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LE GENTILHOMME FORÇAT FLORIOT DE BOISFEY

(VOIR P. 89-90.)

Nous complétons ici les détails donnés sur ce personnage inconnu (1), dont s'occupa l'Académie.

<< On produict une lettre dont personne n'est le porteur, qui passe dans les meins de quelques uns de ces messieurs les académiciens. M. le secrétaire a dict qu'il y a quelques jours que cette lettre a paru, qu'on la lui a remise comme venant de la part d'un gentilhomme gallerien, mais ayant esté veue en divers endroits de la ville, il avoit creu que c'estoit une lettre faicte à plaisir. M. G. a dict qu'un officier de gallère la lui avoit remise et que la chose est constemment ainsi qu'il la lui a dicte, que ce n'est point une cassade, mais que l'embarras où les affaires de cette ville (à cause des logements des gens de guerre) tiennent les esprits n'a pas donné lieu plustost à la redition de cette lettre.

M. le directeur qui ne l'avoit point veue en demende une lecture. On trouve le cas extraordinaire et l'on demeure d'accord de la mettre dans le Registre.

M. le secrétaire a dict que ce malheureux gentilhomme, s'il faut en croire à sa lettre, se passera bien de l'honneur que l'assemblée propose, mais qu'il ne se passera point aussi aisément du secours qu'il attend. On propose quelques expédients qui tous en

(1) M. Bory, les Origines de l'Imprimerie à Marseille, in-8, 1858, cite encore p. 59, cinq ouvrages imprimés chez Claude Garcin de 1682 à 1684, dont le plus important est intitulé : L'Apôtre de Provence, ou la vie du glorieux Saint-Lazare, premier évêque de Marseille, par Jean de Chanteloup, écuier, sieur de Barban, forçat sur les galères de France.

semble ne viennent pas au sens et à l'intention de celui qui escrit. On n'oppine rien touschant la response qui seroit une grande consolation pour ce noble forçat, enfin dans le moys de décembre de cette année 1678, on reçoit une deuxiesme lettre de M. Floriot de Boysfey, c'est ainsi qu'elle est signée, de Marseille et de la gallère Forte-Neuve (et non Porte Neuve comme il est imprimé p. 89). On demeure d'accord d'enregistrer et l'une et l'autre, et M. le secrétaire est prié de respondre à ce pauvre gentilhomme toute la vérité la plus consolente pour ses affaires, qu'il se pourra. Ce M. Floriot de Boysfey faict de jolis vers et de bonnes lettres, on en montre encore une de sa façon qu'il a escrite à une dame de cette ville, pour lui demender son adsistance, cette lettre est pleine de jolivetés, et ses vers et sa prose marquent plus de patience et de gallanterie qu'on n'en a pour l'ordinaire dans l'estat où il se trouve.

Lettre d'un gentilhomme gallerien escritte à messieurs de l'Académie (en octobre 1678, les distances observées dans l'original).

<< Messieurs, que dirés vous d'un infortuné gentilhomme qui sans vous estre connu prend la liberté de vous escrire et mesme d'implorer vostre secours ? Cette confiance me vient de ce que je sçay, messieurs, que

Vous estes ces vivans flambleaux,

Ces lumières toutes célestes,

Dont les divins talens évoquent des tombeaux
De la vertu romaine et l'essence et les restes,
A la postérité vous filés d'heureux jours,

Arles est par vostre secours,

La plus glorieuse des villes,

Vos noms font dans ses murs revivre ces grands morts
Et l'on trouve à foyson dans vostre illustre corps,
Des Cicérons et des Virgilles.

Je sçay de plus, messieurs, que vous qui avés le plus grand Roy du monde pour Mecoenas, imités la généreuse compassion qu'il a pour ceux qui ont quelque teinture des belles lettres, et que vous faictes revivre, à son exemple, ce fameux favori d'Auguste qui a immortalisé son nom par la seule protection qu'il accordoit aux savans, je sçay, messieurs, que les gens de ce caracthère sont rares au siècle où nous sommes et que suyvant ce tu quamvis venias d'un ancien, on prend plustost garde si un homme a les meins dorées que s'il a l'esprit rempli de mille belles connoissances. Il ne faut pas s'estonner de cette espèce d'injustice dans la corruption du temps où nous vivons, puisque ceux qui semblent faire profession d'une amitié sincère et solide n'en ont que l'escorce, et pour habiller à la francese ce fameux Dum fueris felix de l'antiquité, il n'est que trop vray de dire :

On trouve des amis et mesme en quantité,
Lorsque le temps pour nous heureusement s'escoule,
Le bonheur les attire, et dans l'adversité,

Un funeste revers escarte bien la foule.

Je fay, messieurs, une expérience bien fatale de cette vérité j'avois quelques uns de ces masques d'amitié dans le monde, la veue seule d'un malheur qui m'a tout osté, et que je souffre pour un autre, me les a ravis et je suis présentement dans un délaissement digne de ces généreuses adsistances que chascun de vous accorde aux malheureux qui les reclament, l'achajt d'un Turc à cause de mon invalidité me tireroit d'affaire, et si vous vouliés entre vous, messieurs, y contribuer de

quelque marque de générosité vous pourriés avoir la bonté de m'envoyer vostre secours et d'estre persuadés que si par vostre moyen je recouvrois la liberté qui m'est plus chère que la vie, je fairois gloire de la perdre, pour vous tesmoigner le désir que j'ay d'estre tant qu'elle durera, avec de très profonds respects, messieurs, vostre très humble et très obéissant serviteur,

FLORIOT DE BOYS FEY.

A Marseille, ce 18 octobre 1678.

A Marseille sur la Gallère la Forte Neufve. »

Deuxième lettre du sieur de Boys Fey à Messieurs de l'Académie françoise d'Arles, c'est ainsi qu'il nomme l'Académie royalle. (Note marginale).

Messieurs, je m'estois il y a environ deux mois donné l'honneur d'escrire à vostre illustre corps, pour implorer vostre assistance. Je suis persuadé, puisque M. de Barras (1), nostre lieutenant, a eu la bonté de me le dire, qu'il avoit remis la lettre à vostre secrétaire. Cependant, messieurs, je languis encore dans l'attente d'une response. Je l'achepterois de tout ce que j'ay de plus cher, ne fust-elle qu'en papier :

Hé quoi, messieurs, est-il possible,
Qu'un gentilhomme malheureux,

Dans un estat si douloureux,

N'ait pu de vostre cœur trouver l'endroit sensible!

En vérité, messieurs, je ne puis vous exprimer, à quel point cela me surprend, ma surprise ne seroit pas si grande si vous (estiez) des personnes ordinaires, mais il n'y aura personne qui ne soit surpris d'appren

(1) Sans doute l'académicien dont il s'agit, t. I, p. 123, note 1.

dre qu'un gentilhomme demende du secours à une compagnie aussi célèbre que la vostre, par une lettre, sans en avoir seulement de response. Je vous la demende, messieurs, avec tout le respect possible, et suis, messieurs, vostre très humble et très obéissant serviteur,

FLORIOT DE BOYS FEY.

A Marseille, ce 13 décembre 1678. »

<< Ces deux lettres cy-devant enregistrées furent remises à M. Giffon par le sieur de Barras, lieutenant de gallère. L'assemblée prie M. le secrétaire d'y respondre le plus honnestement qu'il se pourra, sans engager la parolle ni l'honneur de la compagnie dans une affaire de cette nature inconnue et dont la partie elle seule avoit rendu tesmoignage.

M. le secrétaire scéant pour directeur ce 26 décembre 1678, a dict que l'honneur du corps ne seroyt nullement engagé si l'on donnoit commission à quelque personne de foy et de probité allant à Marseille. de s'informer au vray de la condicion de celuy qui a escrit, de la qualité de son crime, s'il a le roy pour partie, ou si véritablement il est malheureux, sans estre coulpable, et qu'après tout cela, on luy debvoit respondre plus solidement qu'en belles parolles, qu'il demendoit un secours considérable, et qui feroit honneur à l'Accadémie si elle pouvoit le lui donner, etc. >> Mémoire des mois de novembre et décembre 1678, Registre de l'Académie, fol. 175 et 176.

Le 27 octobre 1678, M. de Boche fut député au roi, parce que MM. de Grignan et de Rouillé avaient répondu que le délogement des cavaliers ne dépendait pas d'eux, disent les Registres du conseil de ville d'Arles. Voir plus haut p. 94.

Voici comment le Mercure de décembre 1678 raconte le succès un peu inespéré de sa mission:

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