Page images
PDF
EPUB

tu as rappelés à la vie, la chanteront autour de toi, au dernier jour du monde, en se rendant au jugement 1. »

[ocr errors]

La cuirasse de Gildas n'est pas moins célèbre. L'auteur était disciple de saint Finnan : « La ceinture de Finnan m'entoure, dit-il, elle m'entoure trois fois; qu'ils ne me tentent point, les biens qui circonviennent dans le monde! Elle conservera pleinement la santé à mon corps; c'est la cuirasse de Dieu; elle me protégera depuis la tête jusqu'aux pieds. La ceinture de Finnan est ma ceinture contre la maladie et le chagrin, contre les séductions des femmes; elle me défendra comme un cordon d'épines3.... > Quelquefois les souvenirs des aïeux venaient ajouter leurs émotions à ces élans d'une piété fervente.

Visitant, vers la fin du VIIe siècle, les abbayes d'Irlande, un pèlerin breton, raconte M. de la Villemarqué, entendit chanter à Bangor un cantique intitulé Souvenirs de nos pères.

Frères de l'excellente famille de Bangor, écoutez célébrer les saintes œuvres, les œuvres pleines de puissance de nos saints pères, de nos fondateurs, l'éminence de nos abbés, leur nombre, leur temps, leurs noms qui brilleront sans fin, leurs grands mérites qui les ont fait appeler par le Seigneur à des trônes dans le royaume des cieux. Et après chaque nom illustre, le chœur reprenait : Appelés par le Seigneur à des trónes dans le royaume des cieux.

[ocr errors]

Ces moines de Bangor étaient au nombre de deux mille quatre cents qui chantaient jour et nuit, divisés en sept chœurs.

Après la poésie, nous nous le rappelons, venait la science. Elle était cultivée avec un amour et, on peut le dire, un respect dont l'histoire de saint Kiéran nous offre une singulière preuve. Tout le monde sait que c'est aux moines que nous devons la conservation des monuments de l'antiquité classique, quelque faible intérêt que dussent avoir pour eux, sinon quant à la forme, du moins quant au fond, ces œuvres toutes païennes. Eh bien! nous retrouvons la même disposition en Irlande, non plus pour Virgile, pour Horace, pour Tacite; mais pour les chants des bardes. « On déplorait, depuis longtemps, je cite M. de la Villemarqué, la perte de Skéla, narrations épiques célèbres sur......... l'enlèvement d'un troupeau royal. Plusieurs bardes faisaient des recherches afin de les retrou1 Légende celtique, p. xxxII.

2 Légende celtique, p. xxvII.

ver, quand le héros de l'histoire se révéla lui-même au principal investigateur, au poète saint Kiéran; mais, pour la copier, le saint manquait de parchemin, et il craignait de manquer de mémoire pour la retenir. Que faire? Il avait une vache, une chère petite vache grise qui le nourrissait de son lait; elle seule pouvait sauver la belle histoire du taureau enlevé ; il n'hésita pas. Sacrifiant une vieille amitié et sa nourriture de chaque jour à l'intérêt de la science, il immola la pauvre bête, et de sa peau, où il écrivit le précieux récit, il fit un livre qu'on nomma: La peau de la vache grise. D

Voilà certes ce qu'on peut appeler le fanatisme de l'étude, et il n'est pas nécessaire d'être très-érudit pour savoir que, de tous les fanatismes, ce fut encore celui auquel les moines se laissèrent toujours le plus facilement entraîner.

Après sa très-curieuse introduction sur la Poésie des Cloîtres, M. de la Villemarqué reproduit, avec beaucoup de charme, les trois légendes de saint Patrice, l'apôtre de l'Irlande, de saint Kadok, l'Orphée de la Cambrie, et de saint Hervé, le patron des chanteurs populaires de notre Bretagne. Nous ne le suivrons point dans le monde merveilleux que lui ouvrent ces légendes. Chacun sera d'ailleurs heureux de l'y suivre lui-même; ce n'est point une histoire sévère; mais c'est la poésie jetant ses mille fleurs sur l'histoire, l'embellissant, la transformant et offrant d'ailleurs le tableau le plus gracieux et le plus vrai des mœurs, des idées et des traditions populaires. Il porte du feu dans son sein, » disaient les camarades de saint Kadok, en voyant son ardeur à l'étude, et la légende, perdant peu à peu le sens de ces paroles, le représente revenant de l'école avec des charbons enflammés dans un pan de sa robe *.

Je remarque un mot charmant sur la vie monacale. « Chacun n'avait rien en propre que sa gaieté 3. » J'en remarque un autre qui ne peut être choquant pour les Bretons: « Ils ont la tête dure, mais le cœur tendre. C'était un pape du Ve siècle qui parlait ainsi, et, quatorze siècles après, Pie IX a pu dire la même chose: Tête dure

Légende celtique, p. xx.

2 La Légende celtique, p. 137. 3 La Légende celtique, p. 162. 4 La Légende celtique, p. 147,

pour le mal, cœur tendre pour toutes les nobles infortunes; ce qu'ils étaient au temps de saint Kadok, ils l'étaient encore à Castelfidardo.

Saint Kadok, réduit à fuir lorsque les Saxons firent de la Cambrie, suivant l'expression de Gildas, un horrible pressoir de chair humaine, fit voile, comme tant d'autres, vers l'Armorique, et fonda un monastère dans l'île qui, depuis lors, garde son nom. Mais le désir de revoir les populations souffrantes de la Grande-Bretagne prévalut bientôt dans son cœur. « Si tu veux la gloire, disait-il à ses disciples, marche au tombeau. » Et méprisant tous les dangers, il alla se placer à l'avant-garde de ceux qui résistaient encore à la tyrannie et à l'apostasie. Il fut tué à Bevon, comme notre grand saint Gohard, à Nantes, au moment où il offrait le saint Sacrifice; Gohard en était aux paroles de la préface, Sursùm corda, « les cœurs en haut; » Kadok, à celles que prononce le prêtre avant de monter à l'autel Judica me, Deus, et discerne causam meam de gente non sancta. < Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle de la nation qui n'est pas sainte, lorsque l'épée des barbares vint tout trancher, tout séparer.

[ocr errors]

Kadok est resté depuis lors le patron des guerriers de la Cambrie et de ceux aussi de la Bretagne. C'était lui qu'invoquaient Beaumanoir et ses braves allant combattre à Mi-Voie : « Seigneur saint Kadok, notre patron, disaient-ils, donnez-nous force et courage.... Au paradis comme sur terre saint Kadok n'a pas son pareil 1. »

<< La reconnaissance, dit M. de la Villemarqué, demeure au cœur de la race celtique, comme le coin d'acier au cœur du chêne. Le temps peut abattre le chêne, mais n'en peut arracher le fer. Il en sera ce que Dieu voudra de cette noble race qui a donné au monde et au siècle tant d'âmes héroïques; mais aussi longtemps qu'elle vivra vivront dans sa mémoire les souvenirs de ceux qui ont usé leur vie à la servir et qui la protègent toujours.

> Le retour de l'automne et la cueillette du raisin sur quelques plages du Morbihan, la cueillette des pommes en Cornouaille, ramènent, tous les ans, dans ces deux pays, la fête du saint cambrien qui, voilà plus de treize cents ans, se détacha de la vie comme le fruit mûr se détache de l'arbre en automne. Toutes les chapelles

La Légende celtique, p. 223,

s'ouvrent à la joie; les pèlerins y accourent en chantant et les offrandes y abondent; du blé, du lin, de la cire, du miel, tous les présents que fait l'été, couronnés par les dons du cœur. Mais c'est principalement vers la petite île du saint qu'affluent les pèlerins bretons.... et le plat-site, planté de chênes qui l'ombragent, se convertit en une autre église. Que dis-je? c'est l'île entière qui devient le temple du saint, quand, mitre en tête et crosse en main, porté sur les épaules de quatre matelots morbihannais, précédé par son vieux drapeau et sa croix d'argent rayonnante, suivi par un petit navire, souvenir de celui qui le conduisit en Armorique, il fait le tour de ses domaines, au son des cloches, au chant des cantiques et au tressaillement des vagues, bénissant les champs et les jardins qu'il cultiva lui-même et qu'il a tant de fois bénis. Agenouillés sur son passage, les femmes, les enfants, les vieillards implorent sa bénédiction, tandis que, dans l'intérieur de la chapelle, presque déserte un moment, quelque pauvre soldat breton de notre armée française, revenu perclus de nos dernières guerres, se fait coucher sur le lit de pierre où dormait le soldat du Christ, pose la tête sur l'oreiller de granit où il posait sa tête, le cœur à l'endroit où battait le cœur de l'ami des guerriers de Bretagne, et demande au saint évêque martyr la guérison, s'il plaît à Dieu, ou la patience dans la douleur pour mériter le paradis '. D

Je m'arrête ici. Il y a tout intérêt, on le voit, à lire l'ouvrage de M. de la Villemarqué plutôt que mon article. J'aurais bien eu envie cependant de dire un mot de saint Hervé qui nous touche d'assez près, nous autres, habitants de Nantes. Tout le monde sait, en effet, que les reliques du saint faisaient partie, depuis le XIe siècle, du trésor de notre église; c'était même sur la châsse qui les contenait que se prêtaient les serments ordonnés par les tribunaux. L'abbé Travers traite la légende de saint Hervé, telle qu'elle a été donnée par Albert le Grand, de tissu de fables; mais ce qu'il y a de très-bon, c'est qu'il entre, de son chef, dans les détails les plus fabuleux du monde. Ainsi, d'après lui, ç'aurait été l'évêque de Nantes, Hedenus, qui aurait mis Hervé dans le clergé, au Xe siècle, tandis qu'il est certain que ce fut un évêque de Léon du VIe. La présence d'Hyvarnion, père d'Hervé, à la cour de Childebert, détermine en effet,

{La Légende celtique, p. 225.

nettement, l'époque de sa vie. Ce n'est pas tout suivant Travers, Hervé, au lieu d'habiter le nord de la Bretagne, ainsi que tous les monuments l'attestent, aurait mené la vie cénobitique au diocèse de Nantes. Le propre du diocèse de l'an 1642 fixait simplement son ermitage près du fleuve Lixene, juxta Lixenam fluvium. Travers traduit imperturbablement Lixenam par Leyne, qui n'est qu'un ruisseau, dit-il, lequel coule entre l'abbaye de Villeneuve et la Boulogne. En d'autres termes, Lixena est la Leyne et la Leyne est la Logne1. O merveilles de la critique si fièrement pointilleuse du dernier siècle! Combien j'aime mieux, pour mon compte, la fleur de poésie dont M. de la Villemarqué nous fait respirer les parfums!

Un écrivain de qui on n'attendait guère cet aveu, M. Littré, a écrit qu'aux premiers siècles celui qui est avec la civilisation doit élre avec l'Eglise et avec les moines, milice de l'Eglise 2. Aussi ne peut-on s'étonner que le premier cri de la barbarie ait été alors et je dirai, toujours, celui du druide aveugle, selon la légende : << Les hommes du Christ seront traqués; ils seront hués comme des bêtes fauves; ils mourront tous par bandes et par bataillons sur la montagne; la roue du moulin moudra menu; le sang des moines servira d'eau 3. »

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

JEAN REBOUL.

La Revue s'honore d'avoir compté une fois parmi ses collaborateurs l'éminent poète que la France vient de perdre. Sur le désir que nous lui en avions manifesté, il nous avait adressé, avec une cordialité charmante, cette belle pièce de la Noël, qui a paru dans notre livraison de janvier 1860.

Elle avait été précédée d'une lettre, où il nous disait, à propos de nos Vendéens : « Votre pays est éloigné du mien, mais tous deux sont rapprochés par les sentiments: permettez-moi de vous serrer la main, vous saurez tout ce que cela veut dire..... » Puis, après une invitation pressante de l'aller voir à Nîmes, où il s'offrait obligeam

1 Histoire de Nantes, t. rer, pp. 163 et seq.

2 Cité par M. de la Villemarqué, p. x.

3 Légende celtique, p. 270.

TOME V. 20 SÉRIE.

22

32

« PreviousContinue »