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tres d'or '; ces espèces de cornes d'abondance que Ptolémée Philadelphe fit faire exprès pour mettre dans la main des statues d'Arsinoé ; ces calices de Rhodes mis à la portée des plus humbles fortunes pour piquer les Athéniens qui ne travaillaient que pour les riches 3, tant d'autres ouvrages du même genre qui ne changeaient pas assez souvent de maîtres au gré du faste et de la convoitise, prouvaient-ils autre chose que le progrès du luxe et le profit qu'il y avait à le satisfaire? Sans doute ces opuscules de l'art étaient exécutés avec goût; mais il faut se souvenir qu'au moment où ils étaient le plus recherchés, un préteur romain soudoyait des artistes grecs pour venir amuser le peuple qui était sur le point d'asservir la Grèce ; car dans cette malheureuse contrée l'avilissement précéda la conquête, et la gloire des arts fut flétrie la première. On voyait un roi de Bythinie menacer les Byzantins de sa

1. Athen., lib. II, § 17, 19, 30.

2. Ibid., § 97.

3. Ibid., § 37.

4. Polyb., édit. Schweigh., vol. IV, p. 478.

colère, s'ils ne se hâtaient de lui ériger des statues, et les Rhodiens placer dans leur temple de Minerve un colosse de trente coudées en l'honneur du peuple romain'. C'était le premier hommage que le génie grec payait à la force étrangère. Bientôt cet hommage se paya au bruit des armes, et sur les cendres des villes fumantes. Les statues de Polyclète et de Ly-· sippe, les tableaux de Zeuxis et d'Apelle entrèrent dans Rome avec une multitude d'autres chefs-d'œuvre à la suite des chars des triomphateurs, et servirent d'ornement à la ville éternelle, jusqu'à ce que le temps et la barbarie confondissent avec la poussière des tombeaux les plus précieux monumens du plus beau génie qui fut jamais.

§ III.-ÉLOQUENCE.

Dans le siècle de Périclès, le domaine de l'éloquence avait été partagé entre les vrais orateurs, les démagogues et les rhéteurs. Dans la période suivante, il n'y eut plus d'orateurs,

I. Polyb., liv. Iv, c. XLIX; lib. XXXI, c. xvi.

et les passions politiques étant trop tièdes pour donner quelque prise aux démagogues, on n'entendit plus que la voix des rhéteurs dans les gymnases et les assemblées publiques. La conquête même ne leur imposa pas silence; non qu'il entrât dans les vues des conquérans de laisser subsister l'empire de la parole; mais l'usage qu'en faisaient les rhéteurs n'étant offensif que pour le goût et les mœurs, ils avaient, comme auxiliaires de la tyrannie, des droits incontestables à sa reconnaissance.

De là il semblerait résulter que de la lutte anciennement engagée entre l'éloquence et la rhétorique, la dernière était sortie victorieuse; mais cette longévité prouve seulement que l'une avait besoin de liberté pour vivre, tandis que l'autre pouvait encore amuser des intelligences débiles. Si c'est là une victoire, elle ressemble à celle de ces animaux immondes qui vivent au milieu des substances putrides ou vénéneuses, tandis que les natures plus nobles en

sont suffoquées.

Il faut supposer qu'Aristote croyait à la résurrection de l'éloquence même en Grèce, et qu'il travaillait dans l'espoir d'y contribuer,

quand il composait sur cette matière l'excellent ouvrage didactique qui est venu jusqu'à nous. Singulière destinée de tous les travaux de ce genre! Fondés sur de longues expériences et sur l'analyse de certains chefs-d'oeuvre universellement admirés, ils sont destinés par leurs auteurs à faciliter les compositions analogues. Mais les siècles s'écoulent et ces savantes théories restent toujours stériles. Peut-être trouveront-elles leur première application chez un peuple barbare qui n'a pas encore de nom dans la langue hellénique. En attendant il faut les signaler, sinon comme moyens réels de perfectionnement, du moins comme explication philosophique des procédés de l'esprit humain à l'époque de sa plus grande vigueur. A ce titre, la Rhétorique d'Aristote mérite d'occuper une place dans son histoire 1.

On dirait qu'en la composant il avait pour

İ. On trouve ces paroles remarquables dans une lettre de d'Aguessean à son fils : « Dans les anciens il n'y a rien de plus parfait sur les préceptes de l'éloquence que la Rhétorique d'Aristote, et c'est un ouvrage qui mérite d'être non-seulement lu, mais médité.»

but de détruire le crédit des rhéteurs, déjà si fortement ébranlé par Socrate et ses disciples. Il plaçait si haut l'éloquence, qu'il leur devenait impossible d'y atteindre. Ce n'était plus cet art frivole qui tirait ses principales ressources de la symétrie des périodes et des subtilités du langage: c'était une application vivante et méthodique d'observations philosophiques faites sur le cœur humain. Dans ses préceptes sur la différence des genres et des styles, sur l'usage qu'on peut faire des fables, des paraboles, des sentences et des figures', il reproduisait peut-être les idées de Callipe et de Pamphile'; mais quand il analysait les diverses nuances des vices et des passions de l'homme, quand il voulait qu'on assignât la part que peuvent avoir à chaque crime, le hasard, la contrainte, la nature, les habitudes, le raisonnement, la colère et la convoitise '; quand il insistait si fortement sur l'importance

1. Rhetor., liv. II, ch. XX, XXI.

2. Disciples de Platon et auteurs de traités sur la rhétorique.

3. Rhetor., liv. 1, ch. x, § 2.

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