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Seigneurs, quels Auteurs avoient le mieux réuffi pour la Comédie. "Je n'en connois qu'un, reprit le ,, Satirique, & c'est Molière; tous les autres n'ont fait que des Farces proprement, comme ces vilai,, nes Pièces de Scarron,,. Le Roi demeura penfif & M. Despréaux, s'appercevant qu'il avoit fait une faute, fe mit à baiffer les ieux auffi bien que tous les autres Courtifans. "Si bien donc, reprit le Roi, que Defpréaux n'eftime que le feul MOLIERE Il n'y a, Sire, auffi que lui qui foit estimable dans fon genre d'écrire. "Je n'eus garde, difoit M. DESPRE AUX, de vouloir (101) rhabiller mon in"" cartade; c'eût êté faire fentir que j'avois êté capable de la faire,,. M. le Duc de Chevreufe le tira à quartier, en lui difant: "Oh, pour le coup, vôtre ,,prudence étoit endormie,,. Et où eft l'Homme, répondit M. DESPRE'AUX, à qui il n'échappe jamais me fotife? Cependant le Roi, qui voïoit bien que c'êtoit l'abondance du cœur, qui avoit fait parler le Poëte, ne lui en voulut point de mal.

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LVI. M. Defpréaux n'eftimoit point les Vers de (102) Scarron, qu'il trouvoit bas & burlesques à outrance; mais il admiroit fa profe, & la trouvoit parfaite, fur-tout dans fon Roman Comique. Il n'y eut jamais de Stile plus plaifant ni plus varié que

REMARQUES.

(101) rhabiller mon incartade; ] Les Pièces de Scarron avoient fait dans fon tems les délices de la Cour; & c'eft à leur prodigieux fuccès, qu'il faut imputer le bas Comique, dont Molière s'eft vu forcé de faire ufage dans quelques unes de les petites Pièces. On ne peut amener les Hommes au véritablement bon que par degrés.

(102) Scarron] PAUL Scarron, fut d'abord Chanoine du Mans, & fe maria dans la fuite. Il perdi: tout à coup l'ufage de tous fes Membres à l'âge de 27. ans, en fuite d'une Débauche. 11 fe confola de fa difgrace par fes Ouvrages, qui le divertiffoient le premier, quoiqu'il ne fut pas indifférent au profit, qu'il en pouvoit tirer. Il mourut le 14. Octobre 1660. Il avoit épousé Françoise d'Aubigné, qui fut depuis Marquise de Maintenon.

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celui-là. "Scarron, difoit-il, tiroit les plus petites chofes de leur baflelle par la manière noble, dont ,, il les contoit Je ne fais s'il ne m'a pas dit, qu'il avoit eu deffein de continuer le Roman Comique: mais je me fouviens qu'il me propofa d'y travailler, & m'offrit même de me donner des Mémoires; ce que je n'eus garde d'accepter.

LVII. Quelques temps après que les Satires de. M. Defpréaux eurent paru, Fernando Nugnès, Grand Amiral d'Espagne, vint en France; &, quoiqu'Etranger, goûta parfaitement toutes les beautés d'un Ouvrage, qui faifoit l'attention publique. Auffitôt qu'il fut de retour à Madrid, il envoïa deux livres du meilleur Tabac & une Tabatière de prix à M. Despréaux, en reconnoiffance du plaifir, que fes Satires lui avoient fait; & M. Defpréaux fit préfent de la Tabatière & du Tabac à M. (103) le Chevalier de Vendôme.

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LVIII. Lorsque le Roi d'Efpagne Philippe V. fut arrivé pour la première fois à Madrid, il voulut fe délaffer par quelque lecture agréable, & demanda les Satires de M. Defpréaux: mais, les balots du Prince êtant encore en chemin, M. le Com-. te d'Ayen, aujourd'hui Maréchal de Noailles, propofa à Sa Majesté d'envoïer chés les Libraires de Madrid, où l'on trouva deux Editions des Ouvrages du Satirique.

LIX. L'Enfance de M. Defpréaux fut des plus laborieufes. Il fallut le tailler à l'âge de huit ans,

REMARQUES.

(103) le Chevalier de Vendôme. ] PHILIPPE de Vendôme. Il fut depuis Grand Prieur de France & Lieutenant Général des Armées du Roi. Il pofiédoit les Abbaïes de la Trinité de Vendôme, de S. Victor de Marseille,de S. Vigor de Cériu, de S. Honorat de Lereins, de S. Manlui de Toul, & d'Ivri. Quelques années avant la more il fe démit du Grand Prieuré de France en faveur de M. le Chevadier d'Orléans, & fe fit appeller le Prince de Vendôme.

& il fe reffentit toute fa vie de cette opération. Aïant perdu fa Mère de bonne heure, & fon Père êtant tout occupé de fes affaires, l'éducation de ce grand Poéte fut abandonnée à une vieille Servante, qui le traitoit avec empire; & il avoit encore une autre domination à effuïer, c'êtoit celle de Gilles Boileau fon Frère aîné, grand Ami de Cotin & de ChapeJain, & de plus très-jaloux du mérite naissant de fon Cadet,qui paffa fes premières années dans une Guérite au deflus du Grenier de la Maison, où il fut, pour ainfi dire, relégué jufqu'à quinze ans. Il nous difoit fouvent que fi on lui offroit de renaître aux conditions onéreufes de fa première Jeuneffe, il aimeroit mieux renoncer à la vie. Cependant l'excellence de fon naturel furmonta toutes les difgraces de fon éducation. Il n'êtoit encore qu'en Quatrième qu'il fe fentit du talent pour la Poésie ; & dès-lors,déja tout plein de la lecture des anciens Romans, il entreprit de faire une Comédie. “Je fai,, fois, difoit-il, paroître fur la Scène trois Géans prêts à fe battre pour la conquête d'une commune Maîtreffe, lorfqu'un quatrième Géant les féparoit » par ces Vers:

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Gardés pour l'ennemi la fureur de vos coups,,. Il défioit (104) Boyer de lui montrer un seul Vers de cette force dans les cent mille qu'il a faits. Au refte, à propos de la jaloufie de fon Frère aîné, il me citoit (105) l'Epigramme de Linière, dans la

REMARQUES.

(104) Boyer] Voïés la Remarque fur le Vers 34. du IV. Chant de l'Art Poët, Tom. II. pag. 145.

(10) l'Epigramme de Linière, ] Voïés au fujet de cette Epigramme, Tome I. pp. 34. & 35. Rem. fur le Vers 94. de la I. Sat. Au fujet de Linière lui-même, voïés, Tome II. P. 373. Epigr. VI. Yers 6. Rem.

quelle

quelle tous ceux qui en ont parlé ont fupprimé un Vers effentiel, à l'exemple de (106) Richelet; & c'eft ce quatrième Vers qui la rend plus vive & plus foutenue:

Veut-on favoir pour quelle affaire
Boileau le rentier aujourd'hui
En veut à Defpréaux fon Frère?

Qu'est-ce

que Defpréaux a fait pour lui déplaire?

Il a fait des vers mieux que lui.

LX. M. Defpréaux ne feignoit point de dire qué c'étoit un Poëte inconnu, qui lui avoit fourni Î'idée de (107) ces deux Vers de fá I. Satire:

Et que d'un bonnet verd le falutaire affront

Flétriffe les lauriers qui lui couvrent le front. LXI. C'est la fatale néceffité de la Rime qui a attiré à l'Abbé Cotin tous les brocards répandus contre lui dans les Satires de M. Defpréaux. (108) Ce Poéte récitoit à Furetière la Satire du Repas, & fe

REMARQUES.

(106) Richelet ;] CE'SAR PIERRE Richelet, Avocat au Parlement, étoit de Cheminon en Champagne. Il eft Auteur d'un Dictionnaire de Rimes & d'un Dictionnaire François, eftimés l'un & l'autre. On a réimprimé le fecond plufieurs fois avec des augmentations de différentes perfonnes. La première Edition, laquelle eft de 1680. in-4. & celle de Lion 1719. in-folio, que l'on doit au P. Fabre de l'Oratoire, font recherchées: mais la meilleure de toutes eft celle de Lion 1728. in-folio, confidérablement augmentée par M. Aubert, Avocat. Il y a beaucoup d'autres Ouvrages de Richelet. Les plus utiles font: La Connoiffance des Genres François, sirée de l'Ufage & des meilleurs Auteurs ; & le Commencement de la Langue Françoife, ou GRAMMAIRE tirée de l'Ufage & des meilleurs Auteurs. Il mourut à Paris le 29. Novembre 1698. âgé de 67. ans. Tous fes Ouvrages font remplis de traits fatiriques.

(107) ces deux Vers de fa I. Satire: 1 Voïés-y la Rem. fur le Vers 15. Tome I. p. 27.

(108) Ce Poéte récitoit à Furetière] Voïés la Rem. fur le Vers 60, de la III. Sat. Tome I. pag. (5,

Tomé V.

E

trouvoit arrêté par un Hémiftiche, qui lui manquoit :

Si l'on n'eft plus à l'aife affis en un feftin

Qu'aux Sermons de Caffagne...

"Vous voilà bien embarraffé, lui dit Furetière ; & ,, que ne placés-vous-là l'Abbé Cotin,,? Il ne fallut pas le dire deux fois; ce qui juftifia la verité (109) des deux Vers fuivans:

Et malheur à tout nom qui propre à la censure,
Pût entrer dans un Vers fans rompre la mesure.

LXII. M. Bayle agite une affés plaifante question dans fes Lettres, ou Queftions au Provincial. Il fuppofe que M. Defpréaux eût êté choisi pour remplir la place de Cotin à l'Académie, & paroît en peine de quelle manière le Succeffeur fe feroit tiré de l'éloge de fondation du à fon Prédéceffeur, fuivant les Statuts Académiques. Je rapportai la chofe à M. Defpréaux, qui me dit qu'à la vérité il auroit fallu marcher un peu fur la cendre chaude; mais qu'à la faveur des défilés de l'Art Oratoire, il fe feroit échapé d'un pas fi délicat. "Il n'y a rien ,, difoit-il, dont la Rhétorique ne vienne à bout. ,, Un bon Orateur est une espèce de Charlatan: qui fait mettre à propos du baume dans les plaies C'est, lui répliquai-je, ce que vous avés bien prouvé par votre Lettre de raccommodement à M. PER

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RAULT.

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LXIII. M. Defpréaux, (110) en diftinguant la belle Comédie des Farces, qui font fouvent plus rire

REMARQUES.

(109) des deux Vers suivans : ] ART POET. Chant II, 153. & 154. Tome II. page 6.

(110) en diflinguant la belle Comédie des Farces, ] Voïés à propos de cette diftinction, Art Fest, Chant III. Rem. fur les Vers 393400. Tome II. pag. 135.

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