborer les drapeaux,

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Vers la bouche da Fleuve ils ont ofé paroistre.
D. ARIAS.

Les Mores ont appris par force à vous connoiftre,
Et tant de fois vaincus, ils ont perdu le cœur
De fe plus hazarder contre un fi grand Vainqueur.

D. FERNAND.

Ils ne verront jamais fans quelque jaloufie
Mon Sceptre en dépit d'eux régir l'Andaloufie,
Et ce pays fi beau qu'ils ont trop poffedé,
Avec un oeil d'envie eft toûjours regardé,
C'est l'unique raison qui m'a fait dans Séville
Placer depuis dix ans le trône de Castille,
Pour les voir de plus près, & d'un ordre plus prompt
Renverfer auffi-toft ce qu'ils entreprendront.

D. ARIAS.

Ils fçavent aux dépens de leurs plus dignes teftes,
Combien voftre prefence affeure vos conqueftes;
Vous n'avez rien à craindre.

D. FERNAND.

Et rien à négliger,

Le trop de confiance attire le danger,

Et vous n'ignorez pas qu'avec fort peu de peine
Un flux de pleine mer jusqu'icy les améne.
Toutefois j'aurois tort de jetter dans les coeurs,
L'avis étant mal feur, de paniques terreurs.
L'effroy que produiroit cette alarme inutile,
Dans la nuit qui furvient troubleroit trop la ville.
Faites doubler la Garde aux murs & fur le Port,
C'eft affez pour ce foir.

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D. FERNAND, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

D. ALONSE.

Sire, le Comte eft mort,

D. Diégue par fon Fils a vangé fon offenfe.
D. FERNAND.

Dès que j'ay fçu l'affront, j'ay preveu la vangeance,
Et j'ay voulu dellors prévenir ce malheur.

D. ALON

D. ALONSE.

Chiméne à vos genoux apporte fa douleur.

Elle vient toute en pleurs vous demander justice.
D. FERNAN D.

Bien qu'à fes déplaifirs mon ame compatiffe,
Ce que le Comte a fait semble avoir mérité
Ce digne châtiment de fa témerité,

Quelque juste pourtant que puiffe eftre fa peine.
Je ne puis fans regret perdre un tel Capitaine.
Après un long fervice à mon Etat rendu,
Après fon fang pour moy mille fois répandu,
A quelques fentimens que fon orgueil m'oblige,
Sa perte m'affoiblit, & fon trépas m'afflige.

SCENE VIII.

D. FERNAND, D. DIEGUE, CHIMENE, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

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D. DIEGUR.

Entendez ma défense.

CHIMENE.

D'un jeune audacieux puniffez l'infolence.
Il a de vôtre Sceptre abatu le foûtien,

Il a tué mon Pére.

D. DIEGUE.

Il a vangé le fien.

CHIMENE.

Au fang de fes Sujets un Roy doit la justice.

D. DIEGUE.

Pour la juste vangeanceil n'eft point de fupplice.
P. Corn, II. Partie,

B

D.

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