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SOUVENIRS DE LA VENDÉE MILITAIRE.

LA PRISE DE STOFFLET.

En Vendée, et notamment dans les environs de Cholet, j'ai souvent entendu dire à de vieux soldats de Stofflet que l'abbé Bernier ne s'était pas contenté, en 1796, d'exciter mal à propos ce général royaliste à recommencer la guerre, mais qu'il lui avait ensuite donné un rendez-vous à la ferme de la Saugrenière pour le faire succomber sous le coup d'un abominable guet-apens.

Désirant savoir d'où provenait une semblable accusation, j'ai recueilli, sur les lieux mêmes, des renseignements qui, puisés à bonne source, semblent, malheureusement pour la mémoire de Bernier, beaucoup trop justifier le proverbe : Vox populi, vox Dei. Après avoir pris connaissance des faits, le lecteur appréciera.

Les paysans de l'Anjou goûtaient depuis une année les douceurs de la paix; ce qui les rendait généralement peu désireux d'engager une nouvelle lutte contre les républicains, lorsque Stofflet, à l'instigation des meneurs du parti royaliste, à la tête desquels figurait l'abbé Bernier, se décida à reprendre les armes. Chose remarquable! en signant la proclamation qui annonçait le renouvellement des hostilités, le général vendéen, dont le bon sens se refusait à partager les espérances du curé de Saint-Laud, dit à ses

officiers : « Nous marchons à l'échafaud; mais tout le monde pousse à la guerre faisons-la jusqu'à la fin. »

En apprenant qu'une partie de l'Anjou se soulève, le général Hoche se hâte de revenir en Vendée, d'où il s'est éloigné momentanément. Il annonce son arrivée, en faisant afficher ce placard dans toutes les communes déjà insurgées : « J'avance à la tête de trente mille hommes pour occuper le pays d'Anjou et du HautPoitou jusqu'à ce qu'il soit entièrement désarmé et soumis aux lois.>

Stofflet, après avoir ouvert les hostilités en chassant, à la tête de trois cents hommes, la garnison républicaine qui occupait Argenton-le-Château, est bientôt entouré par plusieurs colonnes républicaines, auxquelles il ne peut résister avec les faibles forces dont il dispose.

Persuadé qu'il étouffera promptement cette nouvelle insurrection s'il parvient à s'emparer de ses chefs, Hoche fait alors poursuivre très-activement le général royaliste, ainsi que les capitaines qui ont répondu à son appel.

Sur ces entrefaites, le 14 février 1796, Stofflet est appelé par Bernier à un rendez-vous, où l'on doit se concerter avec différents officiers. Le lieu choisi par le curé de Saint-Laud pour tenir conseil, est la ferme de la Saugrenière, située dans la commune de la Poitevinière. Cette métairie étant loin de toute habitation et au milieu d'un épais bocage, offre toutes les conditions désirables pour se mettre à l'abri de l'espionnage et des perquisitions des républicains. Le 15 au soir, le général vendéen vient trouver Bernier à la Saugrenière, avec le baron de Lichteningen 1, son aide-de-camp, Eroudelle, envoyé par les insurgés de Bretagne, Coulon, son secrétaire, et trois chasseurs attachés à son service comme domestiques. Peu après l'arrivée de Stofflet et de sa suite, un des chasseurs est envoyé à Chemillé, éloigné de deux lieues de la Saugrenière, pour y chercher du tabac. Ce chasseur n'a point reparu et jamais on n'a su ce qu'il était devenu.

1 Le baron Charles de Lichteningen, jeune officier allemand, avait été fait prisonnier aux frontières. Ayant pu ensuite joindre les royalistes, il s'était attaché à Stofflet, près duquel il remplissait les fonctions d'aide-de-camp.

Bientôt le conseil s'ouvre et de vives discussions s'engagent, après lesquelles il est décidé qu'un agent général de toutes les armées royalistes de l'intérieur sera nommé et recevra des instructions pour représenter l'armée auprès de S. M. Louis XVIII. » A la demande de Stofflet, le comte Colbert de Maulévrier, son ancien maître, est choisi pour remplir ces fonctions. A deux heures du matin, le conseil se sépare, et l'on convient qu'il y aura une autre réunion la nuit suivante.

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Alors l'abbé Bernier, s'approchant de Stofflet, lui dit :

Général, où comptez-vous passer la nuit ?

-A la Saugrenière ; et vous?

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Moi, reprend Bernier, je vais aller coucher près d'ici, à la ferme de la Grande-Ramée.

Le curé de Saint-Laud sort, et, au lieu de se rendre à la GrandeRamée, il va, à un kilomètre de la Saugrenière, demander l'hospitalité à la métairie du Chêne-Percé, qui se trouve sur le bord d'un chemin de traverse allant à Chemillé. Là, le métayer qui l'a logé plusieurs fois, lui dit :

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Monsieur, les Bleus parcourent le pays à toute heure; si vous le désirez, par mesure de prudence, je vais faire bonne garde jusqu'au jour.

- Mon brave homme, c'est inutile, répond Bernier; ici, je ne cours aucun danger. Tenez, si cela ne vous gêne pas, cédez-moi pour le reste de la nuit la chambre qui n'a qu'une petite croisée ouvrant sur le chemin de traverse de Chemillé.

Le paysan, après avoir satisfait à cette demande, va se coucher; mais l'inquiétude le tenant éveillé, il entend, sur les trois heures et demie du matin, un bruit de pas mesurés qui s'approche de sa demeure. Se levant aussitôt, il court à une fenêtre, près de laquelle il reste saisi de terreur en apercevant un détachement républicain qui, sur l'ordre de son chef, fait halte devant sa maison.

Bientôt son effroi se change en stupéfaction, quand il voit le commandant des Bleus sortir des rangs pour marcher droit à la croisée de Bernier, contre laquelle il frappe discrètement.

A peine quelques légers coups ont-ils été appliqués sur le volet

qui clôt cette ouverture, que l'ais poussé de l'intérieur tourne sur ses gonds. Alors l'officier échange quelques paroles à voix basse avec la personne qui a répondu à son signal, puis il rejoint ses soldats, le volet se referme et les républicains se remettent en marche.

Ce détachement, commandé par un chef de bataillon appelé Loutil, se rend immédiatement à la métairie du Soucherot; là, Loutil dit au fermier, nommé Raimbaud :

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Allons, vite! conduis-nous à la Saugrenière.

Raimbaud, qui est royaliste et par conséquent décidé à ne pas servir de guide aux républicains, fait des objections que l'officier bleu se hâte d'interrompre par cet argument sans réplique :

Si tu n'obéis pas à l'instant, je te fais fusiller!

Le paysan, feignant alors d'exécuter l'ordre qui lui est donné, mène les républicains jusqu'au moulin de Vernon. Là, deux chemins se présentent. Celui de droite conduit à la Saugrenière et celui de gauche en éloigne. Raimbaud, qui veut égarer les Bleus, s'engage résolument dans ce dernier.

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Brigand! tu nous trompes! s'écrie Loutil, et saisissant un pistolet, il ajuste le paysan en disant : Si tu ne nous conduis pas directement à la Saugrenière, je te brûle la cervelle !

Raimbaud, bien à contre-cœur, est alors obligé de prendre le bon chemin. Le détachement arrive à la Saugrenière, qu'il cerne avec soin, puis Loutil et un petit nombre de soldats vont frapper à la porte en menaçant de l'enfoncer, si l'on ne s'empresse pas d'ouvrir. En entendant cette sommation, tout le monde, excepté la fermière, jeune femme très-énergique, s'empresse de se cacher.

Stofflet, qui s'était jeté tout habillé sur un lit, gagne promptement un grenier peu élevé au-dessus du sol; là, il se couche dans un coin, près d'un tas de lin dont on le couvre. Coulon et Eroudelle se mettent derrière un énorme coffre. Un instant après, la maison est

1 Les chasseurs de Stofflet, croyant que Raimbaud, en guidant les républicains, avait agi comme un traître, le massacrèrent peu après l'arrestation de leur général.

envahie par les républicains auxquels la fermière, nommée Lizé, vient d'ouvrir.

Brigande! vocifèrent les soldats, dis-nous où est le général

Stofflet?

Citoyens, répond avec un admirable sang-froid la fermière, vous me faites-là une question à laquelle je ne puis répondre. Nous savons positivement qu'il est dans ta demeure; montrenous l'endroit où il se cache.

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Mais, citoyens, s'il est ici, comme vous l'affirmez, la maison n'est pas assez grande pour le dérober à vos recherches. Fouillez !

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Ah! tu ne veux pas parler! crient avec rage les soldats; attends, nous allons te délier la langue.

En achevant ces mots, les républicains allument, avec des branches sèches, un grand feu dans l'âtre; puis montrant les flammes qui montent en tourbillonnant par le large conduit de la cheminée, ils disent à la fermière en la saisissant :

Si tu ne veux pas être rôtie vivante, réponds sans hésiter. Où est le général des brigands?

La femme Lizé, préférant mourir plutôt que de sauver sa vie par une trahison, garde un sublime silence.

Ah! tu ne veux rien dire ! au feu!... au feu !...

Alors, à trois reprises différentes, la malheureuse femme est poussée au milieu des flammes, d'où chaque fois elle est promptement retirée par des soldats moins cruels.

On allait précipiter une quatrième fois dans le feu cette admirable martyre du dévouement', lorsque Stofflet, surexcité au plus haut point par cette scène émouvante, tente généreusement d'y mettre un terme, en sortant tout-à-coup de sa cachette. En le voyant paraître, les soldats abandonnent leur victime pour se précipiter sur lui. Une lutte terrible s'engage, pendant laquelle le chef ven

1 Tous les faits inédits relatifs à l'arrestation de Stofflet m'ont été communiqués par un petit-fils de Mme Lizé. Quoique brûlée dangereusement, cette femme héroïque n'en survécut pas moins, et elle n'est morte que longtemps après, à la Saugrenière, dans un âge avancé.

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