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Il favait qu'un homme en place en aurait la facilité; et que, fous un gouvernement faible, le crédit d'une maîtreffe doit céder à celui des prêtres intrigans ou fanatiques, plus méprifables aux yeux de la raison, mais encore respectés par la populace: il laissa triompher Boyer.

Peu de temps après, le miniftre fentit combien l'alliance du roi de Pruffe était néceffaire à la France; mais ce prince craignait de s'engager de nouveau avec une puiffance dont la politique incertaine et timide ne lui infpirait aucune confiance. On imagina que Voltaire pourrait le déterminer. Il fut chargé de cette négociation, mais en fecret. On convint que les perfécutions de Boyer feraient le prétexte de fon voyage en Pruffe. Il y gagna la liberté de fe moquer du pauvre théatin qui alla fe plaindre au roi que Voltaire le fefait paffer pour un fot dans les cours

nous devons dire ici que depuis la mort de Voltaire, ayant parlé de cette anecdote à M. le comte de Maurepas, au caractère duquel ce mot nous parut étranger, il nous répondit, en riant, que c'était le roi lui-même qui n'avait pas voulu que Voltaire fuccédât au cardinal de Fleuri dans fa place d'académicien; fa Majeftè trouvant qu'il y avait une diffemblance trop marquée entre ces deux hommes, pour mettre l'éloge de l'un dans la bouche de l'autre, et donner à rire au public par un rapprochement femblable.

M. de Maurepas nous a même ajouté qu'il savait depuis très-longtemps que Voltaire avait dit et écrit à fes amis le mot : je vous écraferai. Mais que cette légère injustice d'un homme auffi célèbre, ne l'avait pas empêché de folliciter le roi régnant et d'en obtenir que celui qui avait tant honoré fon fiècle et fa nation, vint jouir de fa gloire au milieu d'elle, à la fin de fa carrière.

Nous avons déjà dit ailleurs que fans adopter ni blâmer les opinions de notre auteur fur une infinité d'objets, nous nous fommes févèrement renfermés dans notre devoir d'éditeurs; être impartiaux et fidelles, eft ce que l'Europe attend de nous, le refte nous eft étranger. (Note du correspondant général de la fociété littéraire-typographique.)

étrangères, et à qui le roi répondit que c'était une

chofe convenue.

Voltaire partit; et Piron, à la tête de ses ennemis, l'accabla d'épigrammes et de chanfons fur fa prétendue difgrâce. Ce Piron avait l'habitude d'infulter à tous les hommes célèbres qui effuyaient des perfécutions. Ses œuvres font remplies des preuves de cette baffe méchanceté. Il paffait cependant pour un bon homme, parce qu'il était pareffeux, et que n'ayant aucune dignité dans le caractère, il n'offenfait pas l'amour propre des gens du monde.

Cependant, après avoir paffé quelque temps avec le roi de Pruffe, qui fe refufait conftamment à toute négociation avec la France, Voltaire eut l'adreffe de faifir le véritable motif de ce refus : c'était la faibleffe qu'avait eue la France de ne pas déclarer la guerre à l'Angleterre, et de paraître, par cette conduite, demander la paix quand elle pouvait prétendre à en dicter les conditions.

Il revint alors à Paris, et rendit compte de fon voyage. Le printemps fuivant, le roi de Pruffe déclara de nouveau la guerre à la reine d'Hongrie, et par cette diverfion utile força fes troupes d'évacuer l'Alface. Ce fervice important, celui d'avoir pénétré, en paffant à la Haie, les difpofitions des Hollandais encore incertaines en apparence, n'obtint à Voltaire aucune de ces marques de confidération dont il eût voulu se faire un rempart contre ses ennemis littéraires.

Le marquis d'Argenfon fut appelé au ministère. Il mérite d'être compté parmi le petit nombre des gens en place qui ont aimé véritablement la philofophie

et le bien public. Son goût pour les lettres l'avait lié avec Voltaire. Il l'employa plus d'une fois à écrire des manifeftes, des déclarations, des dépêches qui pouvaient exiger dans le style de la correction, de la nobleffe et de la mesure.

Tel fut le manifefte qui devait être publié par le prétendant à sa defcente en Ecoffe, avec une petite armée française que le duc de Richelieu aurait commandée. Voltaire eut alors l'occafion de travailler avec le comte de Lalli, jacobite zélé, ennemi acharné des Anglais, dont il a depuis défendu la mémoire avec tant de courage, lorfqu'un arrêt injufte, exécuté avec barbarie, le facrifia au reffentiment de quelques employés de la compagnie des Indes.

Mais il eut dans le même temps un appui plus puiffant, la marquife de Pompadour, avec laquelle il avait été lié lorsqu'elle était encore madame d'Etiole. Elle le chargea de faire une pièce pour le premier mariage du dauphin. Une charge de gentilhomme de la chambre, le titre d'hiftoriographe de France, et enfin la protection de la cour, néceffaire pour empêcher la cabale des dévots de lui fermer l'entrée de l'académie française, furent la récompenfe de cet ouvrage. C'est à cette occafion qu'il fit ces vers:

Mon Henri quatre et ma Zaïre,

Et mon américaine Alzire,

Ne m'ont valu jamais un feul regard du roi ;
J'eus beaucoup d'ennemis avec très-peu de gloire;
Les honneurs et les biens pleuvent enfin fur moi,
Pour une farce de la foire.

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C'était juger un peu trop févèrement la Princeffe de Navarre, ouvrage rempli d'une galanterie noble et

touchante.

Cependant la faveur de la cour ne fuffifait pas pour lui ouvrir les portes de l'académie. Il fut obligé, pour défarmer les dévots, d'écrire une lettre au père de Latour, où il proteftait de fon refpect pour la religion, et, ce qui était bien plus nécessaire, de son attachement aux jéfuites. Malgré l'adreffe avec laquelle il ménage ses expreffions dans cette lettre, il valait mieux fans doute renoncer à l'académie, que d'avoir la faibleffe de l'écrire et cette faiblesse serait inexcufable, s'il avait fait ce facrifice à la vanité de porter un titre qui depuis long-temps ne pouvait plus honorer le nom de Voltaire. Mais il le fefait à fa fureté; il croyait qu'il trouverait dans l'académie un appui contre la perfécution; et c'était préfumer trop du courage et de la justice de ses confrères.

Dans fon difcours à l'académie, il fecoua le premier le joug de l'ufage qui femblait condamner ces difcours à n'être qu'une fuite de complimens, plus encore que d'éloges. Voltaire ofa parler dans le fien de littérature et de goût; et fon exemple eft devenu, en quelque forte, une loi dont les académiciens gens de lettres ofent rarement s'écarter. Mais il n'alla point jusqu'à fupprimer les éternels éloges de Richelieu, de Séguier et de Louis XIV; et jufqu'ici deux ou trois académiciens feulement ont eu le courage de s'en difpenfer. Il parla de Crébillon, dans ce difcours, avec la noble générofité d'un homme qui ne craint point d'honorer le talent dans un rival, et de donner des armes à fes propres détracteurs.

Un nouvel orage de libelles vint tomber fur lui, et il n'eut pas la force de les mépriser. La police était alors aux ordres d'un homme qui avait passé quelques mois à la campagne avec madame de Pompadour. On arrêta un malheureux violon de l'opéra, nommé Travenol, qui, avec l'avocat Rigoley de Juvigny, colportait ces libelles. Le père de Travenol, vieillard de quatre-vingts ans, va chez Voltaire demander la grâce du coupable; toute fa colère cède au premier cri de l'humanité. Il pleure avec le vieillard, l'embraffe, le confole, et court avec lui demander la liberté de fon fils.

La faveur de Voltaire ne fut pas de longue durée. Madame de Pompadour fit accorder à Crébillon des honneurs qu'on lui refufait. Voltaire avait rendu conftamment juftice à l'auteur de Rhadamiste; mais il ne pouvait avoir l'humilité de le croire fupérieur à celui d'Alzire, de Mahomet et de Mérope. Il ne vit dans cet enthousiasme exagéré pour Crébillon qu'un défir fecret de l'humilier; et il ne fe trompait pas.

Le poëte, le bel efprit aurait pu conferver des amis puiffans; mais ces titres cachaient dans Voltaire un philofophe, un homme plus occupé encore des progrès de la raifon que de fa gloire perfonnelle.

Son caractère, naturellement fier et indépendant, fe prêtait à des adulations ingénieuses; il prodiguait la louange, mais il confervait fes fentimens, fes opinions, et la liberté de les montrer. Des leçons fortes ou touchantes fortaient du fein des éloges; et cette manière de louer, qui pouvait réuffir à la cour de Frédéric, devait bleffer dans toute autre.

Il retourna donc encore à Cirey, et bientôt après.

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