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prouvé que DIEU n'aurait pas le pouvoir, s'il le voulait absolument, de donner à un élément de la matière la faculté de penfer; et c'était aller contre le privilége des théologiens qui prétendent favoir à point nommé, et favoir feuls, tout ce que DIEU a penfé, tout ce qu'il a fait ou pu faire, depuis et même avant le commencement du monde.

Enfin il y examinait quelques paffages des Penfées de Pafcal, ouvrage que les jefuites mêmes étaient. obligés de refpecter malgré eux, comme ceux de S' Auguftin; on fut scandalisé de voir un poëte, un laïque, ofer juger Pafcal. Il femblait qu'attaquer le feul des défenfeurs de la religion chrétienne qui eût auprès des gens du monde la réputation d'un grandhomme, c'était attaquer la religion même, et que ses preuves feraient affaiblies fi le géomètre, qui avait promis de fe confacrer à sa défense, était convaincu d'avoir fouvent mal raifonné.

Le clergé demanda la fuppreffion des Lettres fur les Anglais, et l'obtint par un arrêt du confeil. Ces arrêts fe donnent fans examen, comme une espèce de dédommagement du fubfide que le gouvernement obtient des affemblées du clergé, et une récompense de leur facilité à l'accorder. Les miniftres oublient que l'intérêt de la puiffance féculière n'est pas de maintenir, mais de laiffer détruire, par les progrès de la raison, l'empire dont les prêtres ont fi longtemps abulé avec tant de barbarie; et qu'il n'eft pas d'une bonne politique d'acheter la paix de fes ennemis, en leur facrifiant fes défenfeurs.

Le parlement brûla le livre, fuivant un ufage jadis inventé par Tibère, et devenu ridicule depuis

l'invention de l'imprimerie; mais il eft des gens auxquels il faut plus de trois fiècles pour commencer à s'apercevoir d'une abfurdité.

Toute cette perfécution s'exerçait dans le temps même où les miracles du diacre Pâris et ceux du père Girard couvraient les deux partis de ridicule et d'opprobre. Il était jufte qu'ils fe réuniffent contre un homme qui osait prêcher la raison. On alla jusqu'à ordonner des informations contre l'auteur des Lettres philofophiques. Le garde des sceaux fit exiler Voltaire qui, alors abfent, fut averti à temps, évita les gens envoyés pour le conduire au lieu de fon exil, et aima mieux combattre de loin et d'un lieu sûr. Ses amis prouvèrent qu'il n'avait pas manqué à fa promeffe de ne point publier fes Lettres en France, et qu'elles n'avaient paru que par l'infidélité d'un relieur. Heureusement le garde des fceaux était plus zélé pour fon autorité que pour la religion, et beaucoup plus miniftre que dévot. L'orage s'apaifa, et Voltaire eut la permission de reparaître à Paris.

Le calme ne dura qu'un inftant. L'Epître à Uranie, jufqu'alors renfermée dans le fecret, fut imprimée ; et pour échapper à une perfécution nouvelle, Voltaire fut obligé de la défavouer et de l'attribuer à l'abbé de Chaulieu, mort depuis plufieurs années. Cette imputation lui fefait honneur comme poëte, fans nuire à fa réputation de chrétien. (*)

La néceffité de mentir pour défavouer un ouvrage,. eft une extrémité qui répugne également à la confcience et à la nobleffe du caractère; mais le crime

(*) Voyez les Oeuvres de Chaulieu.

eft

eft pour les hommes injuftes qui rendent ce défaveu néceffaire à la fureté de celui qu'ils y forcent. Si vous avez érigé en crime ce qui n'en est pas un, fi vous avez porté atteinte, par des lois abfurdes, ou par des lois arbitraires, au droit naturel qu'ont tous les hommes, non-feulement d'avoir une opinion, mais de la rendre publique; alors vous méritez de perdre celui qu'a chaque homme d'entendre la vérité de la bouche d'un autre, droit qui fonde feul l'obligation rigoureuse de ne pas mentir. S'il n'est pas permis de tromper, c'eft parce que, tromper quelqu'un, c'eft lui faire un tort, ou s'exposer à lui en faire un; mais le tort fuppofe un droit, et perfonne n'a celui de chercher à s'affurer les moyens de commettre une injustice.

Nous ne difculpons point Voltaire d'avoir donné fon ouvrage à l'abbé de Chaulieu; une telle imputation indifférente en elle-même n'eft, comme on fait, qu'une plaifanterie. C'est une arme qu'on donne aux gens en place, lorsqu'ils font difpofés à l'indulgence, fans ofer en convenir, et dont ils fe fervent pour repouffer les perfécuteurs plus férieux ét plus acharnés.

L'indifcrétion avec laquelle les amis de Voltaire récitèrent quelques fragmens de la Pucelle, fut la cause d'une nouvelle perfécution. Le garde des fceaux menaça le poëte d'un cu de baffe foffe, fi jamais il paraiffait rien de cet ouvrage. A une longue distance du temps où ces tyrans fubalternes, fi bouffis d'une puiffance éphémère, ont ofé tenir un tel langage à des hommes qui font la gloire de leur patrie et de leur fiècle, le fentiment de mépris qu'on éprouve ne Vie de Voltaire. C

laiffe plus de place à l'indignation. L'oppreffeur et l'opprimé font également dans la tombe, mais le nom de l'opprimé, porté par la gloire aux fiècles à venir, préserve seul de l'oubli, et dévoue à une honte éternelle celui de fes lâches perfécuteurs.

Ce fut dans le cours de ces orages que le lieutenant de police Hérault dit un jour à Voltaire: Quoique vous écriviez, vous ne viendrez pas à bout de détruire la religion chrétienne. C'est ce que nous

verrons, répondit-il. (*)

Dans un moment où l'on parlait beaucoup d'un homme arrêté fur une lettre de cachet fufpecte de fauffeté, il demanda au même magiftrat ce qu'on fefait à ceux qui fabriquaient de fauffes lettres de cachet. -On les pend. C'est toujours bien fait, en attendant qu'on traite de même ceux qui en fignent de vraies.

Fatigué de tant de perfécutions, Voltaire crut alors devoir changer fa manière de vivre. Sa fortune lui en laiffait la liberté. Les philofophes anciens vantaient la pauvreté comme la fauvegarde de l'indépendance; Voltaire voulut devenir riche pour être indépendant; et il eut également raison. On ne connaissait point chez les anciens ces richeffes fecrètes qu'on peut s'affurer à la fois dans différens pays, et mettre à l'abri de tous les orages. L'abus des confiscations y rendait les richeffes auffi dangereuses par elles-mêmes que la gloire ou la faveur populaire. L'immenfité de l'empire romain, et la petiteffe des républiques grecques, empêchaient également de fouftraire à ses ennemis fes richeffes et fa perfonne. (*) Voyez la correfpondance générale.

La différence des mœurs entre les nations voisines, l'ignorance prefque générale de toute langue étrangère, une moins grande communication entre les peuples, étaient autant d'obftacles au changement de patrie.

D'un autre côté, les anciens connaissaient moins ces aifances de la vie, néceffaires parmi nous à tous ceux qui ne font point nés dans la pauvreté. Leur climat les affujettiffait à moins de befoins réels, et les riches donnaient plus à la magnificence, aux raffinemens de la débauche, aux excès, aux fantaifies, qu'aux commodités habituelles et journalières. Ainfi, en même temps qu'il leur était à la fois plus facile d'être pauvres, et plus difficile d'être riches fans danger, les richeffes n'étaient pas chez eux, comme parmi nous, un moyen de se souftraire à une oppreffion injuste.

Ne blâmons donc point un philofophe d'avoir, pour affurer fon indépendance, préféré les ressources que les mœurs de fon fiècle lui préfentaient, à celles qui convenaient à d'autres mœurs et à d'autres temps.

Voltaire avait hérité de fon père et de fon frère une fortune honnête; l'édition de la Henriade, faite à Londres, l'avait augmentée; des spéculations heureuses dans les fonds publics y ajoutèrent encore: ainfi, à l'avantage d'avoir une fortune qui affurait fon indépendance, il joignit celui de ne la devoir qu'à lui-même. L'ufage qu'il en fit aurait dû la lui faire pardonner.

Des fecours à des gens de lettres, des encouragemens à des jeunes gens en qui il croyait apercevoir le germe du talent, en abforbaient une grande

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