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DE

MADAME DE SOUZA

NOUVELLE ÉDITION,

Précédée d'une Notice sur l'Auteur et ses Ouvrages,

PAR M. SAINTE-BEUVE.

Adèle de Sénange.
'Charles et Marie.
Eugène de Rothelin.

PARIS,

CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

29, RUE DE SEINE.

1840.

+16975

Exammers in nioderu languages.

846 55

2.1

NOTICE

-SUR MADAME DE SOUZA

ET SES OUVRAGES.

Un ami qui, après avoir beaucoup connu le monde, s'en est presque entièrement retiré et qui juge de loin, et comme du rivage, ce rapide tourbillon où l'on s'agite ici, m'écrivait récemment à propos de quelques aperçus sur le caractère des œuvres contemporaines « Tout ce que vous me dites de nos sublimes m'intéresse au dernier point. Vraiment, ils le sont ! Ce qui manque, c'est du calme et de la fraicheur, c'est quelque belle eau pure qui guérisse nos palais échauffés. » Cette qualité de fraicheur et de délicatesse, cette limpidité dans l'émotion, cette sobriété dans la parole, ces nuances adoucies et reposées, en disparaissant presque partout de la vie actuelle et des œuvres d'imagination qui s'y produisent, deviennent d'autant plus précieuses là où on les rencontre en arrière, et dans les ouvrages aimables qui en sont les derniers reflets. On aurait tort de croire qu'il y a faiblesse et perte d'esprit à regretter ces agrémens envolés, ces fleurs qui n'ont pu naitre, ce semble, qu'à l'extrème saison d'une société anjourd'hui ́ détruite. Les peintures nuancées dont nous parlons supposent un goût et une culture d'âme que la civilisation démocratique n'aurait pas abolis sans incon

a

vénient pour elle-même, s'il ne devait renaitre dans les mœurs nouvelles quelque chose d'analogue un jour. La société moderne, lorsqu'elle sera un peu mieux assise et débrouillée, devra avoir aussi son calme, ses coins de fraicheur et de mystère, ses abris propices aux sentimens perfectionnés, quelques forêts un peu antiques, quelques sources ignorées encore. Elle permettra, dans son cadre en apparence uniforme, mille distinctions de pensées et bien des formes rares d'existences intérieures; sans quoi elle serait sur un point très au dessous de la civilisation précédente et ne satisferait que médiocrement toute unc famille d'ames. Dans les momens de marche ou d'installation incohérente et confuse, comme le sont les temps présens, il est simple qu'on aille au plus important, qu'on s'occupe du gros de la manœuvre, et que de toutes parts, même en littérature, ce soit l'habitude de frapper fort, de viser haut et de s'écrier par des trompettes ou des portevoix. Les grâces discrètes reviendront peut-être à la longue, et avec une physionomie qui sera appropriée à leurs nouveaux alentours; je le veux croire; mais, tout en espérant au mieux, ce ne sera pas demain sans doute que se recomposeront leurs sentimens et leur langage. En attendant, l'on sent ce qui manque, et parfois l'on en souffre: on se reprend, dans certaines heures d'ennui, à quelques parfums du passé, d'un passé d'hier encore, mais qui ne se retrouvera plus; et voilà comment je me suis remis l'autre matinée à relire Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange, et pourquoi j'en parle aujourd'hui.

Une jeune fille qui sort pour la première fois du couvent où elle a passé toute son enfauce, un beau lord élégant et sentimental, comme il s'en trouvait vers 1780 à Paris, qui la rencontre dans un léger embarras et lui apparaît d'abord comme un sauveur, un très-vieux mari, bon, sensible, paternel, jamais ridicule, qui n'épouse la jeune fille que pour l'affranchir d'une mère égoïste et lui assurer fortune et avenir; tous les événemens les plus

simples de chaque jour entre ces trois êtres qui, par un concours naturel de circonstances, ne vont plus se séparer jusqu'à la mort du vieillard; des scènes de parc, de jar din, des promenades sur l'eau, des causeries autour d'un fauteuil; des retours au couvent et des visités aux anciennes compagues; un babil innocent, varié, railleur on tendre, traversé d'éclairs passionnés; la bienfaisance se mêlant, comme pour le bénir, aux progrès de l'amour ; puis, de peur de trop d'uniformes douceurs, le monde an fond, saisi de profil, les ridicules ou les noirceurs indiqués, plus d'un original ou d'un sot marqué d'un trait divertissant au passage; la vie réelle en un mot, embrassée dans un cercle de choix; une passion croissante, qui se dérobe, comme ces eaux de Neuilly, sous des rideaux de verdure et se replie en délicieuses lenteurs; des orages passagers, sans ravages, semblables à des pluies d'avril; la plus difficile des situations honnêtes menée à fin jusque dans ses moindres alternatives, avec une aisance qui ne penche jamais vers l'abandon, avec une noblesse de ton qui ne force jamais la nature, avec une mesure indulgente pour tout ce qui n'est pas indélicat; tels sont les mérites principaux d'un livre où pas un mot ne rompt l'harmonie. Ce qui y circule et l'anime, c'est le génie d'Adèle, génie aimable, gai, mobile, ailé comme l'oiseau, capricieux et naturel, timide et sensible, vermeil de pudeur, fidèle, passant du rire aux larmes, plein de chaleur et d'enfance.

On était à la veille de la révolution, quand ce charmant volume fut composé; en 93, à Londres, au milieu des cal ́ımités et des gênes, l'anteur le publia. Cette Adèle de Sénange parut dans ses habits de fête, comme une vierge de Verdun échappée au massacre, et ignorant le sort de ses compagnes.

Madame de Souza, alors Madame de Flahaut, avant d'épouser fort jeune le conte de Flahaut, àgé déjà de cinquante-sept ans, avait été élevée au couvent à Paris. C'est ce couvent même qu'elle a peint sans donte dans

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