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clefs, ne sont pas indispensables à qui veut lire et aimer la Bruyère. Disons mieux: pour apprendre à l'aimer, il faut d'abord le lire et le relire sans tenir compte des explications et suppositions anciennes et modernes. Mais il est des heures de curiosité où l'on ne dédaigne pas de savoir quelle interprétation les contemporains ont donnée aux réflexions de l'auteur. La Bruyère écrivait ses Caractères sous l'impression que les conversations du jour avaient laissée en lui, et souvent il traçait des portraits parfaitement ressemblants: n'est-il pas intéressant de chercher dans son ouvrage la trace de ses entretiens, de ses informations, et hors du livre le nom de ses modèles, au risque même de se tromper? Les auteurs des Clefs ont souvent fait fausse route, et avec eux, leurs commentateurs en les suivant ou en voulant les redresser: il est tel lecteur qui çà et là sans doute pourra corriger sur divers points les méprises des uns ou des autres. Pour rendre plus faciles ces rectifications, nous avons réuni dans nos commentaires les dates et les faits qui permettront d'apprécier la valeur de chacune des annotations des Clefs, et de se former soi-même un jugement en connaissance de cause. Nous nous garderons d'ajouter que nous n'avons laissé s'introduire aucune inexactitude dans ce long exposé de noms et de dates, ou même que nous en avons écarté chacune des erreurs qui avaient échappé à la vigilance de notre savant devancier. Ce serait dire ce que nous avons voulu faire, et non sans doute ce que nous avons fait.

Walckenaer n'a cité qu'une clef imprimée, celle qui accompagne les éditions annotées par Coste, et qui, sans qu'on l'ait jamais fait remarquer, a été diversement modifiée selon le temps et le lieu de l'impression. Mais toutes les clefs imprimées ne sont pas la simple reproduction d'un même original. Sans nous exagérer la valeur des

variantes qu'elles présentent, nous avons distingué le témoignage de chacune d'elles 1.

Comme la Bruyère l'avait fait et comme d'ailleurs l'exigeait le titre général de son ouvrage, nous avons donné la première place aux Caractères de Théophraste, la seconde aux Caractères ou Mœurs de ce siècle. On lit beaucoup moins ceux-là que ceux-ci; mais la Bruyère, lors même qu'il a permis que l'on imprimât sa traduction en petit texte, lui a toujours donné le pas sur son travail original. Cette traduction nous a valu un beau Discours sur Théophraste, longue préface où l'auteur prend part aux débats littéraires du temps, plaide en faveur des anciens, et fait l'examen critique des nouveaux livres de morale; mieux encore, elle nous a valu les Caractères de la Bruyère, qu'il n'osait publier séparément, et qu'il plaça modestement à la suite des Caractères de Théophraste. Elle n'est pas elle-même sans intérêt : il eût été puéril de relever une à une les inexactitudes qu'y signalerait un helléniste moderne, ou les lacunes qu'elle présente, aujourd'hui que des manuscrits, jadis inconnus, ont rendu plus complet l'ouvrage de Théophraste, mais il ne l'était point de se rendre compte de la méthode du traducteur et de ses procédés de traduction.

Nous avons fait trois parts des notes dont nous accompagnons les Caractères ou Mœurs de ce siècle. Les unes, imprimées au bas du texte, contiennent les variantes, les rapprochements, et les explications qui s'attachent au texte même, et non à ce qu'on croit découvrir ou veut deviner sous ce texte. Les autres, rangées sous le titre d'Appendice, et imprimées partie à la fin des dix chapitres que contient

1. Voyez ci-après, p. 395-401, la Notice placée en tête de l'Appendice aux Caractères.

ce volume, partie à lafin des six chapitres qui se trouveront dans le second, sont les Clefs et Commentaires dont nous avons parlé ; en les éloignant du texte, nous avons pu leur donner l'étendue que comportent les excursus. Une troisième classe de notes, placées dans la Notice bibliographique, indiquera l'ordre dans lequel ont été disposées les réflexions de la Bruyère dans ses diverses éditions'.

Outre les six derniers chapitres des Caractères, outre les Dialogues sur le Quiétisme, que nous publierons comme complément, mais en nous tenant, quant à l'authenticité2, sur une prudente réserve, le second volume donnera vingt lettres de la Bruyère. Quatre sont connues; les autres sont inédites. Nous les devons à la bienveillante libéralité de Mgr le duc d'Aumale, qui en a remis la copie à M. Regnier, après l'avoir lui-même collationnée avec le soin le plus exact, et qui de plus a extrait des ar

1. En réimprimant cette phrase, nous devons faire remarquer que le plan primitif a été légèrement modifié : un Tableau de concordance, faisant connaître les augmentations successives, les retranchements et les transpositions qui se sont faits dans les éditions originales des Caractères, a été imprimé dans le tome III, à la suite de la table alphabétique et analytique des matières et avant la Notice Bibliographique. (Note de 1911.)

2. Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à la Notice qui précédera ces Dialogues.

3. Le nombre des lettres de notre auteur qui ont été retrouvées s'est un peu accru depuis la rédaction de cet Avertissement. Une lettre autographe de la Bruyère à Jérôme Phélypeaux, en date du 16 juillet 1695, a été découverte en 1874 par M. Ulysse Robert. Nous la reproduisons dans le tome II de la présente édition, p. 522, sous le no XXV. Une autre lettre, adressée par la Bruyère à Santeul, a été récemment publiée par M. l'abbé Urbain, nous lui avons donné place dans notre tome II, p. 516. Au total, notre seconde édition offrira au lecteur vingt-deux lettres écrites par la Bruyère, dont dix-neuf autographes. De ses correspondants on ne possède que trois lettres, l'une écrite par Bussy et deux par Phélypeaux. La correspondance du grand Condé, qui comprend les lettres où la Bruyère rendait compte des travaux de son élève, se trouvait en 1865 à Twickenham, en Angleterre, elle est aujourd'hui conservée dans les archives du Musée Condé, au château de Chantilly. (Note de 1911.)

chives de la maison de Condé, avec le très-gracieux dessein de nous en faire part, un certain nombre de détails intéressants sur la Bruyère. Nous lui exprimons ici bien sincèrement notre reconnaissance, et pour ces notes précieuses, dont s'enrichira notre Notice biographique, et pour les lettres qu'il nous a si généreusement permis de joindre à notre édition.

Nous apprécierons dans la Notice bibliographique les travaux des éditeurs de la Bruyère qui ont rendu le nôtre plus facile, et nous aurons souvent, dans le courant de ces volumes, l'occasion de citer avec gratitude les noms des personnes qui nous ont renseigné sur divers points, ou nous ont libéralement ouvert les dépôts qui leur sont confiés. Mais il est une dette que nous tenons à reconnaître et proclamer dès les premières pages de ce livre. Chargé de diriger toute la Collection, d'exercer une surveillance générale sur ses diverses parties, et de lui assurer l'uniformité qui sera l'un de ses mérites, que de fois M. Ad. Regnier se sera fait le collaborateur des éditeurs, du moins de celui de la Bruyère ! Je n'oublierai jamais, pour ma part, ce que je dois à tant d'excellents conseils, à cette assistance que l'on trouve toujours prête et toujours bienveillante, à ce contrôle incessant que rien ne fatigue ni ne ralentit. C'est de tout cœur que je remercie M. Regnier.

Gustave SERVOIS.

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