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Trahit donc ma querelle, & ne fait rien pour moy?
O cruel fouvenir de ma gloire paffée!
Oeuvre de tant de jours en un jour effacée!
Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d'où tombe mon honneur!
Faut-il de voftre éclat voir triompher le Comte,
Et mourir fans vangeance, ou vivre dans la honte ?
Comte, fois de mon Prince à prefent Gouverneur.
Ce haut rang n'admet point un homme fans honneur,
Et ton jaloux orgueil par cét affront infigne,

Malgré le choix du Roy, m'en a fçû rendre indigne.
Et toy, de mes exploits glorieux instrument,
Mais d'un corps tout de glace inutile ornement,
Fer, jadis tant à craindre, & qui dans cette offenfe
M'as fervy de parade, & non pas de defense,
Va, quitte deformais le dernier des humains,
Paffe pour me vanger en de meilleures mains.

SCENE

V.

D. DIEGUE, D. RODRIGUE.

D. DIEGUE.

Rodrigue, as-tu du cœur ?

D. RODRIGUE.

Tout autre que mon Pére

L'éprouveroit fur l'heure.

D. DIEGUE.

Agréable colére!

Digne reffentiment à ma douleur bien doux !
Je reconnoy mon fang à ce noble courroux,
Ma jeuneffe revit en cette ardeur fi prompte. (honte,
Viens mon Fils, viens mon fang, viens reparer ma
Viens me vanger.

D. RODRIGUE.

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Qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel,
D'un fouflet. L'infolent en euft perdu la vie,
Mais mon âge a trompé ma genéreufe envie,
Et ce fer que mon bras ne peut plus foûtenir,

A 6.

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Je le remets au tien pour vanger & punir.

Va contre un arrogant éprouver ton courage, Ce n'eft que dans le fang qu'on lave un tel ouvrage. Meurs, outuë. Au furplus, pour ne te point flater, Je te donne à combattre un homme à redouter. Je l'ay vû tout couvert de fang & de pouffiére Porter par tout l'effroy dans une Armée entière. J'ay vû par fa valeur cent escadrons rompus; Et pour t'en dire encor quelque chofe de plus, Plus que brave Soldat, plus que grand Capitaine, C'est...

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Ne replique point, je connoy ton amour, Mais qui peut vivre infame eft indigne du jour. Plus l'Offenfeur eft cher, & plus grande est l'ofsense. Enfin tu fçais l'affront, & tu tiens la vangeance, Je ne te dis plus rien. Vange-moy, vange-toy, Montre toy digne Fils d'un Pere tel que moy, Accablé des malheurs où le Destin me range, Je vay les déplorer, va, cours, vole, & nous vange.

SCENE V I.

D. RODRIGUE.

Percé jusques au fond du cœur,

D'une atteinte impréveuë auffi-bien que mortelle,
Miferable vangeur d'une juste querelle,

Et malheureux Objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, & mon ame abatuë

Céde au coup qui me tuë.

Si près de voir mon feu récompenfé,
O Dieu! l'étrange peine!

En cét affront mon Pére eft l'offenfé
Et l'Offenfeur le Pére de Chimene !

Que

Que je fens de rudes combats!

Contre mon propre honneur mon amour s'intereffe,
11 faut vanger un Pere, & perdre une Maîtreffe,
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix, ou de trahir ma flame,
Ou de vivre en infame,

Des deux coftez mon mal eft infiny.
O Dieu! l'étrange peine!

Faut-il laiffer un affront impuny?
Faut-il punir le Pere de Chimene?

Pére, Maîtreffe, honneur, amour,
Noble & dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaifirs font morts, ou ma gloire ternie;
L'un me rend malheureux, l'autre indigne du jour.
Cher & cruel espoir d'une ame genéreuse,

Mais ensemble amoureuse,

Digne ennemy de mon plus grand bonheur,
Fer, qui caufe ma peine!

M'ès-tu donné pour vanger mon honneur?
M'ès-ru donné pour perdre ma Chimene?

Il vaut mieux courir au trépas.
Je dois à ma Maître le auffi-bien qu'à mon Pére;
J'attire en me vangeant fa haine & fa colére,
J'attire fes mépris en ne me vangeant pas.
A mon plus doux espoir l'un me rend infidelle,
Et l'autre, indigne d'elle.

Mon mal augmente à le vouloir guerir,
Tout redouble ma peine.

Allons, mon ame, & puisqu'il faut mourir,
Mourons du moins fans offenfer Chiménc.

Mourir fans tirer ma raison!
Rechercher un trépas fi mortel à ma gloire!
Endurer que l'Espagne impute à ma memoire
D'avoir mal foûtenu l'honneur de ma maison!
"Respecter un amour dont mon ame égarée
Voit la perte affeurée!

N'écoutons plus ce penser fuborneur
Qui ne fert qu'à ma peine.

A 7

Allons,

Allons,mon bras,fauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimene.

Ouy, mon esprit s'eftoit déçûi,
Je doy tout à mon Pere avant qu'à ma Maîtrefle.
Que je meure au combat, ou meure de tristeffe,
Je rendray mon fang pur, comme je l'ay reçû.
Je m'accufe déja de trop de négligence.

Courons à la vangeance,

Et tout honteux d'avoir tant balancé,
Ne foyons plus en peine,

(Puis qu'aujourd'huy mon Pére eft l'offensé).
Sil Offenfeur eft Pere de Chiméne.

Fin du prémier Alte.

ACTE I I.

SCENE PREMIER E

D. ARIAS, LE COMTE.

LE COMTE.

(trop chaud
E l'avoue entre nous, mon fang un peu
S'eft trop émeu d'un mot, & la porté
trop haut ;
(reméde.
Mais puisque c'en eft fait, le coup eft fans
D. ARIAS.

Qu'aux volontez du Roy ce grand courage céde,
Il y prend grande part, & fon coeur irrité
Agira contre vous de pleine autorité.

Auffi vous n'avez point de valable défense;
Le rang de l'Offenfé, la grandeur de l'offense,
Demandent des devoirs & des foûmiffions,
Qui paflent le commun des fatisfactions.
LE COMTE.

Le Roy peut à fon gré dispofer de ma vie.

D. ARIAS.

De trop d'emportement voftre faute eft fuivie.
Le Roy vous aime encor,appaisez fon courroux,
Il a dit, je le veux. Defobéirez-vous ?

LE

LE COMTE.

Monfieur, pour conferver tout ce que j'ay d'estime,
Defobéir un peu n'eft pas un fi grand crime,
Et quelque grand qu'il foit, mes fervices prefens
Pour le faire abolir font plus que fuffifans.

D. ARIAS.

Quoy qu'on faffe d'illustré & de confidérable,
Jamais à fon Sujet un Roy n'eft redevable.
Vous vous flatez beaucoup, & vous devez fçavoir
Que qui fert bien fon Roy ne fait que fon devoir.
Vous vous perdrez, Monfieur, fur cette confiance.
LE COMTE.

Je ne vous en croiray qu'après l'expérience.

D. ARIAS.

Vous devez redouter la puiffance d'un Roy..
LE COMTE.

Un jour feul ne perd pas un homme tel que moy.
Que toute fa grandeur s'arme pour mon fupplice,
Tout l'Etat perira, s'il faut que je périsse.

D. ARIAS.

Quoy! vous craignez fi peu le pouvoir fouverain.....
LE COMTE.

D'un fceptre qui fans moy tomberoit de fa main,
Il a trop d'intereft luy-mefme en ma perfonne,
Et ma tefte en tombant feroit choir fa couronne.
D. ARIAS,

Souffrez que la raison remette vos esprits.

Prenez un bon confeil.

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Que luy diray-je enfin? je luy doy rendre compte.

LE COMTE.

Que je ne puis du tout confentir à ma honte.

D. ARIAS.

Mais fongez que les Rois veulent eftre abfolus.

LE COMTE.

Le fort en eft jetté, Monfieur, n'en parlons plus. D. ARIA S.

Adieu donc puisqu'en vain je tasche à vous réfoudre,

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