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serait sévère sur beaucoup de nos jeures travers bruyans, si son indulgence aimable pouvait être sévère. L'auteur d'Eugène de Rothelin goûte peu, on le conçoit, les temps d'agitation et de disputes violentes. Un ami qui l'interrogeait, en 1814, sur l'état réel de la France jugée autrement que par les journaux, reçut cette réponse, que l'état de la France ressemblait à un livre ouvert par le milieu, que les ultras y lisaient de droite à gauche au rebours pour tacher de remonter au commencement, que les libéraux couraient de gauche à droite se hatant vers la fin, mais que personne ne lisait à la page où l'on était. La maréchale d'Estouteville pourrait-elle dire autrement de nos jours?— Une épigraphe d'un style injurieux lui ayant été attribuée par mégarde dans un ouvrage assez récent, madame de Souza écrivit ce modèle de rectification où l'on reconnait tout son caractère : « M*** a été induit en erreur, ce mot » fut attribué à un homme de lettres; mais, quoiqu'il soit » mort depuis long-temps, je ne me permettrai pas de le » nommer. Quant à moi, je n'ai jamais écrit ni dit une » sentence fort injuste qui comprend tous les siècles, et qui est si loin de ces convenances polies qu'une femme >> doit toujours respecter. L'atticisme scrupuleux de madame de Souza s'effraie avant tout qu'on ait pu lui supposer une impolitesse de langage.

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SAINTE-BEUVE.

Madame de Souza est morte à Paris, le 16 avril 1836, conservant, jusqu'à son dernier moment, toute la bienséance de son esprit et l'indulgence de son sourire.

OU

LETTRES DE LORD SYDENHAM.

AVANT-PROPOS.

Cet ouvrage n'a point pour objet de peindre des caractères extraordinaires : mon ambition ne s'est pas élevée jusqu'à prétendre étonner par des situations nouvelles. J'ai voulu seulement montrer, dans la vie, ce qu'on n'y regarde pas, et décrire ces mouvemens ordinaires du cœur qui composent l'histoire de chaque jour. Si je réussis à faire arrêter un instant mes lecteurs sur eux-mêmes, et si, après avoir lu cet ouvrage, ils se disent: Il n'y a là rien de nouveau, ils ne sauraient me flatter davantage.

J'ai pensé que l'on pouvait se rapprocher assez de la nature et inspirer encore de l'intérêt, en se bornant à tracer ces détails fugitifs qui occupent l'espace entre les événemens de la vie. Des jours, des années, dont le souvenir est effacé, ont été remplis d'émotions, de sentimens, de petits intérêts, de nuances fines et délicates. Chaque moment a son occupation, et chaque occupation a son ressort moral. Il est même bon de rapprocher sans

cesse la vertu de ces circonstances obscures et inaperçues, parce que c'est la suite de ces sentimens journaliers qui forme essentiellement le fond de la vie. Ce sont ces ressorts que j'ai tâché de démêler. Cet essai a été commencé dans un temps qui semblait imposer à une femme, à une mère, le besoin de s'éloigner de tout ce qui était réel, de ne guère réfléchir, et même d'écarter la prévoyance; et il a été achevé dans les intervalles d'une longue maladie : mais, tel qu'il est, je le présente à l'indulgence de mes amis.

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A faint shadow of uncertain light,
Such as a lamp whose life doth fade away,

Doth lend to her who walks in fear and sad affright.

Seule sur une terre étrangère avec un enfant qui à atteint l'âge où il n'est plus permis de retarder l'éducation, j'ai éprouvé une sorte de douceur à penser que ses premières études seraient le fruit de mon travail.

Mon cher enfant! si je succombe à la maladie qui me poursuit, qu'au moins mes amis excitent votre application, en vous rappelant qu'elle eût fait mon bonheur ! et ils peuvent vous l'attester, eux qui savent avec quelle tendresse je vous ai aimé; eux qui si souvent ont détourné mes douleurs en me parlant de vous. Avec quelle ingénieuse bonté ils me faisaient raconter les petites joies de votre enfance, vos petits bons mots, les premiers mouvemens de votre bon cœur! Combien je leur répétais la même

histoire, et avec quelle patience ils se prêtaient à m'écouter! Souvent à la fin d'un de mes contes, je m'apercevais que je l'avais dit bien des fois : alors ils se moquaient doucement de moi, de ma crédule confiance, de ma tendre affection, et me parlaient encore de vous!.... Je les remercie.... Je leur ai dû le plus grand plaisir qu'une mère puisse avoir. A. DE F.....

Londres, 1795.

LETTRE I. - Paris, ce 10 mai 17..

Je ne suis arrivé ici qu'avant-hier, mon cher Henri, et déjà notre ambassadeur veut me mener passer quelques jours à la campagne, dans une maison où il prétend qu'on ne pense qu'à s'amuser. J'y suis moins disposé que jamais : cependant, ne trouvant point l'objection raisonnable à lui faire, je n'ai pu refuser de le suivre; mais j'y ai d'autant plus de regret, qu'indépendamment de cette mélancolie qui me poursuit et me rend importuns les plaisirs de la société, j'ai rencontré hier matin une jeune personne qui m'occupe beaucoup. Elle m'a inspiré un intérêt que je n'avais pas encore res senti; je voudrais la revoir, la connaître... Mais je vais livrer à votre esprit moqueur tous les détails de cette aventure.

Je m'étais promené à cheval dans la campagne, et je revenais doucement par les Champs-Élysées,

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