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et le roi. J'aimerois mieux dire

que la nation po

lonoise est composée de trois ordres : les nobles, qui sont tout; les bourgeois, qui ne sont rien; et les paysans, qui sont moins que rien. Si l'on compte le sénat pour un ordre dans l'état, pourquoi ne compte-t-on pas aussi pour tel la chambre des nonces, qui n'est pas moins distincte, et qui n'a pas moins d'autorité? Bien plus, cette division, dans le sens même qu'on la donne, est évidemment incomplète; car il y falloit ajouter les ministres qui ne sont ni rois, ni sénateurs, ni nonces, et qui, dans la plus grande indépendance, n'en sont pas moins dépositaires de tout le pouvoir exécutif. Comment me fera-t-on jamais comprendre que la partie, qui n'existe que par le tout, forme pourtant, par rapport au tout, un ordre indépendant de lui? La pairie, en Angleterre, attendu qu'elle est héréditaire, forme, je l'avoue, un ordre existant par lui-même; mais en Pologne, ôtez l'ordre. équestre, il n'y a plus de sénat, puisque nul ne peut être sénateur s'il n'est premièrement noble polonois. De même il n'y a plus de roi, puisque c'est l'ordre équestre qui le nomme, et que le roi ne peut rien sans lui : mais ôtez le sénat et le roi, l'ordre équestre, et par lui l'état et le souverain demeurent en leur entier; et dès demain, s'il lui plaît, il aura un sénat et un roi comme auparavant. Mais, pour n'être pas un ordre dans l'état, il ne.

s'ensuit pas que

le sénat n'y soit rien; et quand il n'auroit pas en corps pas en corps le dépôt des lois, ses membres, indépendamment de l'autorité du corps, ne le seroient pas moins de la puissance législative, et ce seroit leur ôter le droit qu'ils tiennent de leur naissance que de les empêcher d'y voter en pleine diète toutes les fois qu'il s'agit de faire ou de révoquer des lois; mais ce n'est plus alors comme sénateurs qu'ils votent, c'est simplement comme citoyens. Sitôt que la puissance législative parle, tout rentre dans l'égalité; toute autre autorité se tait devant elle; sa voix est la voix de Dieu sur la terre. Le roi même, qui préside à la diete, n'a pas alors, je le soutiens, le droit d'y voter s'il n'est noble polonois.

On me dira sans doute ici que je prouve trop, et que si les sénateurs n'ont pas voix comme tels à la diète, ils ne doivent pas non plus l'avoir comme citoyens, puisque les membres de l'ordre équestre n'y votent pas par eux-mêmes, mais seulement par leurs représentants, au nombre desquels les sénateurs ne sont pas. Et pourquoi voteroient-ils comme particuliers dans la diète, puisque aucun autre noble, s'il n'est nonce, n'y peut voter? Cette objection me paroît solide dans l'état présent des choses; mais quand les changements projetés seront faits, elle ne le sera plus, parce qu'alors les sénateurs eux-mêmes seront des représentants

perpétuels de la nation, mais qui ne pourront agir en matière de législation qu'avec le concours de leurs collègues.

Qu'on ne dise donc pas que le concours du roi, du sénat et de l'ordre équestre est nécessaire pour former une loi. Ce droit n'appartient qu'au seul ordre équestre, dont les sénateurs sont membres comme les nonces, mais où le sénat en corps n'entre pour rien. Telle est ou doit être en Pologne la loi de l'état : mais la loi de la nature, cette loi sainte, imprescriptible, qui parle au cœur de l'homme et à sa raison, ne permet pas qu'on resserre ainsi l'autorité législative, et que les lois obligent quiconque n'y a pas voté personnellement comme les nonces, ou du moins par ses représentants comme corps de la noblesse. On ne viole point impunément cette loi sacrée; et l'état de foiblesse où une si grande nation se trouve réduite est l'ouvrage de cette barbarie féodale qui fait retrancher du corps de l'état sa partie la plus nombreuse, et quelquefois la plus saine.

le

A Dieu ne plaise que je croie avoir besoin de prouver ici ce qu'un peu de bon sens et d'entrailles suffisent pour pour faire sentir à tout le monde! Et d'où la Pologne prétend-elle tirer la puissance et les forces qu'elle étouffe à plaisir dans son sein? Nobles polonois, soyez plus, soyez hommes : alors seulement vous serez heureux et libres; mais ne vous

flattez jamais de l'être tant que vous tiendrez vos frères dans les fers.

Je sens la difficulté du projet d'affranchir vos peuples. Ce que je crains n'est pas seulement l'intérêt mal entendu, l'amour-propre et les préjugés des maîtres. Cet obstacle vaincu, je craindrois les vices et la lâcheté des serfs. La liberté est un aliment de bon suc, mais de forte digestion; il faut des estomacs bien sains pour le supporter. Je ris de ces peuples avilis qui, se laissant ameuter par des ligueurs, osent parler de liberté sans même en avoir l'idée, et le cœur plein de tous les vices des esclaves, s'imaginent que, pour être libres, il suffit d'être des mutins. Fière et sainte liberté! si ces pauvres gens pouvoient te connoître, s'ils savoient à quel prix on t'acquiert et te conserve; s'ils sentoient combien tes lois sont plus austères que n'est dur le joug des tyrans, leurs foibles ames, esclaves de passions qu'il faudroit étouffer, te craindroient plus cent fois que la servitude; ils te fuiroient avec effroi comme un fardeau prêt à les écraser.

Affranchir les peuples de Pologne est une grande et belle opération, mais hardie, périlleuse, et qu'il ne faut pas tenter inconsidérément. Parmi les précautions à prendre, il en est une indispensable et qui demande du temps; c'est, avant toute chose, de rendre dignes de la liberté et capables de la supporter les serfs qu'on veut affranchir

J'exposerai ci-après un des moyens qu'on peut employer pour cela. Il seroit téméraire à moi d'en garantir le succès, quoique je n'en doute pas. S'il est quelque meilleur moyen, qu'on le prenne. Mais, quel qu'il soit, songez que vos serfs sont des hommes comme vous, qu'ils ont en eux l'étoffe pour devenir tout ce que vous êtes : travaillez d'abord à la mettre en œuvre, et n'affranchissez leurs corps qu'après avoir affranchi leurs ames. Sans ce préliminaire, comptez que votre opération réussira mal.

CHAPITRE VII.

Moyens de maintenir la constitution.

La législation de Pologne a été faite successivement de pièces et de morceaux, comme toutes celles de l'Europe. A mesure qu'on voyoit un abus, on faisoit une loi pour y remédier. De cette loi naissoient d'autres abus qu'il falloit corriger encore. Cette manière d'opérer n'a point de fin, et mène au plus terrible de tous les abus, qui est d'énerver toutes les lois à force de les multiplier.

L'affoiblissement de la législation s'est fait en Pologne d'une manière bien particulière, et peutêtre unique c'est qu'elle a perdu sa force sans avoir été subjuguée par la puissance exécutive.

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