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finances ni aucun ménagement à garder, que dans un visir qui veut fomenter les passions de son maître, ménager les fripons en faveur, enrichir ses créatures, et faire sa main pour lui-même ? On voit encore que les femmes auront moins de pouvoir, et que par conséquent l'état en ira mieux. Car il est plus aisé à une femme intrigante de placer un visir que cinquante conseillers, et de séduire un homme que tout un collége. On voit que les affaires ne seront plus suspendues ou bouleversées par le déplacement d'un visir; qu'elles seront plus exactement expédiées quand, liées par une commune délibération, l'exécution sera cependant partagée entre plusieurs conseillers, qui auront chacun leur département, que lorsqu'il faut que tout sorte d'un même bureau; que les systèmes politiques seront mieux suivis et les règlements beaucoup mieux observés quand il n'y aura plus de révolutions dans le ministère, et que chaque visir ne se fera plus un point d'honneur de détruire tous les établissements utiles de celui qui l'aura précédé; de sorte qu'on sera sûr qu'un projet une fois formé ne sera plus abandonné que lorsque l'exécution en aura été reconnue impossible ou mauvaise.

A toutes ces conséquences, ajoutez-en deux non moins certaines, mais plus importantes encore, qui n'en sont que le dernier résultat, et doivent

leur donner un prix que rien ne balance aux yeux du vrai citoyen. La première, que, dans un travail commun, le mérite, les talents, l'intégrité, se feront plus aisément connoître et récompenser, soit dans les membres des conseils qui seront sans cesse sous les yeux les uns des autres et de tout l'état, soit dans le royaume entier, où nulles actions remarquables, nuls hommes dignes d'ètre distingués, ne peuvent se dérober long-temps aux regards d'une assemblée qui veut et peut tout voir, et où la jalousie et l'émulation des membres les porteront souvent à se faire des créatures qui effacent en mérite celles de leurs rivaux. La seconde et dernière conséquence est que les honneurs et les emplois distribués avec plus d'équité et de raison, l'intérêt de l'état et du prince mieux écouté dans les délibérations, et les affaires mieux expé diées, et le mérite plus honoré, doivent nécessairement réveiller dans le cœur du peuple cet amour de la patrie qui est le plus puissant ressort d'un sage gouvernement, et qui ne s'éteint jamais chez les citoyens que par la faute des chefs 1.

Tels sont les effets nécessaires d'une forme de gouvernement qui force l'intérêt particulier à céder à l'intérêt général. La polysynodie offre encore d'autres avantages qui donnent un nouveau prix

Il y a plus de ruse et de secret dans le visirat, mais il y a plus de lumières et de droiture dans la synodie.

à ceux-là. Des assemblées nombreuses et éclairées fourniront plus de lumières sur les expédients, et l'expérience confirme que les délibérations d'un sénat sont en général plus sages et mieux digérées que celles d'un visir. Les rois seront plus instruits de leurs affaires; ils ne sauroient assister aux conseils sans s'en instruire, car c'est là qu'on ose dire la vérité; et les membres de chaque conseil auront le plus grand intérêt que le prince y assiste assidument pour en soutenir le pouvoir ou pour en autoriser les résolutions. Il y aura moins de vexations et d'injustices de la part des plus forts; car un conseil sera plus accessible que le trone aux opprimés; ils courront moins de risques à y porter leurs plaintes, et ils y trouveront toujours dans quelques membres plus de protecteurs contre les violences des autres, que sous le visirat contre un seul homme qui peut tout, ou contre un demivisir d'accord avec ses collègues pour faire renvoyer à chacun d'eux le jugement des plaintes qu'on fait contre lui. L'état souffrira moins de la minorité, de la foiblesse ou de la caducité du prince. Il n'y aura jamais de ministre assez puissant pour se rendre, s'il est de grande naissance, redoutable à son maître même, ou pour écarter et mécontenter les grands, s'il est né de bas lieu; par conséquent, il y aura d'un côté moins de levains de guerres civiles, et de l'autre plus de sû

gens

reté pour la conservation des droits de la maison royale. Il y aura moins aussi de guerres étrangères, parce qu'il y aura moins de intéressés à les susciter, et qu'ils auront moins de pouvoirs pour en venir à bout. Enfin, le trône en sera mieux affermi de toutes manières; la volonté du prince, qui n'est ou ne doit être que la volonté publique, mieux exécutée, et par conséquent la nation plus heureuse.

Au reste, mon auteur convient lui-même que l'exécution de son plan ne seroit pas également avantageuse en tout temps, et qu'il y a des moments de crise et de trouble où il faut substituer aux conseils permanents des commissions extraordinaires, et que quand les finances, par exemple, sont dans un certain désordre, il faut nécessairement les donner à débrouiller à un seul homme, comme Henri IV fit à Rosny, et Louis XIV à Colbert. Ce qui signifieroit que les conseils ne sont bons pour faire aller les affaires que quand elles vont toutes seules. En effet, pour ne rien dire de la polysynodie même du Régent, l'on sait les risées qu'excita, dans des circonstances épineuses, ce ridicule conseil de raison, étourdiment demandé par les notables de l'assemblée de Rouen, et adroitement accordé par Henri IV. Mais, comme les finances des républiques sont en général mieux administrées que celles des monarchies, il est à

croire qu'elles le seront mieux, ou du moins plus fidèlement, par un conseil que par un ministre, et que si, peut-être, un conseil est d'abord moins capable de l'activité nécessaire pour les tirer d'un état de désordre, il est aussi moins sujet à la négligence ou à l'infidélité qui les y font tomber : ce qui ne doit pas s'entendre d'une assemblée passagère et subordonnée, mais d'une véritable polysynodie, où les conseils aient réellement le pouvoir qu'ils paroissent avoir, où l'administration des affaires ne leur soit pas enlevée par des demi-visirs, et où sous les noms spécieux de conseil d'état ou de conseil des finances, ces corps ne soient pas seulement des tribunaux de justice ou des chambres des comptes.

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CHAPITRE XI.

Conclusion.

Quoique les avantages de la polysynodie ne soient pas sans inconvénients, et que les inconvénients des autres formes d'administration ne soient pas sans avantages, du moins apparents, quiconque fera sans partialité le parallèle des uns et des autres trouvera que la polysynodie n'a point d'inconvénients essentiels qu'un bon gouvernement ne puisse aisément supporter; au lieu que

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