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nacé le 17 mars 1600, il céda ses droits à un prix dérisoire, et ce fut à son avocat, Pierre Le Tessier, qu'il les abandonna. On convint que, les choses << éclaircies », Le Tessier devrait, s'il y avait « du bon », une somme de trente écus soleil, et il lui était permis, clause vraiment singulière, de substituer à cette somme une haquenée d'une valeur de trente écus soleil, c'està-dire de quatre-vingt-dix-sept livres tournois dix sols, environ sept cents francs de notre monnaie. Si amoindrie qu'eût été la fortune des la Bruyère par les événements politiques et par les prodigalités de Mathias, si nombreux qu'aient été ceux des créanciers qui se montrèrent aussi diligents que Preudhomme, l'avocat dut estimer qu'il avait fait un avantageux contrat; ses espérances cependant furent en parties déçues 1.

Mathias avait deux enfants: Guillaume et Marie, femme de Jean Lescellier, receveur des consignations au Châtelet. Comme les biens de Mathias, accrus de ceux de Jean, avaient passé dans le domaine du Roi, ses enfants ne pouvaient invoquer la qualité d'héritiers. Au prix toutefois d'une renonciation à l'héritage paternel, leur droit incontesté était de revendiquer le douaire dont la Coutume de Paris leur assurait la propriété. Ce douaire, aux termes de la Coutume, devait se composer de la moitié des immeubles que Mathias possédait au moment de la célébration du mariage et de ceux qu'il avait pu recevoir de ses ascendants pendant la durée de son union avec Louise Aubert: ainsi limité, le douaire parut insuffisant à Guillaume, à Marie et à leur conseil. Outre la moitié des immeubles qui avaient fait partie de la dot de Mathias, ils réclamèrent la moitié de ceux qu'après la mort de sa femme il avait hérités de son père. Le texte de la Coutume était contraire à leurs prétentions, mais au Châtelet on gardait sans doute quelque fidélité à la mémoire de l'ancien lieutenant civil, et d'ailleurs la cause de ses enfants était intéressante: c'est à eux que la sentence du prévôt de Paris donna raison contre le

1. Quel habile homme qu'il fùt, Le Tessier ne prit pas toutes ses précautions. Il oublia, et ses associés oublièrent comme lui, de faire, auprès du Bureau de la Ville, opposition au paiement de la somme qui pouvait être encore due au Petit Cerf.

LA BRUYÈRE. I. — I

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curateur de la succession et les créanciers qui avaient associé leur requête à la sienne. La renonciation à des biens qui étaient devenus ceux du Roi n'avait pas été un acte de pure forme, puisqu'il était une condition obligatoire pour l'obtention du douaire ; d'autre part, c'était sur cette renonciation que devaient s'appuyer les juges du Châtelet, puis ceux du Parlement pour dispenser, Guillaume et Marie de rapporter les biens que leur aïeul avait donnés à leur père. Elle avait eu un autre avantage, qui était de permettre aux parties et aux juges de ne faire aucune allusion à la confiscation, non plus qu'aux événements qui l'avaient précédée 1.

Curateur et créanciers ne se tinrent pas pour battus. Ils firent appel devant le Parlement. C'est parmi les plaidoieries du 12 mars 1607, non parmi celles du 13 comme l'impriment Bouchel et Brillon, qu'il faut chercher dans les registres des matinées du Parlement l'arrêt qui termina le conflit. L'avocat Lenoir avait plaidé pour les appelants; l'avocat Montreuil pour les intimés. Louis Servin, avocat général, celui-là même qui devait être frappé d'une congestion mortelle au cours d'une harangue où il osait exposer à Louis XIII les remontrances du Parlement, conclut en faveur de Guillaume et de Marie: il reconnaissait que la lettre de la Coutume ne leur était pas favorable, mais il en invoquait plus ou moins justement l'esprit, préférant hautement l'intérêt des enfants douairiers à celui des créanciers. Magistrat respecté, dont la mort devait faire une sorte de martyr de la liberté, Louis Servin avait renom d'esprit très-indépendant, et ses conclusions, dont la brève analyse fut reproduite dans le recueil de ses plai

1. L'avocat général Servin, dont nous parlerons plus loin, avait reconnu en Guillaume le fils du lieutenant particulier, auquel il refusait le titre de lieutenant civil, d'origine révolutionnaire. Çe n'est point d'après lui, mais d'après Bouchel, que divers jurisconsultes parlèrent du procès de Guillaume, et tous, sauf Leprestre, ignorèrent qui il était; Bouchel cependant avait exactement cité les noms et prénoms de Guillaume et de Marie. Brillon, qui se donnait comme un des amis de l'auteur des Caractères, prêta si peu d'attention au nom la Bruyère qu'il laissa son imprimeur le défigurer.

doyers, suffiraient à démontrer l'originalité de ses appréciations. La cour adopta ses conclusions; mais si l'arrêt fit jurisprudence, ce ne fut pas pour longtemps. Pierre Lemaistre excepté, les jurisconsultes dont nous avons ouvert les traités l'ont désapprouvé: Leprestre le déclare extraordinaire, Laurière le condamne, et Pothier met en doute son existence, tant il lui semble en désaccord avec la Coutume.

Les notes que nous avons pu prendre pendant quelques heures, il y a un demi-siècle, dans les archives des notaires des la Bruyère ne nous permettent pas d'apprécier la valeur et la composition du douaire qu'obtinrent Guillaume et Marie. Les terres que posséda Guillaume dans le Vendomois en ontelles fait partie ? Il se peut. Son contrat de mariage, qui reproduisait en 1601 des conventions arrêtées un an auparavant, au moment des fiançailles, montre que déjà il possédait des immeubles; d'où lui venaient-ils ? Il est peu vraisemblable que Guillaume ou ses parents aient pu dissimuler quelque terre, même lointaine, aux gens du fisc et au curateur de la succession, ou encore que Guillaume ait pu acheter des immeubles avant son mariage. Peut-être les premières opérations de la liquidation lui avaient-elles attribué des domaines à titre de douaire avant que le procès ne fut soulevé. Comme, d'autre part, il eut des conflits de voisinage dès 1605, si ce n'est plus tôt, au sujet de domaines qui étaient situés dans le Vendomois, et que ces domaines étaient ses propres, non ceux de sa femme, tout paraît indiquer que les immeubles dont les contrats de 1600 et de 1601 déterminèrent le régime sont les domaines qui ont appartenu à la famille la Bruyère pendant plus d'un siècle dans le Vendomois, et dont notre auteur est devenu l'un des propriétaires à la mort de son oncle, Jean II de la Bruyère2. Une particularité, relevée dans un arrêt du Parlement, pourrait être invoquée à l'appui de notre conjecture: Guillaume ne possédait qu'en partie l'un de ces domaines, celui des Fleurières; ne l'aurait-il point partagé avec sa sœur Marie en

1. Voyez la première de nos Pièces justificatives.

2. Un inventaire que j'ai eu jadis entre les mains mentionne un dossier, formé de contrats d'acquisitions et d'échanges, qui témoigne de la sollicitude avec laquelle les la Bruyère ont agrandi ou arrondi leurs propriétés.

recevant une portion du douaire1? Mais n'insistons pas. A l'un des érudits du Vendomois il appartiendra de dissiper toute obscurité et de nous dire, soit à l'aide des archives notariales du pays, soit à l'aide d'autres archives, comment et à quelle date sont entrés dans la famille des la Bruyère les domaines de Romeau, de la Georgetterie ou Georgetière, des Fleurières, qui étaient situés sur les territoires des paroisses de Choue et de Souday, non loin de Mondoubleau ; on nous apprendra en même temps duquel ou desquels des Romeau de la commune de Choue elle a été propriétaire, quels partages ont été faits de ces domaines et pourquoi Guillaume ne possédait qu'une portion de l'un d'eux.

1. Quelle put être la part de Marie Lescellier dans le douaire ? Lui vint-il quelque chose des propriétés d'Ivry ? Une Marie de la Bruyère est qualifiée dame d'Ivry dans une note du Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale; d'après cette note, qui est pleine d'erreurs, la Marie de la Bruyère, dont il est fait mention, aurait épousé un Cornuti. Il n'est pas impossible cependant que ce fut Marie Lescellier et non Marie Cornuti qui devint dame d'Ivry. Tout ce que nous savons de la fortune de Marie Lescellier, c'est qu'elle avait reçu de son bisaïeul Mathieu de la Bruyère ou de sa femme, quelques arpents de prés à Savigny-sur-Orge, estimés 180 livres l'arpent, et de Claude Séguier, sa grand'mère, des vignes au terroir de Saint-Cloud, qu'elle donna à Jean Rolland, procureur au Parlement, le 20 juin 1603, pendant un séjour qu'elle fit à Paris, rue Saint-Denis, pour surveiller ses intérêts. Cette donation était la récompense « des bons offices, plaisirs et courtoisies » que Rolland lui avait faits, tant en ses affaires particulières, << sollicitude des procès » qu'elle avait soutenus «< que pour plusieurs bonnes et justes causes » (Archives nationales, Y 142, fo 162 vo).

2. Au domaine des Petites-Noues dont jadis nous avions eu le tort de faire une des propriétés des la Bruyère, nous substituons sans hési– tation après nouvel examen celui des Fleurières, ferme dont il n'y a plus de souvenirs dans le pays: les Fleurières que l'on cite dans le Vendomois sont éloignées des paroisses de Choue et de Souday dans le territoire desquelles se trouvaient toutes les métairies des la Bruyère. Pour la même raison nous ne reconnaissons pas leur Georgetière dans celle qui subsiste encore. Quant aux Romeau, il y a dans la commune de Choue trois fermes de ce nom dont le grand et le petit Romeau. Si l'identification des propriétés des la Bruyère est faite quelque jour, ce sera par M. R. de Saint Venant, qui étudie en tous ses détails l'histoire du Vendomois.

Dès les premières années du xvIIe siècle avons-nous dit, Guillaume avait des querelles au sujet de ses terres du Vendomois. Une transaction conclue en 1605 avec Charles Lasneau, sieur de Plainchamps, l'un de ses voisins, n'avait été qu'une trève, et Guillaume fit à ce personnage, dont la famille a son histoire dans le Bulletin de la Société archéologique, historique et littéraire du Vendomois, un procès qui dura plusieurs années. Autres procès plus tard contre d'autres voisins et contre les chanoines du Mans : Guillaume aimait à plaider. Mais la plus grave et la plus longue de ses luttes judiciaires, c'est contre sa femme qu'il la soutint.

Il avait épousé en 1601 Diane de la Mare, fille du capitaine du château de Meudon 1. Après trente-cinq ans de mariage sa mauvaise administration inquiéta Diane, qui résolut de défendre contre lui la fortune de ses enfants. Il se trouvait en prison, sans doute pour dettes, lorsqu'en 1636 sa femme demanda une séparation de biens; se défendant tout d'abord, il tenta d'obtenir une condamnation contre le procureur de Diane, qui lui devait en son privé nom, disaitil, une indemnité et une « réparation d'honneur » comme << auteur de la mauvaise action » dont il s'était rendu responsable en présentant la requête de sa cliente; mais après cette première riposte, il se laissa condamner par défaut, son procureur n'assistant pas au jugement. A la demande de Diane, les terres du Vendomois furent mises en vente; mais Guillaume put conserver au moins Romeau, qui fit partie de l'héritage de Jean II de la Bruyère. Toujours est-il qu'il laissa une succession peu enviable, que ses enfants n'acceptèrent que douze ans après sa mort.

Guillaume de la Bruyère, en qui nous n'avons vu jusqu'ici qu'un plaideur, était secrétaire de l'évêque de Paris lorsqu'il se maria. Plus tard il obtiendra un autre emploi, qu'il paraît avoir conservé jusqu'à sa mort, celui de secrétaire ordinaire de la chambre du Roi. Quels amis lui étaient venus en aide? S'adressa-t-il à ceux de sa famille? Il nous

1. Le contrat de mariage, du 24 Juin 1601, a été publié par M. l'abbé Urbain dans un article de la Revue d'Histoire littéraire de la France, intitulé la Bruyère et sa famille, quelques documents nouveaux (année 1911, p. 394).

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