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Je retire de Rome; & qui, en partant, lui laiffe pour adieux les plus beaux traits contre les débordemens des Romains & les Embaras de cette Capitale du Monde. Le Poëte François,en fuivant fon modèle pour le fonds, fubftitua un Poëte au Philofophe & Paris à Rome. Mais il s'apperçut que la duplicité du fujer pouvoit faire tort à fon Ouvrage, de façon qu'il en détacha ce qui regardoit les embaras de Paris, pour en faire une Satire particulière, qui eft la Satire en question. On voit par là qu'elle n'est qu'une fuite de la première, & dans le même goût d'un Poëte de mauvaise humeur, qui fe choque de tout. Les objets y font bien moins grands que dans celle d'où elle a pris naifance; & voilà ce qui donne lieu au Gentilhomme Suiffe de la traiter fi mal. Il s'agit de voir s'il araifon, & fi le Poëte n'eût pas tout gâté, en prenant un vol plus haut dans un Poëme, où il ne falloit qu'un efprit très-modéré. Je vais fuivre la Critique pas à pas, malgré la longueur rebutante qu'entraîne un long tiffu d'objections prefque toutes frivoles: mais je crois qu'il eft à propos de tiver au moins du rang des mauvais Ouvrage une Satire, qui, quoiqu'en dife le Critique trop favorable à je ne fais quel intérêt fecret de quelques François mécontens de DESPRE'AUX, n'est pas indigne des fuffrages, dont elle a joui jufqu'à préfent. Il me permettra donc de faire ce que fon Abbé trop complaifant ne fit point, & de lui adreffer la parole.

Voilà quelles ont êté les intentions du P. Brumoy. J'ajoute qu'il les a remplies par tout, finon en Critique, du moins en Homme d'efprit. Je me vois obligé, malgré moi, de commencer par faire cette reftriction, parce que, dès fon début même, il donne à fon Adverfaire occafion de l'accufer d'un manque de jugement. C'eft par Broffette, que le Public a fu qu'originairement la VI. Satire avoit fait partie de la I. mais quand Broffette l'a dit, il y avoit

plus de cinquante ans que le Public applaudiffoit à la VI. Satire, en ignorant cette particularité, dont Defpréaux n'avoit pas cru le devoir inftruire. Notre Poëte n'a jamais pensé lui-même que l'on dût regarder la VI. Satire comme êtant, en quelque forte, une feconde partie de la I. Il n'a jamais voulu que l'on fupposât, qu'il faifoit parler le même Perfonnage dans toutes les deux. Il n'êtoit pas Homme à négliger fes avantages. Il faut donc confidérer ces deux Pièces telles qu'il les a données, c'està-dire, comme n'aïant ensemble aucun rapport. En vain nous fait-on obferver, que les deux Sujets traités dans ces deux Pièces, avoient êté réunis par Juvénal dans une même Satire, qui fert d'original à toutes les deux. En vain fe charge-t-on de répèter la mauvaise raison, pour laquelle Broffette dit que le Poëte prit le parti de compofer deux Satires de ce qui n'en faifoit qu'une. La Description des Embaras de Paris, jointe à la cenfure des mauvaises mœurs de fes Habitans, ne faifoit pas plus une duplicité de fujet dans la I. Satire de nôtre Auteur que les Embaras de Rome,joints à la cenfure des mauvaifes mœurs de fes Habitans,ne le font dans la III. Satire de Juvénal, de laquelle le Sujet eft certainement un. C'eft un Philofophe, qui rend comte à fon Ami de toutes les raifons, qu'il a pour ne vouloir plus demeurer à Rome; & les Embaras de cette Ville trouvent place très-naturellement parmi cette foule de raisons. La même chofe devoit arriver à la I. Satire de nôtre Auteur. Pourquoi donc les Amis de Defpréaux lui confeillèrent-ils d'en retrancher les Embaras de Paris? Nous n'en pouvons juger que par la VI. Satire, telle que nous l'avons. La première raifon, que les Amis de Defpréaux purent avoir, c'est que la Description, dont il s'agit, lenr parut trop longue pour avoir place dans un Ou vrage, où l'Auteur avoit à s'étendre fur différentes

matières beaucoup plus importantes. Celle-là n'y devoit être touchée qu'en paffant & très-légèrement. La feconde raison eft la difparité du Stile. DESPRE'AUX, dont le goût n'êtoit pas encore formé dont le jugement n'êtoit pas encore muri, compofa fa I. Satire en Ecolier, qui s'effaie, & qui fachant, à peu près, donner à chaque chofe le ton, qui lui convient, n'en fait pourtant pas encore affés pour entremêler, pour unir ces différens tons de manière, qu'il paroiffe n'en réfulter qu'un ton général, , qui foit celui de tout l'Ouvrage. Le ton de la I. Satire eft très-différent de celui de la VI. & cette dernière, inférée dans l'autre, y faifoit une difparate, qui devoit choquer jufqu'aux Lecteurs les moins délicats. Voilà les deux raifons pour lefquelles Defpréaux, foit de lui-même, foit, comme Brossette le dit, par le confeil de fes Amis, prit le parti de faire deux Pièces, de ce dont il avoit cru devoir n'en faire qu'une; de ce qui fe feroit trouvé néceffairement renfermé dans l'unité d'un fujet affés fimple, quoique très-fécond pour la Satire, fi l'Auteur eût êté plus habile, qu'il n'êtoit alors; & s'il eût fu traiter ce Sujet entier, comme il le devoit être. Laiffons donc là la I. Satire. Elle n'a rien de commun avec la VI. Il faut confidérer celle-ci feule, en ellemême, comme un Ouvrage indépendant de tout autre, en un mot telle que le Public l'a reçuë des mains de l'Auteur. L'Anecdote révélée par Brof fette ne doit rien changer à la nature, au caractère, au fort de cette Pièce. C'eft fur ce pied que je me propofe d'examiner la Critique de M. de Muralt & l'Apologie du P. Brumoy. L'un & l'autre infère la Pièce entière dans fon Ecrit. Je ne puis pas me difpenfer d'en faire de même, chacune de leurs Obfervations êtant relative aux Vers, qui la précèdent. Je rapporterai les Remarques de M. de Muralt en entier. J'en uferai de même, à peu près,

pour les Réponses du P. Brumoy, dans lefquelles je
ferai forcé de changer ou d'ajouter, ou de retran-
cher quelques mots, pour les adapter à l'usage, que
j'en veux faire. J'ajouterai par tout mes propres
réflexions, dans lesquelles je tâcherai de fixer le
véritable jugement, que l'on doit porter de la VI.
Satire, qui malgré la petiteffe du Sujet, n'eft pas
celui des Ouvrages de Defpréaux, qui me paroît
le moins eftimable.
II. Page 97.

QUI frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris?
Eft-ce donc pour veiller qu'on fe couche à Paris?

M. DE MURALT. VOILA de grandes Excla mations. Elles ne conviennent peut être pas trop bien à un Début, qui a bonne grace d'être fim. ple: mais elles conviennent à la Satire, au fujet que le Poëte s'eft choift ; car à Paris il n'y a peu de Nuits, où il n'arrive quelque trifte évènement, des cris pouffés, qui allarment ceux qui

les entendent.

LE P. BRUMOY.

LI Début vous paroît peu fimple. Vous le paffés toutefois en faveur de la Satire & du Sujet que le Poëte a choifi. Que ce foit là une raillerie, ou non, il eft certain que l'humeur chagrine d'un Poëte, à qui tout déplaît rend ces exclamations très-naturelles, & ne fouffre point d'autre début. C'est le Mifanthrope, qui entre fur la

Scène.

La Réponse ne détruit point la Critique. DESPRE AUX ne débute point par de grandes Exclamations. Son fecond Vers eft une pure Plaifanterie exprimée dans le Stile le plus fimple: & le premier, dont l'expreffion Poëtique a quelque chofe de noble, rentre dans le Stile fimple par cette exclamation, bon Dieu! laquelle eft du Langage le plus familier. Le Poëte pouvoit mettre de même, O Ciel! mais fon Vers eût êté du ton tragique, & n'eût pas convenu pour commencer une Pièce, dans laquelle il fe propofe de badiner, en affectant un air férieux. Ce n'eft donc point le Mifanthrope, qui

entre fur la Scène, ce n'eft point un Poëte que fon humeur chagrine fait invectiver contre les Incommodités du féjour de Paris. C'eft au contraire, un Poëte qui veut égaïer fes Lecteurs, & qui s'égaie tout le premier en décrivant ces Incommodités d'une manière, qui n'eft férienfe qu'en apparence, & qui par là n'en eft au fonds que plus badine. Il faut excepter quelques endroits, où la nature des objets ne permet pas de badiner. Voilà le point de vụë, fous lequel il faut envisager toute la VI. Satire; & ce qui fait d'abord fentir toute l'infipidité de la raillerie du Critique Suiffe.

III. Page 97.

Et quel fâcheux Démon durant les nuits entieres,
Raffemble ici les chats de toutes les goutieres?

MUR. Ce n'est pas à cette chute que le Lecteur s'attend; ces chats, quoique raffemblez par un Démon, ne font pas des Perfonnages, qui ornent une Satire.

BRUM. Ces chats vous paroiffent une chute à laquelle on ne s'attend point, & tout-àfait hors de fa place. Vous auriez voulu quelque trait, qui répondit à ces grandes exclamations du commencement. J'ofe dire, moi, que cette chute eft en fa place, précisément parce qu'on ne s'y attend point, & qu'un objet plus confidérable auroit êté déplacé. L'embaras d'un Poëte, qui ne peut même dormir tranquillement à Paris, eft ce qu'on veut peindre avec un air de plaifanterie; & la plaifanterie confifte en ce que les plaintes du Poëte,qui sembloient promettre beaucoup, fe tournent d'abord fur le tintamare des chats, pour pasfer enfuite par dégrés à d'autres objets.

Le fecond Vers êtant une pure Plaifanterie,je m'attens que le Poëte, dont le deffein est annoncé dès ce Vers, me va fournir un objet comique pour fujet de fa feinte colère; & quand il fe rabat fut les Chats, dont les cris le réveillent, il remplit mon attente. Je ne comtois fur rien de plus confidérable. Cette réflexion fait tomber également & la Critique & la Réponse. C'est en vain que le P. Brumoy fait remarquer que l'incommodité caufée par les CHATS devoit être plus fenfible à DESPRE'AUX qu'à un autre,

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