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Est-ce par le peuple, ou par quelques-uns, ou par la direction d'un seul (1)? Je conclus donc, puisque vous êtes remis en liberté par le moyen d'un seul homme, que vous embrassiez Monarchie. Autrement, vous enfreindriez lois et coutumes du pays fort bien établics, ce qui ne sera, de ce je vous assure, pour le meilleur.

» Ces trois opinions furent mises en avant, dont la troisième fut approuvée par les quatre scigneurs qui restaient à opiner. Et voyant Otanès qu'il avait perdu tout à trac, derechef il parla en cette sorte:

» Messieurs, il est maintenant tout clair et manifeste qu'il est de nécessité que l'un de nous soit roi, soit que le prenez par sort, ou que nous nous en remettions à la commune des Perses qui choisira celui qui lui plaira, ou soit finalement par quelque autre expédient. Au regard de moi, je vous promets bien que je ne prendrai débat avec vous quant à ce point, car je ne veux ni gouverner ni être gouverné et vous quitte (abandonne) ma part du royaume, à la charge toutefois que ni moi, ni les miens, ni ma postérité ne seront jamais sujets ni vassaux.

» Cette protestation faite, les six lui accordèrent son dire, au moyen de quoi il se retira à part, ne voulant en rien se formaliser à l'encontre d'eux. Jusqu'à ce jour sa maison demeure seule franche parmi les Perses, sans reconnaître aucun seigneur lige; et qui plus est, elle a commandement en tout ce que bon lui plaît, pourvu qu'elle n'excède les lois des Perses (2). »

Cette délibération, malgré les lacunes et la maigreur du raisonnement sur certains points, n'est cependant pas sans

(1) Darius rappelle-t-il à mots couverts que sans lui, sans sa décision, on ne serait probablement pas arrivé à renverser Smerdis? ou veut-il dire que, sans l'initiative de leur roi Cyrus, les Perses seraient restés vassaux des Mèdes? Les deux sens peuvent être défendus.

(2) Livre IV.

gravité. Il y a plus de noblesse encore avec plus de passion dans deux autres discours qui terminent le huitième livre.

Après la bataille perdue dans les eaux de Salamine, Xercès, regagnant l'Asie, avait retiré celles de ses troupes qui campaient sur les ruines d'Athènes et laissé en Thessalie Mardonius, son lieutenant, avec ordre de reprendre, après la mauvaise saison, les hostilités contre la Grèce.

Le général perse, au moment de commencer les opérations, espéra détacher les Athéniens de leur alliance avec les autres Grecs, en leur envoyant des propositions favorables par un prince qui avait avec eux des liens d'hospitalité, Alexandre de Macédoine (1). Les Lacédémoniens, instruits du dessein de Mardonius, expédièrent de leur côté une ambassade aux Athéniens, pour les prémunir contre les offres du chef des ennemis, promettant, si Athènes restait fidèle à la cause commune, de donner asile aux femmes et aux vieillards qu'elle leur enverrait en garde jusqu'à la fin de la lutte. Alexandre et les députés de Sparte furent entendus dans une même assemblée du peuple d'Athènes, qui fit connaître aussitôt ses intentions.

INDÉPENDANCE ET FERMETÉ D'Athènes.

<< Les Athéniens répondirent à Alexandre ces mots : « Seigneur Alexandre, nous ne sommes pas ignorant que les forces du Mède sont plus grandes que les nôtres, et de ce côté ne nous faut rien reprocher, vous assurant que pour retrouver liberté nous nous défendrons tant que possible nous sera. Et pour ce vous pouvez bien vous déporter de nous vouloir persuader de sentir avec le Barbare; car nous n'en ferons rien. Et hardiment faites rapport à Mardonius, tant que le soleil cheminera son chemin d'aujourd'hui, que nous n'accorderons avec Xercès, mais lui marcherons au-devant,

(1) Un des ancêtres d'Alexandre le Grand,

nous confiant aux dieux et héros qui combattront avec nous, les maisons et statues desquels il a brûlées sans en faire discrétion (distinction) aucune. Et quant à votre personne, la Seigneurie athénienne (1) vous défend de vous trouver plus devant elle pour nous tenir tels propos, afin que ne cuidiez (vous ne pensiez) nous faire plaisir de nous inciter à faire choses illicites et déraisonnables combien que (quoique) vous étant porté ami et médiateur pour la Seigneurie, nous ne voudrions point que de la part d'elle vous fût fait déplaisir.

» Ainsi dirent-ils à Alexandre; mais à l'ambassade de Sparte ils rendirent cette réponse :

» Monsieur l'ambassadeur, la chose est bien du naturel de l'homme que les Lacédémoniens aient eu crainte que ne prissions ligue avec le Barbare: combien toutefois que vous nous avez fait tort de douter de la volonté des Athéniens, que vous avez souvent connue; car en lieu de la terre, il n'y a tant d'or et n'est région tant excellente en beauté et bonté, pour laquelle nous voulussions, en médisant (2), asservir la Grèce. Et, supposé que nous nous proposions ce faire, toutefois plusieurs et grandes raisons nous retiendraient. En premier lieu, les statues et temples des dieux qui ont été brûlés et encombrés de leurs ruines; à cause de quoi nous devons beaucoup plus penser à prendre vengeance que faire paix avec celui qui exécute telles insolences. En après nous sommes Grecs comme vous, de même sang et même langue. Davantage, nous avons temples et sacrifices des dieux communs, outre que nos mœurs, lois et coutumes sont semblables. Au moyen de quoi (pour ces raisons), la chose serait trop mal gouvernée que les Athéniens trahissent et prostituassent ainsi toutes les dignités et ornements de la patrie. Et pourtant apprenez une chose, si déjà vous ne l'avez apprise tant qu'il restera Athénien vivant, nous n'accorde

(1) « La ville libre d'Athènes... » (2) En partisant avec les Mèdes.

rons avec Xercès. Au surplus nous n'acceptons point la pourvoyance dont voulez user envers nous, en nourrissant nos femmes et familles, considéré que (par ce motif que) toutes nos maisons sont gåtées et perdues. En quoi vous montrez l'entière bienveillance que vous nous portez, combien que nous aviserons de nous maintenir le mieux que nous pourrons et ne vous serons en charge. Il reste seulement, étant les choses disposées comme elles sont, que vous nous envoyiez gens de guerre le plus tôt que faire se pourra; car nous pensons bien que le Barbare ne mettra longtemps à nous venir assaillir, mais prendra son chemin vers nous incontinent qu'il entendra que ne voulons rien faire de ce qu'il nous a mandé. Par quoi, avant qu'il entre en l'Attique, la saison est et le temps de le prévenir en Béotie et là faire le boulevard de la Grèce (1). »

(1) Livre VIII, ch. 143-144.

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