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jusqu'à l'accusation d'athéisme, faillit être brûlé par la main du bourreau; mais Descartes, las de ces luttes qui prenaient sans profit le meilleur de son temps, et qui avait résisté aux avances de Louis XIII et du cardinal de Richelieu, préféra se rendre aux instances de la reine Christine de Suède, et alla, en 1649, se fixer à Stockholm, où il fut reçu avec de grandes marques d'honneur; la reine voulut prendre de lui des leçons de philosophie; il se rendait tous les jours, à cing heures du matin, à la cour, et dissertait sur la philosophie en préseuce d'un auditoire d'élite. Ces leçons, données dans de pareilles conditions, furent fatales au philosophe : il prit un jour un refroidissement suivi d'une fièvre chaude qui accélérérent sa mort. Il succomba le 11 février 1680, dans sa cinquantequatrième année.

En rééditant l'ouvrage, devenu classique, qui fait époque dans le développement de la raison humaine, nous avons à regretter que l'espace nous manque pour apprécier comme il le mérite le père de la philosophie française; disons seulement qu'il contraignit ses contemporains à secouer le joug de la métaphysique péripatéticienne; qu'il lui fallut, à la fois, du courage et du génie pour enseigner aux hommes les moyens pratiques de parvenir à la découverte de la vérité. On apprend de l'auteur des Passions de l'âme, à douter, c'est-à-dire à se détacher des sens, à se défier des idées préconçues, à suspendre son jugement, à n'admettre que ce qui porte le caractère de l'évidence par une chaîne ininterrompue de conséquences basées sur l'art du raisonnement, le talent d'analyser les idées, d'en créer de nouvelles. La postérité a fait table rase de quelques-uns des systèmes de Descartes, par exemple l'hypothèse des tourbillons et ses idées sur l'àme des bêtes, mais elle a gardé sa reconnaissance et son admiration à l'homme qui lui a appris à exprimer sa pensée dans un langage clair et énergique; au philo sophe qui, comme le dit ingénieusement le P. Guénard, dans son Eloge de Descartes, enfermé dans le laby. rinthe avec tous les autres philosophes, se fit lui-même des ailes et s'envola, frayant ainsi une route nouvelle à la raison captive. C'est à cette salutaire audace que nous devons, et les trois grands hommes qui ont profité des travaux du précurseur : Bacon, Leibnitz et Newton, et les penseurs qui ont, au dernier siècle, jeté les fondements de la société moderne. N. D.

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Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous le que la diversité

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se send e f
upas les memes choses. Car ce n'est

pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le prin-
cipal est de l'appliquer bien. Les plus gran-

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consid

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des âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.

Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun: même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l'esprit : car pour la raison, ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion.commune des philosophes qui disent qu'il n'y a du plus ou du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce.

Mais je ne crain rai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'être

rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit à des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance, et de l'élever peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d'atteindre. Car j'en ai déjà recueilli de tels fruits, qu'encore qu'au jugegement que je fais de moi-même je tâche toujours de pencher vers le côté de la défiance plutôt que vers celui de la présomption, et que, regardant d'un œil de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n'y en ait quasi aucune qui ne me semble vaine et inutile, je ne laisse pas de recevoir une extrême satisfaction du progrès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérité, et de concevoir de telles espérances pour l'avenir, que si, entre les ccupations des hommes, purement hommes, il y en a quelqu'une qui soit solidement bonne et importante, j'ose croire que c'est celle que j'ai choisie.

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