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sectes rivales ont mis fin aux hostilités, il est facile de voir que ce n'est, après tout, que par une sorte de lassitude et d'épuisement.

D'ailleurs, si la nouvelle Académie avait renoncé à son scepticisme et à ses conséquences, les disciples qu'elle avait formés s'étaient empressés de recueillir ce triste héritage. ŒEnésidème de Crète' constitua définitivement le scepticisme, et le développa avec une méthode savante et rigoureuse. Ce fut dans Alexandrie que naquit cette nouvelle école, à laquelle plusieurs médecins empiriques prêtèrent l'autorité d'une science qui, depuis Hippocrate, avait fait des progrès assez importans pour mériter une place dans l'histoire de l'intelligence humaine.

S VI. SCIENCES NATURELLES.

Ici se termine le tableau de la décadence intellectuelle de la Grèce. Nous avons vu se flétrir successivement toutes les plus belles fleurs de sa couronne. Nous avons en quelque sorte assisté au déclin et à la mort de la poésie, des

1. 80 ans avant Jésus-Christ.

beaux-arts, de l'éloquence et de l'histoire; la philosophie elle-même a beaucoup décliné sous le rapport de la tendance morale. Il faut avouer que si le cercle des connaissances humaines finissait là, on aurait le droit de dire des Grecs qu'ils ont trop vécu d'un siècle. Mais heureusement quand les produits d'imagination disparaissent, les produits d'observation les remplacent, et cela fait que les peuples, doués primitivement de quelque énergie intellectuelle, en conservent encore assez dans leurs vieux jours, pour ne pas être un inutile fardeau sur la terre. Alors, comme nous l'avons déjà dit, la philosophie, condamnée à détourner ses yeux de l'homme qui dégénère, les fixe sur la nature, dont la beauté ne connaît pas de déclin.

et

C'est un bien vaste champ que la nature, cependant le génie de l'homme n'a jamais désespéré de le parcourir tout entier. Mais pour cela, il a fallu qu'il créât lui-même les instrumens de sa conquête, c'est-à-dire les méthodes; car Dieu ne les lui avait pas données. Or, une méthode n'est pas l'ouvrage d'un jour, ni d'une génération, ni même d'un siècle. Elle se prépare lentement et péniblement, et quand enfin

elle apparaît dans le monde, on croit qu'elle ne fait que de naître. Alors on lui donne communément le nom de celui qui lui a fait porter ses premiers fruits, et c'est ainsi qu'on a coutume d'appeler méthode d'Hippocrate, méthode d'Aristote, le parti qu'avaient su tirer ces deux grands hommes des expériences et des erreurs de leurs devanciers.

La gloire qui s'attache à leur nom n'est pas pour cela une gloire usurpée; car les premiers, ils ont observé, dans un but vraiment scientifique, les phénomènes que présentent les corps organisés. On sait à quelle hauteur Hippocrate éleva la science à laquelle il consacra sa vie, et l'on sait aussi qu'Aristote, pour avoir consacré une partie de la sienne à l'étude de l'histoire naturelle, ouvrit une route entièrement nouvelle aux investigations de la philosophie.

Hippocrate, malgré l'exactitude de ses observations et la supériorité de ses vues, était loin d'avoir connu tous les détails de la merveilleuse architecture du corps humain, et ses successeurs n'eurent pas à se plaindre qu'il ne leur eût laissé rien à découvrir. Dioclès de Caryste, l'un des plus célèbres d'entre eux, com

posa sur l'anatomie un ouvrage qui n'est pas venu jusqu'à nous, et qui, malgré les erreurs assez grossières qu'il renfermait, offrait néanmoins des descriptions exactes de certains organes et de certaines maladies.

D'autres médecins, sortis de la même école, enrichirent aussi la science de plusieurs découvertes importantes, surtout dans Alexandrie, où ils purent impunément disséquer des cadavres humains. Mais ils furent précédés par quelques philosophes, qui commencèrent alors

à étudier dans un autre but les merveilles de l'économie animale. Le stoïcien Zénon disait que le sage devait s'efforcer de connaître avant tout les rapports qui existent entre la nature de l'homme et celle de l'univers '. La doctrine d'Épicure, avec une tendance tout opposée, devait conduire ses disciples à des recherches physiologiques sur le corps humain et sur son heureuse organisation, source des plaisirs des

1. Nec verò potest quisquam de bonis et de malis verè judicare, nisi omni cognita ratione naturæ, et vitæ etiam Deorum, et utrùm conveniat nec ne, natura hominis cum universa. Cicer. de Fin., 1. II, c. xxII.

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sens et de ce qu'ils appelaient le bonheur. Mais Aristote, par sa méthode d'observation qu'il appliquait à toutes les sciences, éveillait bien plus légitimement la curiosité de son siècle, en lui révélant des rapports jusqu'alors inconnus entre les organes de l'homme et ceux des autres animaux. Il est incontestablement l'auteur du premier essai d'anatomie comparée 1.

En physiologie, comme dans toutes les branches d'histoire naturelle, le résultat d'une longue série d'observations s'énonce en si peu de mots et avec si peu d'appareil, qu'il est difficile d'en apprécier toute la valeur. L'homme est de tous les animaux celui qui a le cerveau le plus volumineux. Voilà une découverte intéressante, qui suppose autant de comparaisons qu'il y avait d'espèces connues. Aristote voyait dans la création un seul animal raisonnable, et non content de l'avoir distingué par ce noble attribut, il signalait encore avec soin tout ce qu'il y avait de spécial dans son organisation et dans ses habitudes physiques. Ainsi, outre la supé

1. Aristote fut aussi le premier qui fit des dessins anatomiques qu'il joignit à ses ouvrages.

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