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L'objet de ce livre est l'analyse de la raison; j'entends l'analyse expérimentale, celle qui distingue et caractérise par les faits.

Dans l'ordre des facultés instinctives, je distingue les instincts mécaniques d'avec les instincts moraux;

Dans l'ordre des facultés intellectuelles, je distingue l'intelligence inférieure des bêtes d'avec l'intelligence supérieure de l'homme;

Dans l'ordre des facultés rationnelles, je distingue les facultés qui constituent la conscience humaine d'avec celles qui constituent l'entendement humain.

II

DES MOUVEMENTS INSTINCTIFS.

Il y a trois classes de mouvements : les mouvements volontaires, les mouvements involontaires et les mouvements instinctifs.

Les mouvements volontaires sont ceux (le mot le dit) qui obéissent à la volonté, soit les mouvements compliqués de la locomotion, soit les mouvements isolés, partiels, de la tête, du tronc, d'un membre, de telle ou telle partie d'un membre, de la main, du pied, d'un doigt, etc.

Et ceci déjà est une chose admirable. Je veux, et aussitôt le muscle obéit. Le muscle! une chose matérielle obéit : à quoi? A une chose immatérielle : la volonté.

Ce mouvement subordonné, soumis, toujours aussitôt obéi que voulu, cette déférence si prompte, si vive, si netțe, du matériel à l'immatériel, est le plus grand mystère de l'économie animale, et peut-être de la nature entière.

C'est du moins un exemple évident, et le premier d'une évidence pareille, d'une chose immatérielle, la volonté, agissant sur une chose matérielle, le muscle.

L'imagination, chose immatérielle aussi, agit de même sur le muscle, chose matérielle; mais, par une opposition singulière, les muscles sur lesquels l'imagination agit sont précisément ceux qui échappent à la volonté : les muscles involontaires 1.

Les mouvements involontaires sont ceux de l'estomac, des intestins, du cœur, etc. A une nouvelle qui cause de la joie ou de la

1. Et, pour dernier trait de distinction, chacune de ces deux facultés agit par un système nerveux qui lui est propre la volonté, par le système nerveux cérébrospinal; et l'imagination, par le système nerveux grand sympathique.

tristesse, le cœur s'émeut; qu'on le veuille ou non; les muscles de l'estomac, des intestins, etc., précipitent leurs mouvements ou les ralentissent.

Outre ces deux classes de mouvements, les volontaires et les involontaires, il y a la classe des mouvements instinctifs.

J'appelle mouvement instinctif tout mouvement qui précède la réflexion. Un coup menace notre tête, et la menace est à peine vue que nous avons détourné la tête, que nous avons porté la main pour repousser le coup, qu'en un mot le coup est paré avant que la réflexion soit intervenue. Je dis la réflexion, et je pourrais dire la volonté; le mouvement se fait sans attendre la volonté.

Il y a bien plus, il se fait quelquefois malgré la volonté : « Qui de nous peut s'empê « cher, dit Bossuet, de fermer les yeux ou « de détourner la tête quand on feint seule«ment de nous y vouloir frapper? Alors, si « notre raison avait quelque force, elle nous << rassurerait contre un ami qui se joue; mais,

« bon gré, mal gré, il faut fermer l'œil ou dé« tourner la tête, et la seule impression de

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l'objet opère invinciblement en nous cette << action 1. >>

Il y a donc des mouvements qui se font sans la volonté, malgré la volonté, et cependant qui se font comme la volonté les aurait fait faire, si elle avait eu le temps d'agir.

Or, tous ces mouvements, et c'est ce qu'il faut bien remarquer, sont des actes conservatoires. C'est pourquoi je les rattache à l'instinct, dont ils ont, en effet, les deux caractères essentiels : le premier, de concourir à notre conservation, et le second, d'être faits presque à notre insu.

Cependant les mouvements instinctifs ne sont que le plus faible degré, que l'expression la moins prononcée, de ce que j'appelle instincts: les vrais et complets instincts feront l'objet du chapitre qui suit.

1. De la connaissance de Dieu et de soi-même, p. 320, (édition de Versailles) 1818.

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