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VIE

DE VOLTAIRE.

LA vie de Voltaire doit être l'histoire des progrès

que les arts ont dûs à son génie, du pouvoir qu'il a exercé fur les opinions de fon fiècle, enfin de cette longue guerre contre les préjugés, déclarée dès fa jeuneffe, et foutenue jufqu'à fes derniers momens.

Mais lorsque l'influence d'un philofophe s'étend jufque fur le peuple, qu'elle eft prompte, qu'elle fe fait fentir à chaque inftant, il la doit à fon caractère, à fa manière de voir, à fa conduite, autant qu'à fes ouvrages. D'ailleurs ces détails font encore utiles pour l'étude de l'efprit humain. Peut-on espérer de le connaître, fi on ne l'a pas observé dans ceux en qui la nature a déployé toutes ses richeffes et toute fa puiffance, fi même on n'a pas recherché en eux ce qui leur eft commun avec les autres hommes, auffi-bien que ce qui les en diftingue? L'homme ordinaire reçoit d'autrui fes opinions, fes paffions, fon caractère; il tient tout des lois, des préjugés, des ufages de fon pays, comme la plante reçoit tout du fol qui la nourrit, et de l'air qui l'environne. En obfervant l'homme vulgaire, on apprend à connaître l'empire auquel la nature nous a foumis, et non le fecret de nos forces et les lois de notre intelligence. François-Marie Arouet, quia rendu le nom de Voltaire fi célèbre, naquit à Chatenay, le 20 de fevrier 1694, et fut baptifé à Paris, dans l'église de Saint-André

des-Arcs, le 22 de novembre de la même année. Son exceffive faibleffe fut la caufe de ce retard, qui pendant fa vie a répandu des nuages fur le lieu et fur l'époque de fa naiffance. On fut auffi obligé de baptifer Fontenelle dans la maison paternelle, parce qu'on défefpérait de la vie d'un enfant fi débile. Il eft affez fingulier que les deux hommes célèbres de ce fiècle, dont la carrière a été la plus longue, et dont l'efprit s'eft confervé tout entier le plus longtemps, foient nés tous deux dans un état de faibleffe et de langueur.

Le père de M. de Voltaire exerçait la charge de tréforier de la chambre des comptes; fa mère, Marguerite d'Aumart, était d'une famille noble du Poitou. On a reproché à leur fils d'avoir pris ce nom de Voltaire, c'eft-à-dire, d'avoir suivi l'usage alors généralement établi dans la bourgeoifie riche où les cadets, laiffant à l'aîné le nom de famille, portaient celui d'un fief ou même d'un bien de campagne. Dans une foule de libelles on a cherché à rabaisser sa naiffance. Les gens de lettres fes ennemis femblaient craindre que les gens du monde ne facrifiaffent trop aifément leurs préjugés aux agrémens de fa fociété, à leur admiration pour fes talens, et qu'ils ne traitassent un homme de lettres avec trop d'égalité. Ces reproches font un hommage: la fatire n'attaque point la naiffance d'un homme de lettres, à moins qu'un refte de conscience, qu'elle ne peut étouffer, ne lui apprenne qu'elle ne parviendra point à diminuer fa gloire personnelle.

La fortune dont jouiffait M. Arouet procura deux grands avantages à fon fils; d'abord celui d'une

éducation foignée, fans laquelle le génie n'atteint jamais la hauteur où il aurait pu s'élever. Si on parcourt l'histoire moderne, on verra que tous les hommes du premier ordre, tous ceux dont les ouvrages ont approché de la perfection, n'avaient pas eu à réparer le défaut d'une première éducation.

L'avantage de naître avec une fortune indépendante n'eft pas moins précieux. Jamais M. de Voltaire n'éprouva le malheur d'être obligé ni de renoncer à fa liberté pour affurer sa subsistance, ni de foumettre fon génie à un travail commandé par la néceffité de vivre, ni de ménager les préjugés ou les paffions d'un protecteur. Ainfi fon efprit ne fut point enchaîné par cette habitude de la crainte, qui non-feulement empêche de produire, mais imprime à toutes les productions un caractère d'incertitude et de faiblesse. Sa jeunesse, à l'abri des inquiétudes de la pauvreté, ne l'expofa point à contracter ou cette timidité fervile que fait naître dans une ame faible le besoin habituel des autres hommes, ou cette âpreté et cette inquiéte et foupçonneuse irritabilité, fuite infaillible pour les ames fortes de l'oppofition entre la dépendance à laquelle la néceffité les foumet, et la liberté que demandent les grandes pensées qui les occupent.

Le jeune Arouet fut mis au collège des jéfuites, où étaient élevés les enfans de la première noblesse, excepté ceux des janfénistes; et les janfénistes, odieux à la cour, étaient rares parmi des hommes qui alors obligés, par l'usage, de choisir une religion fans la connaître, adoptaient naturellement la plus utile à leurs intérêts temporels. Il eut pour professeurs de rhétorique le père Porée qui, étant à la fois un homme

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