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La scène représente une chambre où dort un jeune homme; un vieillard s'y promène d'un air soucieux; celui-ci est Strepsiade, citoyen d'Athènes, riche autrefois, maintenant ruiné par les prodigues dépenses de son fils Phidippide; il a tout à craindre de ses créanciers. Tandis que le jeune homme rêve de courses hippiques, de luttes de char, Strepsiade, que les chagrins empêchent de goûter le repos de la nuit, cherche un moyen de conjurer sa ruine déjà menaçante. Une idée lui vient; il appelle son fils.

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Embrasse-moi et donne-moi ta main droite.

PHIDIPPIDE.

La voici. Qu'y a-t-il ?

STREPSIADE.

Dis-moi, m'aimes-tu ?

PHIDIPPIDE.

Oui, par le grand Neptune cavalier (1).

STREPSIADE.

Ne me parle jamais de ce cavalier-là ; c'est ce dieu qui est cause de tous mes maux, Mais si tu m'aimes vraiment de bon cœur, cher enfant, obéis-moi.

PHIDIPPIDE.

Que faut-il donc faire pour toi ?

STREPSIADE.

Quitte au plus tôt tes habitudes et va t'instruire de ce que

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Avance de ce côté; regarde. Tu vois cette petite porte et cette petite maison ?

PHIDIPPIDE.

Je vois; mais, mon père, que signifie ?...

(1) Neptune avait donné le cheval aux Athéniens, dans le temps où Minerve fit naître pour eux l'olivier.

STREPSIADE.

C'est là le pensoire (1) de sages esprits. Là demeurent des hommes qui, parlant du ciel, enseignent que c'est un étouffoir, qui nous recouvre tous et dont nous sommes les charbons. Ils enseignent encore, moyennant un peu d'argent qu'on leur donne, à persuader les choses injustes comme les justes.

Et qui sont-ils ?

PHIDIPPIDE.

STREPSIADE.

Je ne connais pas exactement leurs noms; mais ce sont des idéologues d'honneur et de mérite.

PHIDIPPIDE.

Eux ! ce sont des misérables. Je les connais. Tu veux parler de ces charlatans à mine blême, de ces va-nu-pieds, parmi lesquels se trouvent Socrate le coquin et Chéréphon.

STREPSIADE.

Silence! Ne parle pas comme un enfant; mais si tu veux que ton père ait du pain, deviens un des leurs et renonce à toute ta cavalerie.

PHIDIPPIDE.

Non, par Bacchus, quand tu me donnerais tous les faisans que nourrit Léogoras (2).

(1) C'est la traduction littérale du mot grec forgé par Aristophane; les formes existantes oratoire, réfectoire, conduisent à l'analogue inusité, que nous mettons ici.

(2) Ce Léogoras était sans doute quelque riche qui se plaisait à nourrir des oiseaux exotiques, comme ceux qu'on trouvait en Colchide, sur les bords du Phase (Phasiani), les faisans.

STREPSIADE.

Va, je t'en supplie, mon très-cher enfant, va te faire instruire.

PHIDIPPIDE.

Et que faudrait-il apprendre?

STREPSIADE.

On dit qu'il y a, suivant leur doctrine, deux discours : l'un bon, qui est ce qu'il peut; l'autre, mauvais. L'homme qui sait employer le second, c'est-à-dire le mauvais, fait prévaloir l'injustice. Si donc tu veux apprendre pour moi ce discours injuste, je ne donnerai, sur toutes les dettes que j'ai contractées à cause de toi, pas une obole à n'importe qui.

PHIDIPPIDE.

Certes, je refuse; il me serait impossible de revoir les chevaliers, si j'étais allé pâlir au milieu des pédants (1).

STREPSIADE.

Par Cérès (2), vous ne mangerez donc plus de mon bien, ni toi, ni ton cheval de char, ni ton cheval de course; je te chasserai de ma maison en te maudissant.

PHIDIPPIDE.

Mais mon oncle Mégaclès ne souffrira pas que je reste démonté. Je sors; tes paroles ne m'inquiètent guère.

(1) A toute époque, les grandes études ont passé pour être peu favorables à la fleur de la santé; un philosophe surtout, ou, comme on dit, un songe-creux, est souvent un homme de pauvre mine.

(2) Strepsiade est originaire d'une bourgade de l'Attique; il jure par une divinité des champs.

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