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,,& de Beauvilliers. Après m'avoir harcelé par ,, plufieurs raifons qui n'êtoient pas trébuchantes, croïant m'avoir mis au pied du mur, il me dit ,, avec un fourire amer & dédaigneux: Répondés, ,, répondés à cela. Comme je vis que la chofe étoit » pouffée avec une hauteur, qui ne me convenoit ,, pas, j'eus le courage de lui dire: Monfieur, j'ai toujours fait ma principale étude de la Poëtique; tout le monde convient même que j'en ai écrit avec », affés de fuccès; fi vous voulés que je vous réponde, ,, il faut que vous confentiés que je vous inftruife au moins trois jours de fuite. Après cela je lui décochai fix préceptes des plus importans d'Ariftote. II ,, fe fentit batu. Toute la Compagnie rioit dans ,, l'âme ; & M. Racine, en fortant, me dit : O le bra,,ve homme que vous êtes! Achille en personne n'au,,roit pas mieux combatu que vous

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VIII. Le vieux (18) Duc de La Feuillade aïant rencontré M. Defpréaux dans la Galerie de Verfailles, lui récita un Sonnet de (19) Charleval adreffé à une Dame, & le Sonnet finiffoit par ces Vers: Ne regardez point mon visage,

Regardez feulement à ma tendre amitié.

M. Defpréaux lui dit qu'il n'y avoit rien d'extraor

REMARQUES.

(18) Duc de la Feuillade] FRANÇOIS, Vicomte d'Aubuffon, Duc de La Feuillade, Pair & Marêchal de France, Colonel des Gardes Françoifes, Chevalier des Ordres du Roi, Gouverneur de Dauphiné,mourut fubitement la nuit du 18. au 19.Septembre 1691. C'eft à lui, que Paris eft redevable de la Place des Victoires, il fit en partie la dépense.

dont

(19) Charleval] CHARLES Faucon de Ris, Seigneur de Charleval, Neveu, Frère & Oncle de MM. Faucon de Ris, tous trois Premiers Préfidens du Parlement de Normandie; êtoit d'une complexion fi foible, qu'on ne croïoit pas qu'il dût vivre longtems. Il ne mourut pourtant que dans fa quatre-vingtiéme année; &, malgré la délicateffe de fon tempérament, il dut au Régime une affés bonne fanté. L'étude des Belles-Lettres fit toute fon oc

dinaire dans ce Sonnet; que d'ailleurs il ne donnoit pas une idée riante de fon Auteur, & que même à la rigueur la dernière pensée pourroit paffer pour un Jeu de mots. Là-deffus le Marêchal,aïant apperçu (20) Madame la Dauphine qui paffoit par la Galerie, s'élança vers la Princeffe, à laquelle il lut le Sonnet dans l'efpace de tems qu'elle mit à traverfer la Galerie. Voilà un beau Sonnet, M. le Mare’CHAL, répondit Madame la Dauphine, qui ne l'avoit peut-être pas écouté. Le Maréchal accourut fur le champ pour rapporter à M. Defpréaux le jugement de la Princeffe, en lui difant d'un air moqueur, qu'il êtoit bien délicat de ne pas approuver un Sonnet, que le Roi avoit trouvé bon, & dont la Princeffe avoit confirmé l'approbation par fon fuffrage. "Je ne doute point, répliqua M. Def,, préaux, que le Roi ne foit très-expert à prendre ,, des Villes, & à gagner des Batailles. Je doute encore auffi peu que Madame la Dauphine ne foit ,, une Princeffe pleine d'efprit & de lumières. Mais, ,, avec vôtre permiffion, M. le Maréchal, je crois

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me connoître en Vers auffi-bien qu'eux,,. Là-deffus le Maréchal accourt chés le Roi, & lui dit d'un

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REMARQUES.

cupation mais il êtoit peu communicatif. L'agrêment de fa converfation le fit rechercher de tout le monde, & la plufpart des Ecrivains de fon tems ont loué la juftefle de fon ftile & la déli carefle de fon goût. Il portoit quelquefois cette dernière jufqu'au rafinement. Nous n'avons qu'un petit nombre de fes Ouvrages difperfés en différens Recueils. Après fa mort les Originaux de fes Lettres & de fes Poëfies tombèrent entre les mains de fon Neveu le Premier Préfident, qui moins communicatif encore que Charleval lui-même, refufa de les laiffer imprimer. On a toujours cru que c'êtoit une véritable perte pour le Public. Le peu qui nous refte de cet Ecrivain délicat, le fait juger digne d'une des premières places parmi nos Auteurs agréables.

(20) Madame la Dauphine, ] MARIE-ANNE-Chriftine-Victoire, de Bavière, Aïeule du Roi Louis XV, avoit époufé Louis Dauphin, Fits de Louis XIV. le 7. Mars 1680. Elle mourut le 29. Avril 1690.

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air vif & impétueux: "SIRE, n'admirés-vous pas l'infolence de Defpréaux, qui dit fe connoître en „Vers un peu mieux que Vôtre Majefté,,? Oh! pour cela, répondit le Roi, je fuis fâché d'être obligé de vous dire, M. le Marêchal, que Defpréaux araifon.

IX. Peu après le paffage du Rhin, le Roi êtant à Verfailles, milles plumes célèbrèrent l'heureuse Campagne du Prince; & l'Epitre de M. Defpréaux fur ce fameux paffage, fut donnée à Sa Majefté toute des premières. Dans le même tems le Roi reçut des Vers de Boiffet, Surintendant de la Mufiqué. C'êtoient des Vers plats de la dernière platitude, comme difoit M. Defpréaux. Le Roi voulut donner le change à (21) Mefdames de Montefpan & de Thiange; comme fi ces Vers êtoient de Despréaux : mais elles fe récrièrent hautement: Ce n'eft point notre Ami, qui les a faits. "Or voïons, dit le Roi, , s'il n'aura point fait ceux que je vais vous lire Là deffus Sa Majefté vint à lire l'Epître de Defpréaux mais avec des tons fi enchanteurs, que Madame de Montefpan lui arracha l'Epître des mains, en s'écriant qu'il y avoit là quelque chofe de furnaturel, & qu'elle n'avoit jamais rien entendu de fi bien prononcé. Elle trouva la Pièce en effet digne de celui qui l'avoit fi bien récitée. M. Def préaux m'a dit que l'idée de fon Epître lui étoit venuë (22) d'une Epigramme de Martial adreffée à

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REMARQUES.

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(21) Meldames de Montefpan & de Thiange, ] Sœurs l'une & l'autre du Marêchal Duc de Vivonne. 11 eft parlé d'elles en plufieurs endroits dans les Notes des deux premiers Volumes. Voïés en particulier, Tome II. p. 437. Rem. 2.

[22) d'une Epigramme de Martial] M. De Lofme n'eft affurément rien moins qu'exact dans le fait, qu'il rapporte ici. Voïés ce qu'on a dit à ce fujet dans l'Avertissement fur l'Epitre IV. Tome 1. PP. 498. & 492.

un certain Hippodamus, qui lui avoit demandé des Vers à fa loüange: mais le Poëte s'excufe de lui en donner, fur ce qu'il porte un nom qui feroit peur aux Mufes. Tels êtoient les noms des Villes que le Roi avoit prises dans la Hollande, & M. Defpréaux n'avoit garde de les faire entrer férieufement en Poëfie; (23) écueil où tomba Corneille dans les Vers,qu'il préfenta au Roi fur le fuccès de fa Campagne. (24) L'Abbé Caffagne présenta auffi les fiens; mais au lieu de s'en tenir au paffage du Rhin, comme avoit fait prudemment M. Defpréaux, il jettoit un lugubre dans fa Pièce, en parlant de la mort du (25) Comte de Saint-Pol, qu'il louoit d'avoir enfin trouvé la mort, qu'il avoit tant de fois cherchée.

X. M. Defpréaux fe trouvant un jour avec des Impies, qu'il voïoit pour la première fois, n'eut pas de peine à les tourner en ridicule; car au lieu que ces fortes de gens ont toujours quelque fophifme éblouiffant, & qu'au défaut de la raison, ils foutiennent leur caufe défefpérée avec efprit,ceux-ci au contraire s'enferroient d'eux-même par leurs argumens

REMARQUES.

(23) écueil où tomba Corneille &c.] C'eft de Pierre Corneille dont on parle. Mais on lui donne un coup de dent affés mal-à-propos. 1. La faute qu'on impute à Corneille, doit moins tomber fur lui que fur le P. de La Rue célèbre Jéfuite, Auteur d'un Poëme Latin fur le Paffage du Rhin, que l'on avoit engagé Corneille à traduire. Les Vers François de ce dernier doivent paffer pour une très-bonne Traduction. 2°. Il y a de la petiteffe à croire qu'un Nom propre un peu dur ne puifle pas entrer dans la Poefte Héroïque. On fent bien que fi de pareils Noms fe trouvoient dans tous les Vers, ils les rendroient très défagréables. Mais qu'il y en ait quelques-uns dans le cours d'une Pièce d'un peu longue halène; c'eft un inconvénient du Sujet, dont il n'y a qu'une fauffe délicateffe, qui puifle faire un crime au Poëte.

(24) L'Abbé Caffagne] JACQUES Caffagne, de l'Académie Francoife, Docteur en Théologie & Garde de la Bibliothèque du Roi, Voïés, Tome I. Sat. III. Vers 60. Tome II. Lett, de Perr. p. 306. Rem. 7. & Chapelain Décoiffé, P. 455. Rem.

(25) du Comte de Saint-Pol,1 Voiés, Avertiffement fur l'Epitre IV. Tome I. P. 297. Rem. 4.

déplorables. "Je leur débauchai, difoit M. Def », préaux, tous les Rieurs; & quand ils furent fortis, je dis à mon Frère: Ah, mon Frère, que. Dieu a là deux fots ennemis

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XI. M. Defpréaux n'a jamais rien imprimé qu'à fon corps défendant; les jugemens du Public lui aïant toujours fait peur; & c'eft un fcrupule qu'il a porté jusqu'à fa dernière vieilleffe. La première Edition, qui parut de fes Satires fut faite fans fon aveu, & par la fupercherie d'un Libraire, qui furprit un Privilége. Barbin vint en fecond pour effaïer d'en obtenir un de fon côté. M. Defpréaux ne s'y oppofa point, mais lui fit entendre qu'il ne feroit aucune demarche pour l'impreffion, & que c'êtoit aflés qu'il ne s'y oppofât point. Dans ce tems-là M. le Chancelier venoit de mourir, & M. Defpréaux. avoit commencé fon Art Poëtique. BARBIN vint au Sceau, que le Roi tenoit lui-même à Saint-Germain. D'abord on préfenta à Sa Majefté le Livre d'un Moine, dont le titre êtoit très-fingulier, ce qui excita le Roi à rire, en accordant le Privilége pour douze ans, quoiqu'il ne fût demandé que pour fix. Barbin fe préfenta enfuite tenant à la main une feuille de l'Art Poëtique, pour lequel il demandoit le Privilége au nom de M. DESPRE AUX. Oh! Pour celui-là, reprit le Roi, je le connois. M. Defpréaux n'avoit point pourtant paru encore à la Cour. Auffitôt le Privilége fut fcellé; mais le Sceau fini, (26) M. Péliffon Maître des Requêtes remontra au Roi qu'il venoit d'accorder un Privilége à (27) un Homme, qui avoit attaqué toute l'Académie. Le Roi

REMARQUES.

(26) M. Peliffon ] PAUL Peliffon de Fontanier, de l'Académie Francoife. Il n'êtoit pas des Amis de M. Despréaux. Voïés, Tome II. Epigr. LIV. pag. 420.

(17) un Homme qui avoit attaqué toute l'Académie, ] On va voir

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