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fiéme Acte qui me font horreur. C'eft où cette fille (mais pluftoft ce Monftre) ayant devant fes yeux Rodrigue, encor tout couvert d'un fang qui la devoit fi fort toucher & entendant qu'au lieu de s'excufer, & de reconnoiftre fa fauté, il l'autorife par ces vers:

Car enfin n'attends pas de mon affection,
Un lasche repentir d'une bonne action;
Elle refpond (ô bonnes mœurs!)

Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien.
Si autrefois quelques uns, comme Marcellin au li-
vre vingt-feptiéme, ont mis entre les corruptions
des Republiques, la lecture de Juvenal, parce
qu'il enfeigne le vice, quoy qu'il le reprenne, &
que pour flageller l'impureté, il la montre toute
nuë: que dirons-nous de ce Poëme, où le vice eft
fi puiffamment apuyé ? où l'on en fait l'Apolo-
gie où l'on le pare des ornements de la vertu ?
& enfin, où il foule aux pieds les fentimens de la
Nature, & les preceptes de la Morale? De ces
deux preuves affez claires, je paffe à la troifiéme,
qui regarde le jugement, la conduite, & la bien-
feance des chofes : & dès la premiere Scene, je
trouve dequoy m'occuper. Il faut que j'avouë
que je ne vis jamais un fi mauvais Phyfionome que
le pere de Chimene, lors qu'il dit à la Suivante
de fa fille, parlant de D. Sanche, auffi bien que de
D. Rodrigue,

Jeunes, mais qui font lire ailément dans leurs yeux, L'éclatante vertu de leurs braves Ayeux.

Il n'eftoit point neceffaire d'une fi fauffe conjecture, puis que ce malheureux D. Sanche devoit eftre battu, fans bleffer ny fans eftre bleffé, defarmé, & pour fauver sa vie, contraint d'accepter cette honteufe condition, qui l'oblige à porter luy mefme son épée à fa Maiftreffe, de la part de fon ennemy. Cette procedure trop romanefque, dément ce premier difcours; eftant certain, que jamais un homme de cœur, ne voudra vivre par cette voye. Mais ce n'eft pas la feule faute de jugement, que je remarque

en

en cette Scene; & ces vers qui fuivent m'en dé

couvrent encore une autre.

L'heure à prefent m'appelle au Confeil qui s'assemble,
Le Roy doit à fon fils choisir un Gouverneur,
Ou pluftoft m'élever à ce haut rang d'honneur,
Ce que pour luy mon bras chaque jour execute,
Me deffend de penser qu'aucun me le difpute.

Il falloit avec plus d'adreffe, faire fçavoir à l'Auditeur, le fujet de la querelle qui va naiftre: & non pas le faire dire hors de propos à cette Suivante, qui fert dans la Maifon du Comte. Cette familiarité n'a point de rapport, avec l'orgueil qu'il donne par tout à ce perfonnage: mais il feroit à fouhaiter pour luy, qu'il euft corrigé de cette forte, tout ce qu'il fait dire à ce Comte de Gormas: afin que d'un Capitan ridicule, il euft fait un honnefte homme: tout ce qu'il dit eftant plus digne d'un fanfaron, que d'un perfonnage de valeur & de qualité. Et pour ne vous donner pas la peine, d'aller vous en éclaircir dans fon livre, voyez en quels termes il fait parler ce Capitaine Fracaffe.

Enfin vous l'emportez, & la faveur du Roy,
Vous éleve en un rang qui n'eftoit dû qu'à moy:
Les exemples vivants ont bien plus de pouvoir:
Un Prince dans un livre aprend mal fon devoir;
Et qu'a fait après tout, ce grand nombre d'années,
Que ne puiffe égaler une de mes journées ?
Et ce bras du Royaume eft le plus ferme apuy:
Grenade & l'Arragon tremblent quand ce fer brille,
Mon nom fert de rampart à toute la Caille,

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Sans moy vous pafferiez bien-teft fous d'autres loix,
Et fi vous ne m'aviez, vous n'auriez plus de Rois.
Chaque jour, chaque inftant entaffe pour ma gloire
Laurier deßus Laurier, victoire fur victoire,
Le Prince pour eBay de genérosité,

Gagneroit des combats marchant à mon costés
Loin des froides leçons qu'à mon bras on préfere,!
Il aprendroit à vaincre en me regardant faire.
Et par là cét honneur n'eftoit du qu'à mon bras:
Un jour Jeul ne perd pas un homme tel que moy:
G 2

Que

Que toute fa grandeur, s'arme pour mon juplice,
Tout l'Eftat perira, devant que je perise,
D'un fceptre qui fans moy tomberoit de fa main:
Il a trop d'intereft luy-mefme en ma perfonne,
Et ma tefte en tombant feroit choir fa Couronne.
Mais t'ataquer à moy! qui t'a rendu fi vain?
Sçais-tu bien qui je fuis?

Mais je fens que pour toy ma pitié s'interesse:
J'admire ton courage, & je plains ta jeunese:
Ne cherche point à faire un coup d'essay fatal;
Difpenfe ma valeur d'un combat inégal;

Trop peu d'honneur pour moy fuivroit cette victoire,
A vaincre fans peril on triomphe fans gloire,
On te croiroit toûjours abatu fans effort,
Et j'aurois feulement le regret de ta mort.
Retire-toy d'icy, es tu filas de vivre?

Je croirois affurement qu'en faifant ce rôle, l'Auteur auroit cru faire parler Matamore & non pas le Comte; Si je ne voyois que prefque tous fes perfonnages ont le mefme file: & qu'il n'eft pas jufqu'aux femmes, qui ne s'y piquent de bravoure. Il s'eft à mon avis fonde fur l'opinion commune, qui donne de la vanité aux Efpagnols, mais il l'a fait avec affez peu de raifon ce me femble: puis que par tout il fe trouve d'honneftes gens. Et ce feroit une chofe bien plaifante, fi parce que les Allemands & les Gafcons, ont la reputation d'aimer à boire & à dérober, il alloit un jour avec une égale injuftice, nous faire voir fur la Scene, un Seigneur de l'une de ces Nations qui fut yvre, & l'autre coupeur de bourfe. Les Espagnols font nos ennemis ( il est vray) mais on n'eft pas moins bon François, pour ne les croire pas tous hypochondriaques. Et nous avons parmy nous un Exemple fi illuftre, & qui nous fait fi bien voir, que la profonde Sagefle, & la haute vertu peuvent naiftre en Efpagne, qu'on n'en fçauroit douter fans crime. Je parlerois plus clairement de cette divine Perfonne, fi je ne craignois de prophaner fon nom facré, & fi je n'avois peur de commettre un facrilege, en penfant faire un acte d'a

do

doration. Mais eftant encor fi éloigné des dernieres fautes de jugement, que je connois & que je dois montrer en cet Ouvrage, je m'arrête trop à ces premieres, que vous verrez fuivies de beaucoup d'autres plus grandes. La f.conde Scene du Cid, n'eft pas plus judicieufe que celle qui la précede, car cette Suivante n'y fait que redire, ce que l'Auditeur vient à l'heure mefme d'aprendre. C'eft manquer d'adreffe, & faire une faute, que les precéptes de l'Art, nous enfeignent d'éviter toûjðurs : parce que ce n'eft qu'ennuyer le fpectateur; & qu'il eft inutile de raconter ce qu'il à veu. Si bien que le Poëte doit prendre des temps derriere les rideaux, pour en inftruire les perfonnages, fans perfecuter ainfi ceux qui les écoutent. La troifieme Scene eft encore plus deffectueufe, en ce qu'elle attire en fon erreur, toutes celles où parlent l'Infante ou Don Sanche: je veux dire, qu'outre la bien-feance mal obfervée, en une amour fi peu digne d'une fille de Roy, & Pune & l'autre tiennent fi peu dans le corps de la piece, & font fi peu neceffaires à la reprefentation, qu'on voit clairement, que D. Urraque n'y eft que pour faire jouer la Beau Chateau, & le pauvre Don Sanche, pour s'y faire batre par Don Rodrigue. Et cependant, il nous eft enjoint par les Maiftres, de ne mettre rien de fuperflu dans la Scene. Ce n'eft pas que j'ignore, que les Episodes font une partie de la beaute d'un Poëme, mais il faut pour eftre bons, qu'ils foient plus attachez au Sujet. Celuy qu'on prend pour un Poëme Dramatique, eft de deux façons, car il eft ou fimple, ou mixte, nous appellons fimple, celuy qui eftant un, & continué, s'acheve fans un manifefte changement, au contraire de ce qu'on attendoit, & fans aucune reconnoiffance. Nous en avons un exemple dans l'Ajax de Sophocle, où le Spectateur voit arriver tout ce qu'il s'eftoit propose. Ajax plein de courage, ne pouvant endurer d'eftre mefprifé, fe met en furie, & après qu'il revient à foy, rougiffant des actions que la rage luy avoit fait faire, & vaincu de honte, il se tuë. En cela, il n'y a rien d'admirablę

ni de nouveau. Le fujet mêlé, ou non fimple, s'achemine à la fin, avec quelque changement oppofé, à ce qu'on atendoit, ou quelque reconnoiffance, ou tous les deux enfemble. Celuy-cy eftant affez intrigué de foy, ne recherche prefque aucun embelliflement: au lieu que l'autre eftant trop nu, a befoin d'ornemens eftrangers. Ces amplifications qui ne font pas tout à fait neceffaires, mais qui ne font pas auffi hors de la chofe, s'apellent Episodes chez Ariftote: & l'on donne ce nom à tout ce que l'on peut inferer dans l'Argument, fans qu'il foit de l'Argument mefme. Ces Episodes qui font aujourd'huy fort en ufage, font trouvez bons, lors qu'ils aident à faire quelque effet dans le Poëme: comme anciennement le difcours d'Agamemnon, de Teucer, de Menelaus, & d'Uliffe, dans l'Ajax de Sophocle, fervoit pour empefcher, qu'on ne privaft ce Heros de fepulture. Ou bien lors qu'ils font neceffaires, ou vray-femblablement attachez au Poëme, qu'Ariftote appelle Epifodique, quand il peche contre cette derniere regle. Noftre Auteur (fans doute) ne fçavoit pas cette doctrine; puis qu'il fe fuft bien empefché, de mettre tant d'Epifodes dans fon Poëme, qui eftant mixte, n'en avoit pas befoin: ou fi fafterilité, ne luy permettoit pas de le traitter fans cette aide, il y en devoit mettre qui ne fuffent pas irreguliers. Il auroit sans doute banny D. Urraque, D. Sanche, & D. Arias, & n'auroit pas eu tant de feu à leur faire dire des pointes, ny tant d'ardeur à la declamation, qu'il ne fe fuft fouvenu, que pas un de ces perfonnages ne fervoit aux incidens de fon Poëme, & n'y avoit aucun attachement neceffaire. Je voy bien (pour parler auffi des modernes ) que dans la belle Mariane, ce difcours des fonges, que M. Tristan a mis en la bouche de Pherore, n'eftoit pas abfolument neceffaire: mais eftant fi bien lié, avec la vifion que vient d'avoir Herodes, il y ajoute une beauté merveilleufe. Vifion (dis-je) qui fait elle mefme, une partie du Sujet, & dont les prefages qu'on en tire, ont fondez fur une, que ce Prince avoit euë autre

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