Page images
PDF
EPUB

sin, on ne perd pas de vache. Mais en travaillant il faut épargner, toutefois sans lésinerie, sans dérober le salaire de l'ouvrier, sans manquer de bonté envers les serviteurs.

Le poëte termine, si l'on peut dire, son manuel d'hygiène, de sagesse et de civilité, en promettant une bonne réputation pour l'homme docile à ses conseils :

« Faites ainsi et évitez les mauvais propos des hommes. La renommée, quand elle est fâcheuse, vient aisément, se porte avec peine et ne nous quitte jamais. La renommée, quelle qu'elle soit, ne meurt pas, quand beaucoup de gens la propagent; c'est une déesse, elle aussi. »

La Grèce conteuse a eu pour usage de prêter toujours à ses poëtes des aventures extraordinaires. Hésiode en a obtenu sa part une légende, née de l'admiration qu'inspirait son génie éducateur, racontait qu'au fameux concours de Chalcis, ce fut d'Homère lui-même qu'il triompha. Après cette étonnante victoire de l'humble poëme qui chante la vie pénible de l'homme de labeur, Hésiode, disait-on, alla consulter l'oracle de Delphes « Garde-toi des environs de Némée, » lui répondit la pythonisse. Il crut qu'il s'agissait de Némée en Argolide; mais peu après, comme il approchait de Némée en Locride pour aller de là, dans la mystérieuse Acarnanie, apprendre la mantique ou divination, il fut assassiné. Le cadavre du poëte, jeté secrètement à la mer, fut déposé par des dauphins au rivage de Naupacte, à l'heure où les habitants célébraient une grande fête nationale. L'oracle ordonna aux Orchoméniens d'élever une tombe à Hésiode près du temple des Grâces, et de l'honorer comme un héros, c'est-à-dire comme une sorte de demi-dieu; naïf témoignage de la reconnaissance commune envers l'homme qui avait appris à ses compatriotes le respect de l'artisan pour lui-même, la confiance dans l'observation journalière du devoir, la dignité du bon sens.

IV.

PROVERBES, ÉNIGMES ET APOLOGUES.-ÉSOPE.

Il faudrait qu'un peuple possédât bien peu de mémoire et bien peu d'esprit pour n'avoir pas de proverbes.

Ceux des Grecs ont mérité l'attention spéciale des doctes, soit dans l'antiquité, soit chez les modernes (1); non sans motifs, car le peuple grec créa de bonne heure une foule de légendes qu'il aimait plus tard à rappeler.

Dans sa vivacité, il trouvait aisément ces rapports d'espèce à espèce, comme dit Aristote (2), qui forment le principe de beaucoup de dictons; en outre, ses pensées se rédigeaient sans peine sous la forme d'un adage, d'une sentence analogue au style coupé des oracles. La malice ionienne abondait en dictons railleurs et même d'allure paradoxale; la gravité du Spartiate économe de ses paroles communiquait volontiers un tour concis et sévère à l'expression du sentiment. Les apophthegmes lacédémoniens ont donné l'idée d'une forme même du langage, qui, à cause d'eux, s'est appeléc le laconisme.

Si l'on choisissait, entre les proverbes grecs, tous ceux qui remontent aux époques les plus anciennes et qui en ont

(1) FABRICIUS, Bibliotheca græca, liv. 1x, ch. 9; Leutsch et ScHNEIDEWIN, Corpus paræmiographorum græcorum (Gottingue, 1839). (2) Rhétorique, liv. x, ch. 2.

reçu la marque, on aurait comme la poésie fruste de la vieille morale, le symbolisme familier de l'imagination commune, les bonnes et faciles rencontres (c'est ce que signifie l'équivalent grec de notre mot « proverbe ») (1) de la sagesse populaire, quelquefois aussi les maximes mises en vogue par l'ignorance, l'intérêt ou le caprice, et docilement accueillies d'une génération à l'autre.

Souvent, à la vérité, les proverbes n'ont pas d'âge distinct et peuvent être nés dans un temps aussi bien qu'en un autre. Cependant il ne serait pas impossible d'établir certaines règles propres à discerner, selon les peuples, en quel temps a pu paraître tel proverbe anonyme. Ainsi, pour les Grecs, nul adage n'a dû se préciser et se répandre avant que la nation eût acquis une certaine expérience sociale; les plus anciennes maximes, nées déjà de la réflexion, devaient être ingénues et comme rudimentaires, simples pour l'idée, mais non pas nécessairement simples dans la forme : l'imagination jeune ne hait point de chercher des rapports entre des objets éloignés l'un de l'autre. Les comparaisons établies sont toujours analo gues à la portée et à la culture de l'intelligence nationale; aussi la religion et la morale pratique, mais non la métaphysique et les beaux-arts, peuvent fournir d'abord des éléments sur lesquels les rapprochements s'établissent. Le dicton d'une époque relativement moderne est très-souvent et très-visiblement compliqué d'une allusion littéraire: un personnage de théâtre, un type poétique devenu populaire, obtiennent leur place naturelle dans les proverbes d'une nation lettrée. Les sui

(1) Paroimia, «< ce qu'on trouve sur la route. » Sur le type de ce mot, il ne s'en est formé aucun pour notre langue, tandis que notre lexique a emprunté du grec d'autres termes d'un sens voisin : apophthegme, aphorisme, axiome. Le proverbe diffère de l'apophthegme, pensée brillante, mais parfois pédantesque; de l'aphorisme, qui doit contenir une définition précise et rigoureuse; de l'axiome enfin, qui, en principe, est la formule d'une vérité évidente et indiscutable.

« PreviousContinue »