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finances, à lever bien des troupes réglées, songe au contraire à licencier son armée et à se passer d'argent, ils croiront qu'elle travaille à s'affoiblir; et, persuadés qu'ils n'auront pour en faire la conquête qu'à s'y présenter quand ils voudront, ils la laisseront se régler tout à son aise, en se moquant en eux-mêmes de son travail. Et il faut convenir que l'état de liberté ôte à un peuple la force offensive, et qu'en suivant le plan que je propose on doit renoncer à tout espoir de conquête. Mais que, votre œuvre faite, dans vingt ans les Russes tentent de vous envahir, et ils connoîtront quels soldats sont pour la défense de leurs foyers ces hommes de paix qui ne savent pas attaquer ceux des autres, et qui ont oublié le prix de l'argent.

Au reste, quand vous serez délivrés de ces cruels hôtes, gardez-vous de prendre envers le roi qu'ils ont voulu vous donner aucun parti mitigé. Il faut ou lui faire couper la tête, comme il l'a mérité, ou, sans avoir égard à sa première élection, qui est de toute nullité, l'élire de nouveau avec d'autres pacta conventa, par lesquels vous le ferez renoncer à la nomination des grandes places. Le second parti n'est pas seulement le plus humain, mais le plus sage; j'y trouve même une certaine

1* Cet alinéa et les deux suivants manquent à l'édition de Genève. Ils ont été imprimés, pour la première fois, dans l'édition de 1801. L'éditeur dit avoir pris ce morceau dans un manuscrit de Mirabeau.

fierté généreuse qui peut-être mortifiera bien autant la cour de Pétersbourg que si vous faisiez une autre élection. Poniatowski fut très criminel sans doute; peut-être aujourd'hui n'est-il plus que malheureux : du moins, dans la situation présente, il me paroît se conduire assez comme il doit le faire en ne se mêlant de rien du tout. Naturellement il doit au fond de son coeur désirer ardemment l'expulsion de ses durs maîtres. Il y auroit peut-être un héroïsme patriotique à se joindre, pour les chasser, aux confédérés, mais on sait bien que Poniatowski n'est pas un héros d'ailleurs, outre qu'on ne le laisseroit pas faire, et qu'il est gardé à vue infailliblement, devant tout au Russe, je déclare franchement que, si j'étois à sa place, je ne voudrois pour rien au monde être capable de cet

héroïsme-là.

:

Je sais bien que ce n'est pas là le roi qu'il vous faut quand votre réforme sera faite; mais c'est peut-être celui qu'il vous faut pour la faire tranquillement. Qu'il vive seulement encore huit ou dix ans, votre machine alors ayant commencé d'aller, et plusieurs palatinats étant déja remplis par des gardiens des lois, vous n'aurez pas peur de lui donner un successeur qui lui ressemble : mais j'ai peur, moi, qu'en le destituant simplement, vous ne sachiez qu'en faire, et que vous ne vous exposiez à de nouveaux troubles.

De quelque embarras néanmoins que vous puissiez délivrer sa libre élection, il n'y faut songer qu'après s'être bien assuré de ses véritables dispositions, et dans la supposition qu'on lui trouvera encore quelque bon sens, quelque sentiment d'honneur, quelque amour pour son pays, quelque connoissance de ses vrais intérêts, et quelque désir de les suivre; car en tout temps, et surtout dans la triste situation où les malheurs de la Pologne vont la laisser, il n'y auroit rien pour elle de plus funeste que d'avoir un traître à la tête du gouver

nement.

Quant à la manière d'entamer l'œuvre dont il s'agit, je ne puis goûter toutes les subtilités qu'on vous propose pour surprendre et tromper en quelque sorte la nation sur les changements à faire à ses lois. Je serois d'avis seulement, en montrant votre plan dans toute son étendue, de n'en point commencer brusquement l'exécution par remplir la république de mécontents, de laisser en place la plupart de ceux qui y sont, de ne conférer les emplois selon la nouvelle réforme qu'à mesure qu'ils viendroient à vaquer. N'ébranlez jamais trop brusquement la machine. Je ne doute point qu'un bon plan une fois adopté ne change même l'esprit de ceux qui auront eu part au gouvernement sous un autre. Ne pouvant créer tout d'un coup coup de nouveaux citoyens, il faut commencer par tirer parti

de ceux qui existent, et offrir une route nouvelle à leur ambition, c'est le moyen de les disposer à la suivre.

Que si, malgré le courage et la constance des confédérés, et malgré la justice de leur cause, la fortune et toutes les puissances les abandonnent, et livrent la patrie à ses oppresseurs... Mais je n'ai pas l'honneur d'être Polonois, et, dans une situation pareille à celle où vous êtes, il n'est permis de donner son avis que par son exemple.

Je viens de remplir, selon la mesure de mes forces, et plût à Dieu que ce fût avec autant de succès que d'ardeur, la tâche que M. le comte Wielhorski m'a imposée. Peut-être tout ceci n'est-il qu'un tas de chimères; mais voilà mes idées. Ce n'est pas ma faute si elles ressemblent si peu à celles des autres hommes, et il n'a pas dépendu de moi d'organiser ma tête d'une autre façon. J'avoue même que, quelque singularité qu'on leur trouve, je n'y vois rien, quant à moi, que de bien adapté au cœur humain, de bon, de praticable, surtout en Pologne, m'étant appliqué dans mes vues à suivre l'esprit de cette république, et à n'y proposer que le moins de changements que j'ai pu pour en corriger les défauts. Il me semble qu'un gouvernement monté sur de pareils ressorts doit marcher à son vrai but aussi directement, aussi sûrement, aussi long-temps qu'il est possible, n'i

gnorant pas au surplus que tous les ouvrages des hommes sont imparfaits, passagers et périssables

comme eux.

J'ai omis à dessein beaucoup d'articles très importants sur lesquels je ne me sentois pas les lumières suffisantes pour en bien juger. Je laisse ce soin à des hommes plus éclairés et plus sages que moi; et je mets fin à ce long fatras en faisant à M. le comte Wielhorski mes excuses de l'en avoir occupé si long-temps. Quoique je pense autrement que les autres hommes, je ne me flatte pas d'être plus sage qu'eux, ni qu'il trouve dans mes rêveries rien qui puisse être réellement utile à sa patrie; mais mes vœux pour sa prospérité sont trop vrais, trop purs, trop désintéressés, pour que l'orgueil d'y contribuer puisse ajouter à mon zèle. Puisse-t-elle triompher de ses ennemis, devenir, demeurer paisible, heureuse et libre, donner un grand exemple à l'univers, et, profitant des travaux patriotiques de M. le comte Wielhorski trouver et former dans son sein beaucoup de citoyens qui lui ressemblent!

FIN DU GOUVERNEMENT DE POLOGNE.

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