Page images
PDF
EPUB

ordre de recherches, il rencontrait à chaque pas des idées fondamentales, mal définies ou entièrement négligées par ses devanciers; comme ces idées étaient les élémens nécessaires de tout système philosophique, et particulièrement du sien, il entreprit de les déterminer avec toute la précision dont il était capable.

Avant lui, rien n'était plus vague que les notions de mouvement et de temps. Sa démonstration de l'existence de Dieu, considéré comme premier moteur, reposant tout entière sur la première de ces notions, il avait un grand intérêt à l'éclaircir. Son succès n'alla pas jusqu'à réfuter victorieusement les argumens de Zénon contre le mouvement. Cependant la solution qu'il obtint n'est pas au-dessous de ce qu'on est en droit d'attendre d'un génie comme le sien'. Mais c'est surtout dans le développement de l'idée du temps que la sagacité d'Aristote se

1. Physic. auscult., lib. III, c. I, IV, V. - Brucker, de Aristot., § 1, p. 815. Le mouvement in genere renferme trois espèces, 1o le changement de lieu, 2o le changement de grandeur (accroissement et décroissement); 3° changement de qualité (transformation).

fait le plus admirer. Aucun métaphysicien, à l'exception de Kant, n'a pénétré si avant dans le fonds de cette question, et il n'avait plus 'qu'un pas à faire pour arriver au même point de vue que le philosophe allemand '.

Il faut remarquer qu'en établissant les principes supérieurs qui président à tout l'ensemble des connaissances humaines, et par lesquels celles-ci communiquent entre elles, Aristote les a singulièrement fécondées, et que de plus il a évité le danger d'appliquer à une science quelconque des lois qui lui seraient étrangères.

On voit qu'il a traité avec une prédilection toute particulière la science de l'homme considéré sous tous les rapports possibles. Si, d'une part, il a éprouvé quelque embarras pour faire dériver du même principe les phénomènes de la vie animale et ceux de la vie intellectuelle, de l'autre il a si bien analysé ces deux ordres de phénomènes, que, sur plusieurs points importans, il a fallu les travaux du dernier siècle pour ajouter quelque chose à ses découvertes.

1. Tennemann's Geschichte der philosophie, t. III, p. 137.

<< Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre, les royaumes, ne valent pas le moindre des esprits : car il connaît tout cela et soi-même; et le corps, rien. » Voilà comme Pascal sépare l'intelligence de la matière. Sans tirer aussi nettement sa ligne de démarcation, Aristote met cependant au premier rang la science qui a l'ame pour objet. Aucune ne lui paraît avoir un caractère plus noble, un but plus relevé '. Il y porte aussi sa méthode expérimentale; de sorte qu'il en résulte moins une théorie qu'une histoire. Après avoir observé les divers modes d'opérations de l'ame humaine, il en conclut qu'elle est simple et indivisible, qu'elle ne vieillit point', qu'elle est le principe de la vie, du sentiment et de la pensée; en un mot, qu'elle est immortelle. Ce sont ses actes qui révèlent ses facultés, comme ses facultés révèlent sa nature. Puis, par une série de gradations qui embrasse tous les êtres organisés, il donne à l'homme une ame végétative qui, lui étant commune avec les vegétaux, préside à la nu

1. De Animâ, l. 1, c. I.

2. Ibid., c. I.

trition, une ame sensitive qui, lui étant commune avec les animaux, préside aux phénomènes de la sensibilité, enfin une ame intelligente qui forme l'attribut distinctif de l'humanité '.

Le premier de ces trois points de vue, appartenant à la physiologie proprement dite, nous occupera plus tard. Au second se rattache la théorie de la sensation, l'une de celles qu'Aristote a le plus perfectionnées. Le premier, il a signalé les perceptions qui sont propres aux divers organes, il a distingué celles qui nous viennent par plusieurs sens de celles qui ne nous viennent que par un seul. Il a montré en quoi l'imagination diffère de la sensation, de la raison et de la mémoire, et en quoi la mémoire diffère de la réminiscence'. Puis, par une transition infiniment heureuse, il a été conduit à une vue nouvelle et importante, celle d'un centre commun et unique où les perceptions diverses sont réunies et comparées. Personne avant lui n'avait encore approché de si près l'idée abstraite de la conscience. Il ne

1. Brucker, de Aristot., § 1, p. 822.

2. De Memoriâ, c. II.

l'appelle pas encore par son nom; mais il n'en est pas moins le premier qui ait mis en lumière ce phénomène fondamental par lequel plusieurs choses différentes sont réduites à l'unité '.

Quant au troisième point de vue, celui de l'ame intelligente ou de l'entendement, Aristote l'a traité avec sa profondeur ordinaire à certains égards; mais sous les rapports essentiels, il est resté bien au dessous de Platon et même de Pythagore'.

Ceux de ses traités qu'on a coutume de réunir sous le titre commun d'Organon, sont, pour ainsi dire, le code de la raison humaine. Il commence par faire la revue des matériaux que l'esprit met en œuvre dans ses opérations primitives, il les classe suivant leur nature, et les distribue en genres; de là les catégories, magnifique découverte à laquelle on ne pouvait

1. La psychologie d'Aristote comprend ses livres de l'Ame, de la Mémoire, des Sens et des choses sensibles, des Sons, des Couleurs, des Songes, de la Veille, de la Jeunesse et de la Vieillesse.

2. Voyez Brucker et De Gérando, Hist. des Syst. ph., vol. 1, p. 333-344.

« PreviousContinue »