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et Ischomaque craignait qu'il ne semblât répugnant à sa jeune épouse, c'est celui de veiller à la guérison du serviteur malade. Mais elle avait répondu aussitôt : « Rien ne m'agréera davantage, puisque, rétablis par mes soins, nos esclaves m'en sauront gré et me montreront encore plus de dévoûment que par le passé. » Non-seulement elle les gouvernait, mais elle s'était faite aussi leur institutrice. Grâce à elle, une maladroite devenait bonne fileuse, l'intendante incapable apprenait à remplir sa tâche avec intelligence. Enfin le droit de récompenser et de punir lui était dévolu dans sa maison, comme à une reine dans ses États.

La conséquence de tant de vertus, c'est qu'Ischomaque lui jura de l'aimer toujours et de la respecter affectueusement, même après l'âge où elle perdrait la beauté.

Cette bonne parole redoubla le courage de la vertueuse femme. Elle portait même dans son œuvre un certain excès de zèle et d'amour-propre; car un jour que son mari lui demandait quelque chose qu'elle ne put trouver, elle rougit comme mortifiée.

Ischomaque s'empressa de la calmer, de la consoler, prit sur lui la faute, et tous deux résolurent d'établir dans leur demeure un ordre si parfait que toute chose pût être facilement trouvée et remise en place. L'ordre ne fait-il pas la beauté d'un chœur de danse et de musique, l'utilité d'une armée, celle d'un vaisseau de guerre? Dans ce dernier, l'espace est restreint; la quantité d'objets à classer, innombrable; et pourtant. tout y tient sans confusion. « De même, chère femme, disait l'ami de Socrate, si tu veux savoir bien administrer notre ménage, trouver sans peine ce qui est nécessaire, m'offrir de bonne grâce ce que je pourrai te demander, choisissons une place convenable pour chaque chose. Par là, nous saurons ce qui est perdu et ce qui ne l'est pas. En effet, la place elle-même aura l'air de regretter ce qui lui manque, et la connaissance de la place réservée à chaque objet nous le mettra si vite sous la main que nous ne serons jamais pris au dépourvu. »

L'ordre n'est pas seulement utile; il communique même une sorte de poésie aux objets en apparence les plus vulgaires. La belle chose à voir, osait dire Ischomaque, la belle chose que des chaussures bien rangées de suite et selon leur espèce, des vêtements séparés suivant leur usage, des vases d'airain, des ustensiles de table; la belle chose enfin, malgré le ridicule qu'y trouverait un écervelé, et non point un homme grave, que de voir des marmites rangées avec intelligence et symétrie !... »

On se figure d'ordinaire le génie grec comme uniquement épris de l'art héroïque, comme voué à une espèce d'aristocratie de sentiments. Ces derniers mots prouvent assez qu'il comprenait et savait exprimer cette sensualité permise de la vie intime, qui a été l'inspiration des meilleurs artistes de l'école hollandaise et le charme de plusieurs poëmes allemands (1).

Après ce compte rendu sommaire de l'Économique, nous reviendrons à nos extraits des Mémoires. Qu'il nous soit permis cependant de n'y revenir qu'après avoir traduit, dans le dernier chapitre des Proverbes de Salomon, les paroles de la mère du roi Lamuel (celui en qui Dieu réside) célébrant les louanges de la bonne mère de famille. Il y a là un sujet de comparaison trop naturellement indiqué pour que nous hésitions à rapporter une des pages les plus touchantes de l'antiquité hébraïque:

Aleph. (2) Qui trouvera une femme forte? Elle a plus de prix que les perles.

Beth. Le cœur de son mari s'assure en elle, et il ne manquera point de biens.

(1) Particulièrement Hermann et Dorothée, de Gœthe. La poésie de la famille est aussi décrite en traits ravissants dans le poëme de Schiller intitulé le Chant de la Cloche.

(2) Ce mot et tous les autres en italique représentent la suite des lettres de l'alphabet juif, servant ici à numéroter les versets du texte.

Guimel. Elle est pour lui, tous les jours de sa vie, cause de

bien et jamais de mal.

Daleth. Elle cherche de la laine et du lin, et elle fait ce qu'elle veut de ses mains.

He. Elle est comme le navire d'un marchand, elle amène son pain de loin.

Vau. Elle se lève lorsqu'il est encore nuit, elle donne les viandes nécessaires pour les personnes de sa famille et les aliments pour ses servantes.

Zain. Elle considère un champ et l'achète; elle plante une vigne du revenu de ses mains.

Heth. Elle ceint ses reins de courage, et fortifie son bras. Teth. Elle éprouve que son œuvre est bonne; sa lampe ne s'éteindra point pendant la nuit.

Iod. Elle met ses mains à de rudes besognes, et ses doigts tiennent la quenouille.

Caph. Elle tend sa main à l'affligé, elle avance sa main vers les nécessiteux.

Lamed. Elle ne craint point le froid de la neige pour sa famille, car toute sa famille est vêtue de vêtements doubles.

Mem. Elle se fait des tours de lit; le fin lin et l'écarlate lui servent pour ses vêtements.

Nun. Son mari est honoré quand il siége (comme juge) à la porte de la ville, avec les anciens du pays.

Samech. Elle fait du linge et le vend, et elle fait des ceintures qu'elle donne au marchand.

Hajin. La force et la magnificence lui servent de vêtement, et elle se rit du jour à venir.

Pe. Elle met sur ses lèvres des paroles de sagesse, et la loi de douceur est sur sa langue.

Tsade. Elle surveille les voies de sa maison, et ne mange point le pain de la paresse.

Koph. Ses enfants se sont élevés et bénissent leur mère; son mari a prospéré et il la loue en disant :

Resch. « Plusieurs filles ont eu des amas de biens, mais tu les surpasses toutes. >>

Scin. La grâce trompe et la beauté s'évanouit, mais la femme qui craint l'Éternel aura toute louange.

Than. Donnez-lui des fruits de ses mains, et que ses œuvres lui attirent les éloges du Conseil de la ville.

CHAPITRE XXI.

SOCRATE.

Sa morale, d'après Xénophon.

(Suite.)

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