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« Ah! me répondit elle d'un air timide et tendre, il fait si beau aujourd'hui ! ne parlons pas des jours d'orage. »

Aussitôt que nos parens apprirent qu'Athénaïs était libre, ils fixèrent le jour de notre union.

C'est à la campagne, c'est loin du monde que je reçus la main d'Athénaïs.—« Je suis superstitieuse, nous disait madame d'Estouteville; les feux de joie m'effraient. Le malheur est un maître qu'il ne faut ni avertir ni tenter. »

Après la cérémonie, j'aperçus dans l'église la bonne Agathe, son mari, sa mère et ses deux petits enfans. Ils avaient tous de gros bouquets pour fêter mon bonheur; on voyait sur leur visage qu'ils vcnaient de le demander au ciel. Je regardais Agathe, l'exemple du village, la joie de son époux, l'honneur de sa mère;... je pensai à mes premières années ; je regardai aussi mon père, et je saluai cette heureuse famille avec satisfaction.

De retour au château, lorsque nous nous trouvâmes seuls, je pressai mon père dans mes bras; je ne pouvais assez lui dire combien la vie s'offrait à moi brillante de vertus et d'amour.

Athénaïs remerciait tout bas madame d'Estouteville; et cette excellente mère embrassait sa petitefille avec tant de tendresse! On eût dit que c'était uniquement pour lui faire plaisir qu'Athénaïs paraissait heureuse. J'étais ravi, enchanté ! madame d'Estouteville riait de mes transports. <«< Eugène, me dit-elle, comme votre amie, je dois cependant vous

en prévenir; le mariage est grave: pour l'ordinaire, il ne trouve l'amour bon qu'à rendre l'amitié plus parfaite. » — Ah! maman! s'écria Athénaïs toute fachée, pouvez-vous parler ainsi de l'amour?--Mon enfant, reprit la maréchale, c'est qu'il a un peu perdu dans mon esprit. Mais, malgré mon irrévérence, si jamais vous croyez avoir à vous en plaindre, ne le dites qu'à moi. »

FIN D'EUGÈNE DE ROTHELIN.

CONTE **

Une morale nue apporte de l'ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
LA FONTAINE.

Il y avait une fois une reine qui croyait que rien ne pouvait s'opposer à ses désirs. Les dieux, dans un moment de complaisance, lui avaient donné une fille d'une beauté si rare, qu'avant d'avoir atteint sa quinzième année, elle était déjà l'objet de l'admiration générale. Les poètes la célébraient dans leurs vers, et elle inquiétait surtout l'amour-propre des femmes.

On la nommait Aglaé. Elle avait de la noblesse dans les traits, et cependant un extérieur modeste. Avec de l'esprit naturel, de la sensibilité, des dis

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Ce petit ouvrage est celui que madame de Verneuil donne à lord Sydenham, dans Adèle de Sénange.

** Ce conte a été fait pour une jeune personne que sa toilette occupait beaucoup; elle avait déjà tous les défauts d'Aglaé, que nous n'avons fait princesse que par égard pour la Fée, qui ne pouvait pas trop se mêler d'une éducation ordinaire.

positions à la bienveillance, Aglaé, sans mériter tout-à-fait des ridicules, fournissait souvent des prétextes à ceux que la malignité amuse. Les soins. outrés de sa toilette absorbaient sa journée; les modes les plus exagérées étaient celles qu'elle préférait; et sa taille souple et légère perdait toute sa grâce sous l'amas fastueux des étoffes les plus riches. Quant à son esprit, tout ce qu'il fallait apprendre la fatiguait. Les leçons la conduisaient à la mélancolie, - l'étude aux vapeurs, le raisonnement à la tristesse. Pour la guérir de tant de maux, il fallait lui parler de sa beauté, de ses parures, sujet intarissable de ses conversations et de ses plaisirs.

La reine, mère d'Aglaé, comme toutes les mères tendres et faibles, s'amusa d'abord de ce besoin de briller, et l'augmenta peut-être en cédant à des fantaisies qu'elle crut toujours pouvoir gouverner. Sous le prétexte de la rendre heureuse, elle avait commencé par la gâter. N'ayant pas la force de l'affliger, espérant du temps ce qu'elle ne pouvait attendre de son courage, cette mère aveugle reculait toujours l'époque d'une éducation plus sévère. Dans l'enfance, elle voyait devant elle des années pour corriger sa fille et l'instruire; à présent elle attendait l'âge et la raison. Insensiblement elle l'aurait amenée à être comme presque toutes les femmes, qui passent leur vie à se dire trop jeunes pour savoir, jusqu'au jour où elles se croient trop vieilles pour apprendre.

Du temps que les royaumes méritaient les soins

des êtres surnaturels, ces génies bienfaisans surveillaient les humains, réparaient les excès de la précipitation ou les maux nés de l'insouciance : ils rendaient les erreurs des rois moins funestes, et rétablissaient tout à la fois leur gloire et la félicité de leurs peuples. Ces êtres merveilleux se nommaient des Fées.

Celle qui protégeait les augustes parens d'Aglaé vint à leur secours. Elle suppléa leur volonté tardive, enleva leur fille, la transporta dans une île déserte, et lui donna une gouvernante sévère dans ses principes, mais que le repentir des fautes rendait indulgente; une de ces femmes rares, dont l'excellent esprit aurait pu se passer de l'expérience, et qui, vouées par penchant à la raison, mettent au rang de leurs devoirs l'art de la rendre aimable; une de ces femmes enfin, qui savent bien à quoi s'en tenir sur la prétendue perfection humaine, mais qui gardent soigneusement leur secret de peur que la jeunesse n'en abuse telle était celle qui devait seconder les vues de la Fée.

On sait que ces espèces de divinités terrestres ne font rien comme les autres et préfèrent toujours les moyens les plus bizarres; ce qui, soit dit en passant, prouve de leur part une grande connaissance des hommes.

La Fée transporta dans cette île les vieilles les plus décrépites de la cour, celles dont la jeunesse avait été célèbre par la beauté, l'esprit et les inconséquences car, je ne sais pourquoi ces dons

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