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d'humeur, qu'un des fils s'étant cassé, tout un rang de perles s'échappa. La mère se récria sur la maladresse de sa fille, sur la valeur de ces perles qui étaient uniques par leur grosseur et leur égalité. Elles ont coûté bien cher, dis-je en regardant Adèle, qui me répondit en prenant à son tour l'air du dédain: elles sont sans prix........ Je la considérai avec étonnement elle baissa les yeux et ne me parla plus.

Que veut-elle dire avec ces mots sans prix ?..... Sa mère faisait un tel bruit, se donnait tant de mouvement, que nous nous mimes aussi à chercher. Ces perles étaient toutes tombées dans la loge; j'en retrouvai la plus grande partie, et les rendis à Adèle, qui me dit avec assez d'aigreur, qu'elle regrettait la peine que j'avais prise pour elle. Sa mère s'émerveilla sur le bonheur de m'avoir toujours de nouvelles obligations, et me pria d'aller leur demander à diner un des jours suivans. Je refusai; elle insista: mais sa fille eut tellement l'air de le redouter, qu'aussitôt j'acceptai. Cependant ces mots sans prix me reviennent sans cesse.... Ah! si elle était victime de l'ambition, de l'intérêt ! Si elle avait été sacrifiée!... Que je la plaindrais !.... Mais sa gaieté! cette gaieté vient tout détruire. Que ne puis-je l'oublier!

LETTRE VI. Paris, ce 20 juin.

J'ai été diner chez Adèle aujourd'hui, mon cher Henri, et comme vous aimez les portraits, les détails,

je vais essayer de vous faire partager tout ce que j'ai ressenti. Je suis arrivé chez elle un peu avant

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l'heure où l'on se met à table. Jugez si j'ai été étonné de la trouver habillée avec la plus grande simplicité : une robe de mousseline plus blanche que la neige, un grand chapeau de paille sous lequel les plus beaux cheveux blonds retombaient en grosses boucles; point de rouge, point de poudre; enfin, si jolie et si simple, que j'aurais oublié son mariage, sa magnificence, sa gaieté, si son vieux mari ne me les avait rappelés plus vivement que jamais. Cependant il m'a reçu avec assez de bonhomie, m'a fait mettre à table près de lui, m'a appris qu'il avait été en Angleterre, il y avait plus de cinquante ans ; qu'il en avait alors vingt, et qu'il y avait été bien heureux. Pendant tout le diner, il m'a parlé des Anglaises qu'il avait connues. Aucune d'elles ne vivait plus ; et j'étais si peiné de répondre à chaque personne qu'il me nommait, elle est morte.... elle n'existe plus; - déjà!... encore! disait-il tristement. Les compagnons de sa jeunesse, qu'il avait vus mourir successivement, l'avaient moins frappé. Ce n'avait jamais été que la maladie d'un seul, la perte d'un seul qui l'avait affligé; mais là, il se rappelait à la fois un grand nombre de gens qu'il n'avait pas vus vieillir, quoiqu'il se souvint qu'ils fussent tous de son âge. J'étais si fâché des retours qu'il devait faire sur lui-même, que, lorsqu'il m'a nommé une de mes tantes, que nous avons perdue à vingt ans, j'ai senti une sorte de douceur à lui apprendre qu'elle

était morte si jeune et lui-même, probablement sans s'en rendre raison, s'est arrêté à elle, ne m'a plus parlé que d'elle, et s'est beaucoup étendu sur le danger des maladies vives dans la jeunesse. Je suis entré dans ses idées; je ne m'occupais que de lui; et réellement j'étais si malheureux de l'avoir attristé, que j'aurais consenti volontiers à passer le reste du jour à l'écouter ou à le distraire.

Après dîner, nous sommes retournés dans le salon. Monsieur de Sénange s'est endormi dans son immense fauteuil; Adèle s'est mise à un grand métier de tapisserie, et moi je me suis approché d'elle. Je la regardais travailler avec plaisir. J'étais bien aise que le sommeil de son mari, la forçant à parler bas, nous donnât un air de confiance et d'intimité, auquel je n'aurais pas osé prétendre. Le respect qu'elle paraissait avoir pour son repos, sa douceur, tout faisait renaître en moi le premier intérêt qu'elle m'avait inspiré.

En observant la simplicité de sa parure, j'ai osé lui dire que je la trouvais presque aussi belle que le jour où elle était sortie du couvent; elle m'a répondu assez sèchement, qu'elle ne faisait jamais sa toilette que le soir. J'ai vu qu'elle aurait été bien fâchée que je crusse que c'était pour moi qu'elle avait renoncé à tout son éclat; mais le craindre autant, n'était-ce pas me prouver un peu qu'elle y avait pensé ? Elle m'a fait beaucoup d'excuses de m'avoir reçu en tiers avec eux, a dit que, sa mère étant malade, elle n'avait pas osé inviter du monde sans elle....; que si

elle avait su où je demeurais elle m'aurait fait prier de prendre un autre jour.... et, sans attendre ma réponse, elle s'est levée en me demandant la permission d'aller rejoindre sa mère. Elle a fait venir quelqu'un pour rester auprès de son mari, et, marchant sur la pointe des pieds, elle est sortie pour aller remplir d'autres devoirs. Je l'ai conduite jusqu'à l'appartement de sa mère. Avant de me quitter, elle m'a renouvelé encore toutes ses excuses.... Ditesmoi, Henri, pourquoi cet excès de politesse m'affligeait? Pouvais-je attendre d'elle plus de bonté, plus de confiance? - Lorsqu'à l'Opéra elle me reconnut, m'appela, me reçut avec l'air si content de me revoir, n'ai-je pas cherché à lui déplaire, à l'offenser? Sans la connaître, n'ai-je pas osé la juger, lui montrer que je la blâmais, et de quoi? D'avoir, à seize ans, paru s'amuser d'un spectacle vraiment magique, et qu'elle voyait pour la première fois. Si je la croyais malheureuse, n'était-il pas affreux de lui faire un crime d'un moment de distraction, de chercher à lui rappeler ses peines, à en augmenter le sentiment?... Ah! j'ai été insensé et cruel est-il donc écrit que je serai toujours mécontent de moi ou des autres ?

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Je suis retourné chez Adèle; on m'a dit que sa mère étant très-mal elle ne recevait personne. Voilà donc encore un malheur qui la menace, et elle

n'aura pas près d'elle un ami qui la console, un cœur qui l'entende. Sans ma ridicule sévérité, peut-être ses yeux m'auraient-ils cherché: j'avais vu couler ses larmes, elles m'avaient attendri; n'était-ce pas assez pour qu'elle crût à mon intérêt? A son âge, l'âme s'ouvre si facilement à la confiance! la moindre marque de compassion paraît de l'amitié ; la plus légère promesse semble un engagement sacré; le premier bonheur de la jeunesse est de tout embellir. Avant de me revoir, je suis sûr que, dans ses peines, la pensée d'Adèle s'est toujours reportée vers moi. Lorsque je l'ai retrouvée, ses yeux brillaient de joie, son cœur venait au-devant du mien; pourquoi l'ai-je repoussé! Je crois bien qu'il n'entrait dans ses sentimens que le souvenir de ses religieuses, de son couvent, du premier moment où elle en est sortie. Elle me voyait encore le témoin, le consolateur de son premier chagrin. Enfin elle me recevait comme un ami, et j'ai glacé jusqu'au fond de son cœur ces douces émotions qu'elle ressentait avec tant d'innocence et de plaisir ! Cette idée me fait mal. — Si je pouvais la voir, lui dire combien elle m'avait occupé; lui apprendre les projets que j'avais formés tout le bonheur qu'elle m'avait fait entrevoir, crois que la paix renaîtrait dans mon âme, que le calme me reviendrait à mesure que je lui parlerais. Il ne m'est plus permis de paraitre indifférent : l'intérêt vif qu'elle m'avait inspiré peut seul m'excuser et faire naître son indulgence.

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je

Lorsqu'elle m'aura pardonné, qu'elle ne me

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