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Les deux grands mouvements qui ont agité le seizième siècle, la réforme religieuse et la renaissance des lettres antiques, se règlent enfin au terme de cette période, et aboutissent à une double conciliation qui fait succéder la discipline à l'anarchie dans le monde politique et dans ce qu'on est convenu d'appeler la république des lettres. Dans l'ordre po

litique, un roi s'établit glorieusement : c'est Henri IV; dans l'ordre littéraire, un dictateur s'impose : c'est Malherbe. Avec eux et par eux commencent réellement les temps modernes ; ils annoncent Richelieu et Corneille, qui préparent à leur tour Louis XIV et son cortége de grands écrivains. Le Béarnais était bien l'homme destiné à l'apaisement des troubles: égal à toutes les croyances, il désarmait le catholicisme en l'embrassant, et le souvenir de son hérésie ralliait à lui les protestants. Toutefois ces gages donnés aux deux partis, fatigués de la guerre, en aplanissant les voies du trône, lui laissaient encore bien des difficultés à surmonter. En tenant la balance égale, il ne devait satisfaire ni ceux qui l'avaient servi, ni ceux qui l'avaient combattu. Il ne s'en inquiéta pas : résigné d'avance aux plaintes, aux reproches amers des uns, à la défiance des autres, il prit pour règle de conduite l'intérêt de sa puissance propre et la grandeur du pays, qui se trouvaient d'accord par une heureuse rencontre. Sans doute, comme homme privé, il fut ingrat, oubliant les services au moins autant que les injures; mais, comme chef de l'État, il fut irréprochable et fit courageusement son métier. Sa politique mit les factions hors de cause.

Malherbe fit pour la langue française ce que son maître, Henri IV, fit pour la France; grâce au roi, les Français furent une nation, et, par Malherbe, le français fut un idiome : l'un établit et maintint l'indépendance du pays, l'autre celle du langage. Lorsque le Béarnais, maître de Paris, vit défiler devant lui les soldats de l'Espagne, il leur dit : « Bon voyage,

messieurs! mais n'y revenez pas. » Malherbe adressa le même compliment aux mots étrangers qui avaient fait invasion sous les auspices de Ronsard. Malherbe organisa la langue sur le plan que Henri IV avait adopté pour l'État. Il s'adjugea la souveraineté de cet empire, ne craignant pas d'être appelé le tyran des mots et des syllabes. Le premier soin du maître, dans son empire, fut de repousser les intrus et d'organiser une noblesse. Il fit avec un admirable discernement le départ de la langue noble et de la langue vulgaire, sans toutefois établir de barrière insurmontable. Il savait que les mots sont comme les pièces de monnaie, dont l'empreinte et le relief s'usent et s'effacent par l'usage et la circulation: il ne fit donc pas de castes comme dans les États despotiques, mais des classes; de telle sorte que la classe supérieure pût se recruter dans les classes inférieures. Puisqu'il y a des mots qui doivent déchoir, il faut qu'il y en ait qui puissent parvenir. Sans ce perpétuel mouvement, la langue d'élite ne tarderait pas à dépérir, et, si ce mal survenait, il serait réparé par un autre mal, c'est-à-dire par une irruption confuse et désordonnée, par une ascension tumultueuse des couches inférieures.

Le génie de Malherbe semblait prédestiné à l'accomplissement de cette œuvre. Plus étendu, il aurait eu moins d'énergie: plus passionné et plus riche d'idées, il aurait dédaigné un travail qui demandait plutôt un grammairien qu'un poëte inspiré. Ses pensées, concentrées presque exclusivement sur la grammaire et la prosodie, façonnèrent l'instrument

et le moule de la poésie; d'autres viendront ensuite qui pourront, grâce à lui, en tirer des accords plus hardis et y jeter des pensées plus profondes. On ne saurait nier que Malherbe ait eu peu d'idées et une verve peu abondante; mais il sut la ménager et ne la répandre que lorsqu'elle s'était amassée et condensée au point de produire quelque œuvre virile. Ses produits sont rares, mais vigoureux. Moins sobre de son génie, il l'eût rapidement épuisé aux dépens de sa gloire. On peut dire de lui,

Qu'il pensait de régime et rimait à ses heures 1;

mais ce régime convenait à son tempérament poétique, et il l'a si bien conservé que, dans l'âge de la caducité, son génie a su produire l'ode à Louis XIII, où la vieillesse ne se montre que par l'aveu qu'il en fait:

Je suis vaincu du temps, je cede à ses outrages;
Mon esprit seulement, exempt de sa rigueur,

A de quoi temoigner en ses derniers ouvrages
Sa premiere vigueur 2.

Malherbe ne s'est pas borné à épurer, à assainir la langue, il en a su faire un emploi poétique. Certes, ce ne serait pas une gloire médiocre que d'avoir connu et déterminé le génie de notre idiome, introduit dans

Il vivoit de régime et mangeoit à ses heures.

(LA FONTAINE, liv. VII, fab. iv, v.

11.)

• Poésies de François Malherbe, commentées par André Ché nier, éd. de MM. de La Tour, 1 vol. in-18; Charpentier, 1842, liv. III, p. 261.

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