vexations des traitans, de détruire les entraves dans lesquelles une fausse politique enchaîne la liberté et l'activité des citoyens, afin que du moins il ne manque au bonheur des hommes que d'être libres, et que bientôt on puisse présenter à la liberté des peuples plus dignes d'elle. Tel est le résultat de la philosophie de Voltaire, et tel est l'esprit de tous ses ouvrages. Que des hommes qui, s'il n'avait pas écrit, seraient encore les esclaves des préjugés, ou trembleraient d'avouer qu'ils en ont secoué le joug, accusent Voltaire d'avoir trahi la cause de la liberté, parce qu'il l'a défendue sans fanatisme et sans imprudence; qu'ils le jugent d'après une disposition des esprits postérieure de dix ans à sa mort, et d'un demisiècle à sa philosophie, d'après des opinions qui sans lui n'auraient jamais été qu'un secret entre les sages; qu'ils le condamnent pour avoir diftingué le bien qui peut exister sans la liberté, du bonheur qui naît de la liberté même ; qu'ils ne voyent pas que si Voltaire eût mis dans ses premiers ouvrages philosophiques les principes du vieux Brutus, c'est-àdire ceux de l'acte d'indépendance des Américains, ni Montesquieu, ni Rousseau n'auraient pu écrire leurs ouvrages; que si, comme l'auteur du Systême de la nature, il eût invité les rois de l'Europe à maintenir le crédit des prêtres, l'Europe ferait encore superstitieuse, et resterait long-temps esclave; qu'ils ne fentent pas que dans les écrits, comme dans la conduite, il ne faut déployer que le courage qui peut être utile : peu importe à la gloire de Voltaire. C'est par les hommes éclairés qu'il doit être jugé, par ! i par ceux qui savent diftinguer, dans une suite d'ouvrages différens, par leur forme, par leur style, par leurs principes même, le plan fecret d'un philosophe qui fait aux préjugés une guerre courageuse, mais adroite; plus occupé de les vaincre que de montrer son génie, trop grand pour tirer vanité de fes opinions, trop ami des hommes pour ne pas mettre sa première gloire à leur être utile. Voltaire a été accusé d'aimer trop le gouvernement d'un seul, et cette accusation ne peut en impofer qu'à ceux qui n'ont pas lu ses ouvrages. Il est vrai qu'il haïssait davantage le despotisme aristocratique qui joint l'austérité à l'hypocrisfie, et une tyrannie plus dure à une morale plus perverse; il est vrai qu'il n'a jamais été la dupe des corps de magiftrature de France, des nobles Suédois et Polonais qui appelaient liberté le joug sous lequel ils voulaient écrafer le peuple: et cette opinion de Voltaire a été celle de tous les philosophes qui ont cherché la définition d'un Etat libre dans leur cœur et dans leur raison, et non, comme le pédant Mabli, dans les exemples des anarchies tyranniques de l'Italie et de la Grèce. On l'accuse d'avoir trop loué le faste de la cour de Louis XIV: cette accufation est fondée. C'est le seul préjugé de fa jeunesse qu'il ait conservé. Il ya bien peu d'hommes qui puissent se flatter de les avoir fecoués tous. On l'accuse d'avoir cru qu'il suffisait au bonheur d'un peuple d'avoir des artistes célèbres, des orateurs et des poëtes: jamais il n'a pu le penser. Mais il croyait que les arts et les lettres adoucifssent les mœurs, préparent à la raison une route plus : facile et plus sûre; il pensait que le goût des arts et des lettres dans ceux qui gouvernent, en amolliffant leur cœur, leur épargne souvent des actes de violence et des crimes, et que dans des circonstances semblables, le peuple le plus ingénieux et le plus poli fera toujours le moins malheureux. Ses pieux ennemis l'ont accusé d'avoir attaqué, de mauvaise foi, la religion de son pays, et de porter l'incrédulité jusqu'à l'athéisme : ces deux inculpations sont également fausses. Dans une foule d'objections fondées sur des faits, fur des passages tirés de livres regardés comme inspirés par DIEU même, à peine a-t-on pu lui reprocher, avec justice, un petit nombre d'erreurs qu'on ne pouvait imputer à la mauvaise foi, puisqu'en les comparant au nombre des citations justes, des faits rapportés avec exactitude, rien n'était plus inutile à sa cause. Dans sa dispute avec ses adversaires, il a toujours dit: On ne doit croire que ce qui est prouvé, on doit rejeter ce qui blesse la raison, ce qui manque de vraisemblance; et ils lui ont toujours répondu : On doit adopter et adorer tout ce qui n'est pas démontré impoffibie. Il a paru conftamment perfuadé de l'existence d'un Etre suprême, fans se diffimuler la force des objections qu'on oppose à cette opinion. Il croyait voir dans la nature un ordre régulier, mais fans s'aveugler sur des irrégularités frappantes qu'il ne pouvait expliquer. Il était perfuadé, quoiqu'il fût encore éloigné de cette certitude abfolue devant laquelle se taisent toutes les difficultés; et l'ouvrage intitulé : Il faut prendre arts ies 5 un parti, ou le principe d'action (*) renferme peutêtre les preuves les plus fortes de l'existence d'un Etre suprême, qu'il ait été possible jusqu'ici aux hommes de rassembler. Il croyait à la liberté dans le sens où un homme raifonnable peut y croire, c'est-à-dire qu'il croyait au pouvoir de résister à nos penchans, et de pefer les motifs de nos actions. Il resta dans une incertitude presque abfolue sur la fpiritualité, et même sur la permanence de l'ame après le corps; mais comme il croyait cette dernière opinion utile, de même que celle de l'existence de DIEU, il s'est permis rarement de montrer ses doutes, et a presque toujours plus insisté sur les preuves que fur les objections. Tel fut Voltaire dans sa philosophie: et l'on trouvera peut-être, en lifant sa vie, qu'il a été plus admiré que connu; que malgré le fiel répandu dans quelques-uns de ses ouvrages polémiques, le sentiment d'une bonté active le dominait toujours; qu'il aimait les malheureux plus qu'il ne haïssait ses ennemis ; que l'amour de la gloire ne fut jamais en lui qu'une paffion fubordonnée à la paffion plus noble de l'humanité. Sans faste dans ses vertus et fans diffimulation dans ses erreurs, dont l'aveu lui échappait avec franchise, mais qu'il ne publiait pas avec orgueil, il a exifté peu d'hommes qui aient honoré leur vie par plus de bonnes actions, et qui l'aient fouillée par moins d'hypocrifie. Enfin, on se souviendra qu'au milieu de sa gloire, après avoir illustré la scene française par tant de chefs-d'œuvre, lorsqu'il (*) Philofophie, tome I. |