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CHAPITRE III

INÉGALE RÉPARTITION DES POUVOIRS PARLEMENTAIRES ET DES DROITS ÉLECTORAUX ENTRE L'ANGLETERRE ET L'IRLANDE.

En vertu de l'acte de 1801 qui unit les deux parlements de Dublin et de Londres, l'Irlande envoie au Parlement impérial trente-deux pairs dont quatre ecclésiastiques, et cent cinq députés.

Les vingt-huit pairs laïques élus par tous les pairs d'Irlande sont nommés à vic et remplacés à mesure des extinctions; les lords ecclésiastiques sont désignés seulement pour une session1.

Que d'objections à faire à ce système, au point de vue non plus peut-être de l'égalité religieuse, mais de l'égalité politique! qui pourrait soutenir en effet que l'aristocratie d'Irlande jouisse des mêmes priviléges que celle d'Angleterre ? Tout pair anglais ayant atteint l'âge de la majorité siége de droit dans la Chambre haute, et transmet à l'aîné de ses fils la dignité dont il est revêtu. Les pairs

La noblesse laïque d'Irlande compte en ce moment deux cent vingtquatre membres, dont un pair de sang royal, qui est le roi de Hanovre comme comte d'Armagh, un duc, quarante-deux marquis, soixante-sept comtes, quarante-deux vicomtes, soixante-douze barons. « Thom's official Directory,» 1864, p. 756.

d'Irlande, comme ceux d'Écosse, ne sont que les délégués du corps qui les nomme. Ce qui fait dire à M. Léon Faucher que «< dans la Chambre haute, les pairs des deux « royaumes inférieurs figurent une sorte de Chambre «<basse, et n'y apportent qu'un pouvoir d'emprunt; » et encore << que le peuple anglais, le plus fort, le mieux placé <«<et le plus capable de commander, s'est fait la part du <«lion, et que l'Irlandais a été traité en peuple conquis1. » Ce n'est pas seulement par la disproportion du nombre que les pairs d'Irlande se trouvent dans une infériorité marquée relativement aux pairs d'Angleterre ; ils sont encore soumis à certaines restrictions qui ferment à la plus grande partie d'entre eux l'entrée de la carrière politique. Le seigneur d'Irlande qui ne va pas siéger au Parlement de Londres en vertu d'une élection, ne reçoit aucune compensation, il ne peut être membre d'un grand jury i voter aux élections, ni se présenter à la Chambre des communes comme candidat d'électeurs irlandais 2.

On ne peut dire qu'une chose pour justifier cette inégalité si marquée entre les deux pairies d'Angleterre et d'Irlande; c'est qu'elle a été consentie par cette dernière au temps de l'union, et que les fils n'ont qu'à s'en prendre à leurs pères de la vénalité et de la corruption qui ont ravi à la noblesse irlandaise la plus grande partie de son influence politique.

Les cent cinq députés envoyés par l'Irlande au Parle

Léon Faucher, Études sur l'Angleterre, II, 494.

• Discours prononcé à la Chambre des communes, le 4 juillet 1843, par M. Smith O'Brien. « Hansard's, Parliamentary Debates. »

ment britannique constituent le sixième de la représentation totale du Royaume-Uni.

La loi électorale actuellement en vigueur donne droit d'électeur à tout habitant de comté payant 12 liv. st. de taxe pour les pauvres, et à tout habitant de ville payant pour cette même taxe 8 liv. st. '. Jusqu'en 1829, les représentants des comtés étaient élus comme en Angleterre par tous les propriétaires « freeholders » possédant un revenu d'au moins 40 shillings (50 fr.) Les électeurs à 40 shillings furent abolis à l'époque du bill d'émancipation 2; et jusqu'à la réforme de 1850, le droit électoral devint comme une sorte de privilége auquel une grande partie de la population agricole était étrangère. Le nombre des électeurs inscrits était, au 1er février 1848, de 108,139; au 1er janvier 1849, ce chiffre était tombé à 72,216; il n'était que de 35,000 en 1850. La réforme électorale de 1850 a élargi ces limites si resserrées, et le nombre actuel des électeurs en Irlande est de 191,0455.

Voici du reste les différences assez notables que la statistique nous signale entre l'Angleterre et l'Irlande pour les chiffres proportionnels des habitants, des électeurs

1 43 et 44 Victoria, cap. LXIX, § 2 et 5. « Thom's, offic. Directory,» p. 689.

4861,

* On enlevait par là l'exercice du premier des droits politiques à cette masse des catholiques des campagnes que l'on prétendait cependant émanciper.

* Voir un discours de lord John Russell, dans la session de 1850, lorsqu'il introduisit le bill de réforme électorale ; et « Thom's, offic. Directory,» 4861, p. 87.

et des députés. Ces chiffres sont exclusivement empruntés à des documents officiels.

En 1860, pour une population présumée de 19,745,000 habitants, l'Angleterre compte 942,258 électeurs, et envoie au Parlement 496 députés 2, ce qui donne les proportions suivantes :

Un électeur par 21 habitants.
Un député par 1,899 électeurs;
Un député par 39,973 habitants;

Dans la même année, l'Irlande pour une population présumée de 5,988,820 habitants, compte 191,045 électeurs, et envoie au Parlement 105 représentants *. Ce qui donne :

Un électeur par 31 habitants;
Un député par 1,819 électeurs;
Un député par 37,036 habitants.

La disproportion entre le chiffre de la population et le nombre des représentants serait bien plus grande encore, sans les pertes considérables que l'Irlande a souffertes depuis vingt ans, par la famine et par l'émigration. En effet, le nombre des membres envoyés au Parlement étant toujours resté le même depuis l'acte d'union, lors

1

<< Thom's, official Directory,» 4864, p. 83, premier tableau. D'après le recensement de 4864, qui vient d'être publié, le chiffre de la popula

tion pour l'Angleterre et le pays de Galles est de 20,061,725 habitants.

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3

Id., ib., p. 697, table VII. Le recensement de 1861 donne un chiffre plus bas encore, 5,764,543.

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que l'Irlande comptait 8,175,124 habitants (en 1841)', la proportion des députés à la population était de 1 à 57,036. Et si, depuis cette époque, le peuple irlandais n'avait pas perdu environ 3,072,000 habitants 2, sa population actuelle serait d'au moins 10,000,000 d'habitants, et le chiffre des députés restant le même, la proportion serait d'un membre du Parlement par 96,190 habitants.

Quoi qu'il en soit, et en s'abstenant de toute supputation hypothétique, les chiffres positifs sont sous nos yeux, et viennent donner un nouveau démenti à la thèse de l'égalité entre l'Angleterre et l'Irlande, puisque la première envoie un député au Parlement par 39,973 habitants et la seconde 1 par 57,036 habitants, et qu'ainsi la puissance électorale de la première l'emporte de deux cinquièmes sur celle de la seconde.

Au résumé, l'Irlande fournit au Parlement impérial un peu moins du sixième de la représentation totale, tandis que « l'égalité proportionnelle exigerait qu'elle eût << 420,000 électeurs et 256 députés. Mais alors, le fait remarquer l'illustre publiciste, « l'Angleterre <«< aurait bientôt perdu la suprématie qu'elle exerce de << temps immémorial sur les deux autres royaumes3. »

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De là, cette conviction si énergiquement exprimée

« Thom's, offic. Directory,» p. 693.

* « Even after making allowance for the excess of births over deaths, the total loss of population since 1841 may be estimated at 3,072,000 » (p. 697). Je répète que ce Directoire de Thom a autorité de document officiel.

Léon Faucher, Études sur l'Angleterre, II, 495.

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