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"ner de même; où l'on s'assemble pour ne rien dire; où • toutes les affaires publiques se traitent en particulier; où l'on délibère en commun si la table sera ronde ou

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carrée, si la salle aura plus ou moins de portes, si un plénipotentiaire aura le visage ou le dos tourné vers la fenêtre; si un tel fera deux pouces de chemin de plus ou de moins dans une visite; et sur mille questions de * pareille importance, inutilement agitées depuis trois siècles, et très dignes assurément d'occuper les politiques du nôtre. »

*

Chassé de l'Académie françoise pour un écrit intitulé Polysynodie, ou pluralité des conseils, l'abbé de SaintPierre porta avec dignité le poids de cette disgrace honorable; et Rousseau, qui tenoit compte aux hommes de ce qu'ils avoient voulu faire de bien, sans examiner quelle en avoit pu être la récompense, le vengea, d'une manière digne de lui, de la honte dont l'Académie françoise s'étoit couverte, en se rendant le vil instrument d'un aveugle pouvoir. On peut dire que l'abbé de SaintPierre fut chassé de l'Académie plus honorablement qu'il n'y étoit entré. De mauvais ouvrages lui en avoient ouvert les portes, de bonnes intentions les lui fermèrent; mais il ne sortit de ce corps que pour prendre place dans la considération et l'estime des gens de bien, qui ont conservé de son courage un tendre souvenir, et qui liront toujours avec intérêt l'extrait clair, simple et précis que Rousseau n'a pas dédaigné de faire d'un livre qui fournit à l'abbé de Saint-Pierre l'occasion d'éprouver jusqu'où peut aller la condescendance de certains hommes à servir les caprices du pouvoir, et à JeanJacques l'occasion de faire lire un ouvrage qui, sans lui, n'auroit été connu que par les disgraces qu'il avoit valu à son auteur.

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AVERTISSEMENT.

Ce petit traité est extrait d'un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, et abandonné depuis long-temps. Des divers morceaux qu'on pouvoit tirer de ce qui étoit fait, celui-ci est le plus considérable, et m'a paru le moins indigne d'être offert au public. Le reste n'est déja plus *.

I * « Montesquieu n'a parlé que des lois positives; il a laissé son bel édifice imparfait : mais il falloit aller à la source même des lois, remonter à cette première convention expresse ou tacite qui lie toutes les sociétés. Le Contrat social a paru; c'est le portique du temple et le premier chapitre de l'Esprit des lois. C'est de l'auteur qu'on peut dire véritablement : Le genre humain avoit perdu ses titres; Jean-Jacques les a retrouvés. » (Note de Brizard, édition de Poinçot, tome vii.)

Que l'on conteste ou non sur la validité de ces titres ou sur les conséquences qu'on en peut tirer dans l'application, il est certain que l'objet de notre auteur dans cet ouvrage est parfaitement déterminé par cette note d'un précédent éditeur; c'est ce qui nous a engagé à la reproduire.

Au surplus, Rousseau lui-même a présenté la substance de son Contrat social dans le livre v de l'Émile, lorsqu'il est question de faire voyager son élève, et il en a donné encore une analyse plus courte dans les Lettres de la Montagne (Lettre vi). En lisant ces deux morceaux après le Contrat social, on en saisira d'autant mieux l'ensemble et l'esprit général. (Note de M. Pétitain.)

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NOTE

DU COMTE D'ANTRAIGUES,

SE RAPPORTANT A UN PASSAGE DU CONTRAT SOCIAL,
CHAPITRE XVI, A LA FIN.

LIVRE III,

Jean-Jacques Rousseau avoit eu la volonté d'établir, dans un ouvrage qu'il destinoit à éclaircir quelques chapitres du Contrat social, par quels moyens de petits états libres pouvoient exister à côté des grandes puissances, en formant des confédérations. Il n'a pas terminé cet ouvrage, mais il en avoit tracé le plan, posé les bases, et placé à côté des seize chapitres de cet écrit, quelques unes de ses idées qu'il comptoit développer dans le corps de l'ouvrage. Ce manuscrit de trente-deux pages, entièrement écrit de sa main, me fut remis par lui-même, et il m'autorisa à en faire, dans le courant de ma vie, l'usage que je croirois utile.

Au mois de juillet 1789, relisant cet écrit, et frappé des idées sublimes du génie qui l'avoit composé, je crus (j'étois encore dans le délire de l'espérance) qu'il pou voit être infiniment utile à mon pays et aux états-généraux, et je me déterminai à le publier.

J'eus le bonheur, avant de le livrer à l'impression, de consulter le meilleur de mes amis, que son expérience éclairoit sur les dangers qui nous entouroient, et dont la cruelle prévoyance devinoit quel usage funeste on feroit des écrits du grand homme dont je voulois publier les nouvelles idées. Il me prédit que les idées salutaires qu'il offroit seroient méprisées; mais, que ce que ce nouvel écrit pouvoit contenir d'impraticable, de dangereux pour une monarchie, seroit précisément ce que l'on voudroit réaliser, et que de coupables ambitions s'étaieroient

de cette grande autorité pour saper, et peut-être détruire l'autorité royale.

Combien je murmurai de ces réflexions! combien elles m'affligèrent! Je respectai l'ascendant de l'amitié unie à l'expérience, et je me soumis. Ah! que j'ai bien reçu le prix de cette déférence! Grand Dieu! que n'auroient-ils pas fait de cet écrit! comme ils l'auroient souillé, ceux qui, dédaignant d'étudier les écrits de ce grand homme, ont dénaturé et avili ses principes; ceux qui n'ont pas vu que le Contrat social, ouvrage isolé et abstrait, n'étoit applicable à aucun peuple de l'univers ; ceux qui n'ont pas vu que ce même Jean-Jacques Rousseau, forcé d'appliquer ces préceptes à un peuple existant en corps de nation depuis des siècles, plioit aussitôt ses principes aux anciennes institutions de ce peuple, ménageoit tous les préjugés trop enracinés pour être détruits sans déchirements, qui disoit après avoir tracé le tableau le plus déplorable de la constitution dégénérée de la Pologne : Corrigez, s'il se peut, les abus de votre constitution, « mais ne méprisez pas celle qui vous a fait ce que vous « êtes! >>

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Quel parti d'aussi mauvais disciples d'un si grand homme auroient tiré de l'écrit que son amitié m'avoit confié, s'il pouvoit être utile!

Cet écrit que la sagesse d'autrui m'a réservé de publier ne le sera jamais; j'ai trop bien vu et de trop près le danger qui en résulteroit pour ma patrie. Après l'avoir communiqué à l'un des plus véritables amis de JeanJacques Rousseau, qui habite près du lieu où je suis, il n'existera plus que dans nos souvenirs.

(Cette note termine une brochure que le comte d'Antraigues, député du Vivarais à l'assemblée constituante, et qui émigra dès 1790, fit imprimer cette année même à Lausanne sous ce titre : Quelle est la situation de l'Assemblée nationale? in-8° de 60 pages.)

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