ne vient-elle pas de ce Tansille, qui avait déjà fourvoyé Malherbe, lorsqu'il disait dans les Larmes de Saint-Pierre: Ses souspirs se font vents qui les chesnes combattent 1. Ne quittons pas Racan sur ces remarques, que cependant il fallait faire. Nous avons mieux à dire. Si Racan n'est pas un poëte dramatique, il est certainement. le premier de tous nos poëtes qui ait parlé la langue qui convient au théâtre; avant Racine, il a donné à notre hexamètre la noblesse et l'harmonie, sans lui ôter ni le naturel ni la variété. Nous l'avons déjà vu par les vers qu'il met dans la bouche du vieil Alidor; nous en avons une preuve plus frappante encore dans ceux que prononce le jeune Alidor, amant d'Arténice: A ces vieux bastiments de qui l'on voit à peine Ces vieux chesnes ridez savent combien de fois 1 Malherbe, liv. 1, p. 17. Racan, t. I, les Bergeries, acte III, Sc. IV, p. 80. On a fait bien des vers français depuis Racan, on n'en a pas fait de plus pleins, de plus coulants, de plus harmonieux que ceux qu'on vient de lire. Avant lui, jamais pareille mélodie poétique n'avait charmé les oreilles. Ces belles périodes en vers sont les plus beaux titres de Racan, puisqu'il est le premier qui ait réussi à en faire de telles, mais elles ne nous dispensent pas de lui tenir compte de moindres efforts qui n'ont pas été moins heureux. Ces vers sur la puissance d'un magicien : Dieux! que sur ces démons il s'est acquis d'empire! ne sont-ils pas d'une bonne facture, et ce distique sur la vanité de la gloire humaine : La gloire des mortels n'est qu'ombre et que fumée, n'exprime-t-il pas avec une précision lumineuse une belle pensée ? Nous n'avons plus, après cela, à nous étonner du suffrage de Boileau et moins encore de l'admiration de la Fontaine. Pour la Fontaine, Racan est un précurseur, il aime les champs, il écrit sans effort, il passe naturellement du simple au sublime, il est rêveur, il est distrait, il est bonhomme, que fallait-il de plus pour reconnaître la parenté morale? Il est Racan, t. I, les Bergeries, acte II, sc. IV, p. 58. 2 Id., ibid., acte III, sc. 1, p. 69. vrai que la Fontaine a ajouté à la bonhomie de son ancêtre bien de la malice, mais il n'y a pas à s'en plaindre. Nous savons que Malherbe a failli gâter la Fontaine, nous ne croyons pas qu'il ait beaucoup servi Racan. Malherbe et Racan n'en demeurent pas moins inséparables dans l'histoire de notre poésie. Malherbe a trouvé le ton de l'ode et sa mélopée; Racan a rencontré le rhythme de l'alexandrin et sa meilleure prosodie. Ce sont des maîtres qui n'ont pas été surpassés dans la partie où ils ont excellé. Il semble que Racan, par la noblesse et le naturel de sa poésie, comme par la sincérité de sa foi religieuse, était préparé à reproduire la majesté de la poésie sacrée et qu'il pouvait, après Malherbe et comme lui, réussir dans l'imitation des psaumes. Malheureusement Racan essaya tardivement cette entreprise et lorsque à sa nonchalance naturelle s'ajoutait la langueur de la vieillesse; aussi est-ce à grand peine, et par une bonne fortune d'homme de goût, que M. Patin a pu dégager de ce fond pâle et monotone quelques passages poétiques qui mériteraient d'être mis à part et préservés de l'oubli. Il ne faut demander à Maynard ni la veine fluide ni l'harmonieuse mollesse de Racan, mais en retour il est toujours châtié, souvent nerveux, quelquefois élégant. De plus, il a eu le courage d'aimer la clarté et de le dire dans une épigramme qu'on n'a pas oubliée : Ce que ta plume produit Est couvert de trop de voiles; Veuve de lune et d'estoiles. Mon ami, chasse bien loin Si ton esprit veut cacher Il avait à un haut degré le sentiment de son mérite, et il se plaint, non sans amertume, que ce mérite ne le porte ni aux dignités ni à l'opulence. Négligé sous Henri IV, qui du moins ne se piquait pas de protéger les poètes, il eut encore à se plaindre de Richelieu, dont il sollicita vainement les libéralités, et il paraît que dans une dernière tentative il ne fut pas plus heureux auprès de Mazarin et de la régente Anne d'Autriche : c'est alors seulement qu'il se retira, sans esprit de retour, à Aurillac, sa patrie, et qu'il fit graver sur la porte de son cabinet ces vers devenus célèbres : Las d'esperer et de me plaindre Sans la desirer ni la craindre 2? Avant d'en venir à cette résignation philosophique, 1 Euvres de M. Maynard, 1 vol. in-4o, Paris, 1646, p. 195. 2 il faut rendre cette antithèse à qui elle appartient, à Martial, qui a dit (1. X, ép. 47): Summum nec metuas diem, nec optes. plus noble si elle eût été moins tardive, il avait longtemps maugréé. Il disait à son maître : Malherbe, en cet âge brutal, Pegase est un cheval qui porte A son condisciple Racan: L'art des vers est un art divin, Qui vaut moins qu'un bouchon à vin *. Et à la Destinée, avec plus de tristesse que de modestie : Destin, veux-tu que mon cercueil Ne puisse donner de l'orgueil Il s'était cruellement vengé du refus catégorique, du Rien si durement opposé par Richelieu à sa requête, par ce sonnet qui est sans doute un des deux ou trois entre mille auxquels Despréaux faisait grâce: 4 Par vos humeurs le monde est gouverné. Et vous riés de me voir confiné, Loin de la cour, dans mon petit village. 1 Euvres de Maynard, p. 123. Ibid., p. 141. Ibid., p. 102. A peine dans Gombaud, Maynard et Malleville, (Boileau, Art poétique, ch. 11, v. 97.) |