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Je n'ai point l'heureux don de ces esprits faciles,
Pour qui les doctes Sœurs, caressantes, dociles,
Ouvrent tous leurs trésors;

Et qui, dans les douceurs d'un tranquille délire,
N'éprouvèrent jamais, en maniant la lyre,
Ni fureurs, ni transports.

Chacun a, sans doute, sa manière d'être inspiré. Boileau appelle l'inspiration d'un mot heureux, le génie :

Je sens que mon esprit travaille de génie.

La Fontaine l'appelle une flatteuse erreur :

Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;
Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi ;

On m'élit roi, mon peuple m'aime,
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant.
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même,
Je suis Gros-Jean comme devant.

On se fait du génie, comme de l'inspiration, les idées les plus opposées. Je demande à Voltaire ce qu'il entend par génie, et il me répond fort tranquillement : « Ce terme de

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génie semble devoir désigner, non pas in

« distinctement tous les grands talents, mais

«< ceux dans lesquels il entre de l'invention. » Je le demande à Diderot, et il me répond que « le génie est la force de l'enthousiasme... « que, par son mouvement, il excite des tempêtes... qu'il est emporté par un torrent « d'idées... » Je le demande à Buffon, et il me répond que c'est « la patience.

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Il me semble, d'ailleurs, qu'on prodigue trop le mot de génie. L'homme le plus de génie n'a pas toujours du génie. L'auteur du livre que j'examine cite un mot de Napoléon, qui me paraît plein de justesse : « Le sort « d'une bataille, disait-il, est le résultat d'un «< instant, d'une pensée; on s'approche avec « des combinaisons diverses; on se bat un « certain temps; le moment décisif se pré«sente; une étincelle morale prononce, et la « plus petite réserve accomplit. »

<< L'invention dépend de la patience, » disait Buffon; « il faut voir, regarder longtemps « son sujet; alors il se déroule et se développe « peu à peu; vous sentez un petit coup d'élec« tricité qui vous frappe la tête, et en même << temps vous saisit le cœur : voilà le moment

« du génie; c'est alors qu'on éprouve le plaisir « de travailler, plaisir si grand que je passais douze heures, quatorze heures à l'étude, «< c'était tout mon plaisir; en vérité je m'y » livrais bien plus que je ne m'occupais de la gloire; la gloire vient après si elle peut; et « elle vient presque toujours 1. »

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Je reviens à l'auteur. Après s'être fait de l'inspiration un moyen de relier le génie à la folie, il cherche à s'en faire un autre de l'enthousiasme. « Pour nous, dit-il, l'enthou«siasme est un fait rationnel, mais un fait qui ne se développe qu'au milieu de circon

» stances particulières, au sein d'une sorte « d'éréthisme mental qui place les facultés « en dehors de leur sphère naturelle, jette « le trouble dans la conscience ou sens intime << de l'homme, semble arracher ce dernier à lui-même en le mettant en présence de phénomènes intellectuels auxquels sa rai« son n'a point pris part2. » Ici la contradiction se fait sentir jusque dans les termes :

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1. Voyage à Montbard, p. 49, an IX.
2. La psychologie morbide etc., p. 388.

comment le fait peut-il être rationnel, si la raison n'y a point pris part?

Je touche aux dernières pages du livre, et je trouve enfin une phrase qui me paraît pouvoir en racheter beaucoup d'autres. « Assu« rément, dit l'auteur, et je crois devoir en << avertir de peur qu'on n'exagère notre pensée, ce serait commettre une grossière erreur que de chercher dans les seules con«ditions organiques dont nous venons de

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parler la source du génie ou seulement « d'une certaine supériorité des facultés in<< tellectuelles. Il reste toujours une incona nue (quid divinum) à dégager: autrement «<le génie serait aussi commun qu'il est « rare, par la facilité que chacun aurait de << s'en procurer à l'aide de quelques excitants « cérébraux1. »

Eh! oui, sans doute, le génie est quelque chose de divin : ce n'est ni un excès de névrosité, ni une suractivité, ni une surexcitation, ni une névrose.

1. La psychologie morbide etc., p. 398.

Je viens de noter un bon mouvement; mais, hélas! il ne dure guère. L'auteur retombe aus. sitôt dans un chapitre plus fàcheux encore que ceux qui précèdent.

Ce chapitre, le dernier du livre, porte pour titre : Faits biographiques.

L'auteur le commence ainsi : « Après tout « ce que nous avons dit dans le but d'établir « l'origine névropathique des facultés intel«<lectuelles, nous devons espérer que nos con«victions seront partagées par ceux qui ont pris la peine de nous lire avec quelque at« tention 1. >>

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On vient de voir ce qu'il en est par rapport à moi. J'ai lu avec attention, avec trouble même, avec crainte continuelle de me tromper, avec défiance de moi plus que de l'auteur, et je ne suis pas convaincu.

L'auteur ajoute: « Cependant, les seules « considérations à priori ont eu jusqu'ici la parole2: » remarque très-vraie sur une mé.

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1. La psychologie morbide etc., p. 505.

2. Ibid., p. 505.

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