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lescope perfectionné, eût passé pour téméraire, et peut-être faut-il en dire autant de ceux qui ont été obtenus à l'aide du microscope? Nous avons été aussi loin dans le monde des infiniment petits que dans les espaces célestes. Je ne sais même pas si nos conquêtes en ce genre ne sont pas plus nombreuses et plus étendues. C'est à l'emploi du microscope que nous devons la création d'une science nouvelle, l'histologie, qui a pour objet la composition des tissus organiques.

Descartes prévoyait ce résultat, et il semblait lire dans l'avenir quand il disait : « Afin que la difficulté que vous pourrez trouver en la construction de ces dernières lunettes (les microscopes) ne vous dégoûte, je vous veux avertir qu'encore que d'abord leur usage n'attire pas tant que celui de ces autres qui semblent promettre de nous élever dans les cieux, et de nous y montrer sur les astres des corps aussi particuliers et peut-être aussi divers que ceux qu'on voit sur la terre, je les juge toutefois beaucoup plus utiles, à cause qu'on pourra voir par leur moyen les divers mélanges et arrangements des petites parties dont les animaux et les plantes, et peut-être aussi les autres corps qui nous environnent, sont composés, et de là tirer beaucoup d'avantage pour venir à la connaissance de leur nature car déjà, selon l'opinion de plusieurs philosophes, tous ces corps ne sont faits que des

par

ties des éléments diversement mêlés ensemble; et, selon la mienne, toute leur nature et leur essence, au moins de ceux qui sont inanimés, ne consiste qu'en la grosseur, la figure, l'arrangement et les mouvements de leurs parties (1). »

Quelle hardiesse, et en même temps quelle sùreté de coup d'œil! Par sa Dioprique, Descartes s'est placé au rang des plus grands physiciens et des mathématiciens les plus illustres. Il a posé des lois que la science a adoptées; sa théorie de la lumière semble devoir l'emporter définitivement sur celle de Newton. La physiologie moderne lui doit l'explication scientifique du phénomène de la vision; et là, comme ailleurs, il a montré que la physiologie, loin d'étouffer, en se développant, la psychologie spiritualiste lui fournit au contraire des armes nouvelles et doit assurer son triomphe.

(1) Dixième disc. de la Dioptr., t. V des OEuvres, p. 152.

CHAPITRE X

DES ERREURS DES SENS, ET INCIDEMMENT DU RÊVE

ET DE LA FOLIE.

De ce que Descartes, au début de sa philosophie, met en suspicion le témoignage des sens, on a dit qu'il rejetait ce témoignage, et on en a fait grand bruit pour décrier sa doctrine et persuader aux esprits inattentifs qu'elle était en désaccord avec la nature; mais, si l'on veut bien y regarder de près, on reconnaîtra aisément que, saus nier la part immense qu'il faut accorder aux sens dans l'acquisition des idées, Descartes veut seulement établir la supériorité de l'intellect sur la sensibilité, et montrer que la pensée consciente d'elle-même nous est une garantie plus certaine de notre existence que le témoignage des sens. Nous n'avons du reste qu'à l'écouter pour nous convaincre que c'est bien là sa doctrine.

Il ne dit pas d'une manière absolue que les sens nous trompent; il dit : « A cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer... et... considérant que toutes les mêmes

pensées que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de nos songes (1). »

Il revient, dans la première de ses Méditations, sur cette pensée, et il l'éclaircit en la développant :

« Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et assuré, je l'ai appris des sens ou par les sensor, j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs; et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.

« Mais peut-être qu'encore que les sens nous trompent quelquefois touchant des choses fort peu sensibles et fort éloignées, il s'en rencontre néanmoins beaucoup d'autres desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je suis ici, assis auprès du feu, vêtu d'une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps soient à moi ? Si ce n'est peutêtre que je me compare à certains insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les (4) Disc. de la Méth., Vie partic.

noires vapeurs de la bile, qu'ils assurent constamment qu'ils sont des rois, lorsqu'ils sont très-pauvres; qu'ils sont vêtus d'or et de pourpre, lorsqu'ils sont tout nus; ou qui s'imaginent être des cruches ou avoir un corps de verre. Mais quoi! ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leurs exemples.

<< Toutefois, j'ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j'ai coutume de dormir, et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de songer la nuit que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit! Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier; que cette tête que je branle n'est point assoupie; que c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci.» (tome 1 des OEuvres, p. 237.)

« Mais n'importe, dit-il, supposons pour un moment que nous dormons et que nous sommes trompés par les illusions d'un songe. Il faut au moins avouer que les choses qui nous sont représentées dans le sommeil sont comme des tableaux et des peintures,

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