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ducheffe du Maine. Cette princeffe aimait le bel efprit, les arts, la galanterie; elle donnait dans fon. palais une idée de ces plaifirs ingénieux et brillans qui avaient embelli la cour de Louis XIV, et ennobli fes faibleffes. Elle aimait Cicéron; et c'était pour le venger des outrages de Crébillon qu'elle excita Voltaire à faire Rome fauvée. Il avait envoyé Mahomet au pape; il dédia Sémiramis à un cardinal. Il fe fefait un plaifir malin de montrer aux fanatiques français que des princes de l'Eglife favaient allier l'eftime pour le talent au zèle de la religion, et ne croyaient pas fervir le chriftianisme en traitant comme fes ennemis, les hommes dont le génie exerçait fur l'opinion publique un empire redoutable. : Ce fut à cette époque qu'il confentit enfin à céder aux inftances du roi de Pruffe, et qu'il accepta le titre de chambellan, la grande croix de l'ordre du mérite, et une penfion de vingt mille livres. Il fe voyait, dans fa patrie, l'objet de l'envie et de la haine des gens de lettres, fans leur avoir jamais difputé ni places ni pension; fans les avoir humiliés par des critiques; fans s'être jamais mêlé d'aucune intrigue littéraire; après avoir obligé tous ceux qui avaient eu befoin de lui, cherché à fe concilier les autres par des éloges, et faifi toutes les occafions de: gagner l'amitié de ceux que l'amour propre avait rendus injuftes.

*

Les dévots qui fe fouvenaient des Lettres philofophiques et de Mahomet, en attendant les occafions de le perfécuter, cherchaient à décrier fes ouvrages et fa perfonne, employaient contre lui leur afcendant fur la première jeuneffe, et celui que, comme

par

directeurs, ils confervaient encore dans les familles bourgeoifes et chez les dévotes de la cour. Un filence abfolu pouvait feul le mettre à l'abri de la persécution; il n'aurait pu faire paraître aucun ouvrage fans être sûr que la malignité y chercherait un prétexte pour l'accufer d'impiété, ou le rendre odieux au gouvernement. Madame de Pompadour avait oublié leur ancienne liaison dans une place où elle ne voulait plus que des efclaves. Elle ne lui donnait point de n'avoir pas fouffert, avec affez de patience, les préférences accordées à Crébillon. Louis XV avait pour Voltaire une forte d'éloignement. Il avait flatté ce prince plus qu'il ne convenait à fa propre gloire; mais l'habitude rend les rois prefqu'infenfibles à la flatterie publique. La feule qui les féduife eft la flatterie adroite des courtifans qui, s'exerçant fur les petites chofes, fe répète tous les jours et fait choifir fes momens; qui confifte moins dans des louanges directes que dans une adroite approbation des paffions, des goûts, des actions, des difcours du prince. Un demi-mot, un figne, une maxime générale qui les raffure fur leurs faibleffes ou fur leurs fautes, font plus d'effet que les vers les plus dignes de la poftérité. Les louanges des hommes de génie ne touchent que les rois qui aiment véritablement la gloire.

On prétend que Voltaire s'étant approché de Louis XV après la représentation du Temple de la gloire, où Trajan donnant la paix au monde après fes victoires, reçoit la couronne refufée aux conquérans, et réservée à un héros, ami de l'humanité et lui ayant dit: Trajan eft-il content? le roi

fut moins flatté du parallèle que blessé de la familiarité.

M. d'Argenfon n'avait pas voulu prêter à Voltaire fon appui pour lui obtenir un titre d'affocié libre dans l'académie des fciences, et pour entrer dans celle des belles-lettres, places qu'il ambitionnait alors comme un afile contre l'armée des critiques hebdomadaires que la police oblige à refpecter les corps littéraires, excepté lorfque des corps ou des particuliers plus puiffans croient avoir intérêt de les avilir, en les abandonnant aux traits de ces méprifables ennemis.

Voltaire alla donc à Berlin; et le même prince qui le dédaignait, la même cour où il n'effuyait plus que des défagrémens, furent offenfés de ce départ. On ne vit plus que la perte d'un homme qui honorait la France, et la honte de l'avoir forcé à chercher ailleurs un afile. Il trouva, dans le palais du roi de Pruffe, la paix et presque la liberté, fans aucun autre affujettissement que celui de paffer quelques heures avec le roi, pour corriger ses ouvrages, et lui apprendre les fecrets de l'art d'écrire. Il soupait prefque tous les jours avec lui. Ces foupers où la liberté était extrême, où l'on traitait avec une franchife entière toutes les queftions de la métaphyfique et de la morale, où la plaifanterie la plus libre égayait ou tranchait les difcuffions les plus férieuses, où le roi difparaiffait prefque toujours, pour ne laiffer voir que l'homme d'efprit, n'étaient pour Voltaire qu'un délaffement agréable. Le refte du temps était confacré librement à l'étude.

Il perfectionnait quelques-unes de fes tragédies,

achevait le Siècle de Louis XIV, corrigeait la Pucelle, travaillait à fon Effai fur les mœurs et l'efprit des nations, et fefait le Poëme de la loi naturelle, tandis que Frédéric gouvernait fes Etats fans miniftre, inspectait et perfectionnait fon armée, fefait des vers, compofait de la mufique, écrivait fur la philofophie et fur l'hiftoire. La famille royale protégeait les goûts de Voltaire; il adreffait des vers aux princeffes, jouait la tragédie avec les frères et les fœurs du roi; et, en leur donnant des leçons de déclamation, il leur apprenait à mieux fentir les beautés de notre poëfie: car les vers doivent être déclamés, et on ne peut connaître la poëfie d'une langue étrangère, fi on n'a point l'habitude d'entendre réciter les vers par des hommes qui fachent leur donner l'accent et le mouvement qu'ils doivent

avoir.

Voilà ce que Voltaire appelait le palais d'Alcine; mais l'enchantement fut trop tôt diffipé. Les gens de lettres appelés plus anciennement que lui à Berlin, furent jaloux d'une préférence trop marquée, et furtout de cette espèce d'indépendance qu'il avait confervée, de cette familiarité qu'il devait aux grâces piquantes de fon efprit, et à cet art de mêler la vérité à la louange, et de donner à la flatterie le ton de la galanterie et du badinage.

La Métrie dit à Voltaire que le roi, auquel il. parlait un jour de toutes les marques de bonté dont il accablait fon chambellan, lui avait répondu :Jen ai encore befoin pour revoir mes ouvrages; on fuce l'orange, et on jette l'écorce. Ce mot défenchanta Voltaire, et lui jeta dans l'ame une défiance qui

ne lui permit plus de perdre de vue le projet de s'échapper. En même temps on dit au roi que Voltaire avait répondu un jour au général Manftein qui le preffait de revoir fes mémoires : Le roi m'envoie fon linge fale à blanchir, il faut que le vôtre attende. Qu'une autre fois, en montrant fur la table un paquet de vers du roi, il avait dit dans un mouvement d'humeur Cet homme-là, c'eft Céfar et l'abbé Cottin.

Cependant un penchant naturel rapprochait le monarque et le philofophe. Frédéric difait, longtemps après leur féparation, que jamais il n'avait vu d'homme auffi aimable que Voltaire; et Voltaire, malgré un reffentiment qui jamais ne s'éteignit absolument, avouait que quand Frédéric le voulait, il était le plus aimable des hommes. Ils étaient encore rapprochés par un mépris ouvert pour les préjugés et les fuperftitions, par le plaifir qu'ils prenaient à en faire l'objet éternel de leurs plaifanteries, par un goût commun pour une philofophie gaie et piquante, par une égale disposition à chercher, à faifir, dans les objets graves, le côté qui prête au ridicule. Il paraiffait que le calme devait fuccéder à de petits orages, et que l'intérêt commun de leur plaifir devait toujours finir par les rapprocher. La jalousie de Maupertuis parvint à les défunir fans retour.

Maupertuis, homme de beaucoup d'efprit, favant médiocre, et philofophe plus médiocre encore, était tourmenté de ce défir de la célébrité qui fait choifir les petits moyens lorsque les grands nous manquent, dire des chofes bifarres quand on n'en trouve point de piquantes qui foient vraies, généralifer des formules fi l'on ne peut en inventer, et entaffer des

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