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torien moderne qui nous trace ainsi le tableau de l'état intérieur de la Pologne à l'époque même où Rousseau rêvoit pour elle ce que la force des choses rendoit impossible à réaliser. « La république, dit Rulhière, pres« que toujours destituée d'une autorité législative et sou« veraine, se trouva dans une impuissance absolue de << suivre les progrès que l'administration commençoit à «faire dans la plupart des autres pays. Tout ce qui exigeoit des dépenses continues devint impraticable....... Les grands établissements qui annoncent la perfection des arts, et les soins toujours actifs du gouvernement, << ne purent seulement pas être proposés... Les Polonois, dont les mœurs sont faciles, adoptèrent chacun sépa<< rément une partie de ces progrès rapides que le luxe et la société faisoient chez les autres peuples; mais ils « n'admirent aucun de ceux que faisoit l'administration publique. De tant de changements introduits en Eu<< rope, la politesse et le luxe furent les seuls qui s'introduisirent parmi eux. » Hist. de l'anarchie de Pologne, tom. 1, p. 49 et 127.

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« La Russie, qui dès 1733 avoit imposé par la force Auguste III pour roi à la Pologne, réussit par le même moyen à faire décider en 1764 l'élection de Stanislas Poniatowski son successeur. Celui-ci, dont le titre le plus signalé pour obtenir cette couronne étoit d'avoir été l'amant de Catherine II, étoit déja sous ce rapport doublement odieux aux Polonois. Le caractère et les actes de ce souverain, et l'ascendant toujours plus marqué de sa protectrice, n'étoient pas propres à affoiblir cette impression, et avoient décidé la formation de plusieurs confédérations particulières, toujours vainement dissipées par les armées russes, et qui se réunirent en 1768 en une confédération générale formée à Bar en

Podolie. Ces confédérés réussirent à faire soulever les Turcs contre les Russes; mais la guerre entre les deux empires fut désastreuse pour les Turcs, et n'accabla pas moins les confédérés. Ceux-ci néanmoins profitèrent pour se soutenir de l'épuisement où cette guerre avoit jeté la Russie, et des embarras que lui suscitoit la cour de Vienne : c'est dans le cours des hostilités commencées sur la fin de 1768, et de la suspension d'armes dont elles furent suivies en 1771, que, se flattant d'un avenir plus heureux, ils songèrent à asseoir sur de plus sûrs fondements le bonheur de leur patrie.

« Comme s'il n'eût pas existé chez cette nation malheureuse assez d'éléments d'anarchie et de dissolution, le fanatisme religieux en avoit introduit encore un autre en faisant naître parmi les Polonois une classe de dissidents. On désignoit ainsi les nobles attachés soit à l'Église grecque, soit à la réforme, et ils étoient en assez grand nombre. Mais la cour de Rome avoit conservé en Pologne tout son empire, et la superstition s'y montroit dans tous ses excès. Profitant de cette disposition, les nobles catholiques en grande majorité s'obstinoient à n'accorder aux dissidents aucuns droits politiques, et ils étoient en effet parvenus à les exclure de tous les emplois. Les dissidents avoient formé, pour le soutien de leurs droits, des confédérations particulières en opposition, même en guerre ouverte avec la confédération générale, et la Pologne fut en proie à leurs dévastations réciproques. Ces confédérés de Bar, dont nous verrons Jean Jacques exalter les vertus patriotiques, avoient des étendards qui représentoient la vierge Marie et l'enfant Jésus; ils portoient, comme les croisés du moyen âge, des croix brodées sur leurs habits, prêts à vaincre ou mourir pour la défense de la religion et de la liberté. C'est du prétexte

de défendre les intérêts des dissidents et de les faire réintégrer dans leurs droits que Catherine coloroit ses vues d'envahissement, se donnant encore par là, aux yeux des gens de lettres françois dont elle recherchoit l'approbation, le mérite de combattre le fanatisme en Pologne, et d'y prêcher la tolérance les armes à la main. Le résultat de ce beau zèle ne fut autre que l'oubli total des dissidents, et de leurs demandes et de leurs droits, dont il ne fut pas même question dans les actes définitifs qui firent cesser pour quelque temps les troubles de la Pologne. >

SUR

LE GOUVERNEMENT DE POLOGNE.

CHAPITRE PREMIER.

Etat de la question.

Le tableau du gouvernement de Pologne, fait par M. le comte de Wielhorski, et les réflexions qu'il y a jointes, sont des pièces instructives pour quiconque voudra former un plan régulier pour la refonte de ce gouvernement. Je ne connois personne plus en état de tracer ce plan que lui-même, qui joint aux connoissances générales que ce travail exige, toutes celles du local, et des détails particuliers impossibles à donner par écrit, et néanmoins nécessaires à savoir pour approprier une institution au peuple auquel on la destine. Si l'on ne connoît à fond la nation pour laquelle on travaille, l'ouvrage qu'on fera pour elle, quelque excellent qu'il puisse être en lui-même, péchera toujours par l'application, et bien plus encore lorsqu'il s'agira d'une nation déja tout instituée, dont les goûts, les mœurs, les préjugés et les vices sont trop enracinés pour pouvoir être aisé

ment étouffés par des semences nouvelles. Une bonne institution pour la Pologne ne peut être l'ouvrage que des Polonois, ou de quelqu'un qui ait bien étudié sur les lieux la nation polonoise et celles qui l'avoisinent. Un étranger ne peut guère donner que des vues générales, pour éclairer, non pour guider l'instituteur. Dans toute la vigueur de ma tête je n'aurois pu saisir l'ensemble de ces grands rapports. Aujourd'hui qu'il me reste à peine la faculté de lier des idées, je dois me borner, pour obéir à M. le comte de Wielhorski, et faire acte de mon zèle pour sa patrie, à lui rendre compte des impressions que m'a faites la lecture de son travail, et des réflexions qu'il m'a suggé

rées.

En lisant l'histoire du gouvernement de Pologne, on a peine à comprendre comment un état si bizarrement constitué a pu subsister si longtemps. Un grand corps formé d'un grand nombre de membres morts, et d'un petit nombre de membres désunis, dont tous les mouvements presque indépendants les uns des autres, loin d'avoir une fin commune, s'entre-détruisent mutuellement, qui s'agite beaucoup pour ne rien faire, qui ne peut faire aucune résistance à quiconque vent l'entamer, qui tombe en dissolution cinq ou six fois chaque siècle, qui tombe en paralysie à chaque effort qu'il veut faire, à chaque besoin auquel il

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