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bonheur? Moi, je t'y conduirai par un chemin court et fleuri. »

« Malheureuse! reprend la Vertu, de quel bonheur vienstu parler? Quels plaisirs connais-tu, toi qui ne veux rien faire pour en mériter, toi qui préviens tous les besoins qu'il est doux de satisfaire, et jouis sans avoir désiré; toi qui manges avant la faim, qui bois avant la soif, qui, pour assaisonner tes mets délicats, emploies les mains les plus savantes; qui, pour boire avec plus de charme, aniasses des vins somptueux et cours çà et là chercher de la neige en été ; qui, pour dormir plus doucement, imagines de fins tissus, de riches tapis étendus sous des lits superbes ! Tu cherches le sommeil, non par besoin du repos, mais par oisiveté. Dans l'amour, tu préviens et tu outrages la nature, et tes amis, instruits par tes leçons, passent la nuit en plaisirs coupables, et la plus utile partie du jour dans une lâche inaction. Tu es immortelle, mais les dieux t'ont chassée, et tout homme de bien te méprise. Jamais tu n'as entendu le plus doux concert, tes propres éloges; jamais tu n'as vu le plus doux spectacle, celui d'une bonne action qui vînt de toi. Quel homme voudrait te croire quand tu lui parles, te secourir quand tu l'implores? quel homme sensé oserait se mêler à tes vils adorateurs? Jeunes, ils traînent un corps languissant; plus âgés, leur raison s'égare; aux brillants plaisirs d'une jeunesse oisive succèdent les ennuis d'une douloureuse vieillesse; honteux de ce qu'ils ont fait, accablés de ce qu'ils font, ils ont couru dans leur premier âge de délices en délices, et réservé tous les maux pour leur déclin. Moi, je suis la compagne des dieux, la compagne des mortels irréprochables. Sans moi, rien de sublime parmi les dieux ni sur la terre. Je reçois les plus grands honneurs, et des puissances divines, et de ceux d'entre les hommes qui ont le droit de m'honorer. L'artisan n'a personne qui le soulage plus que moi dans ses peines; le chef de famille n'a pas d'économe plus

fidèle; l'esclave, d'asile plus assuré; les travaux pacifiques, d'encouragement plus efficace; les exploits militaires, de meilleur garant de triomphe; l'amitié, de nœud plus sacré. Ceux qui me chérissent trouvent dans le boire et le manger un plaisir qu'ils n'achètent pas : ils attendent seulement que le besoin leur ait commandé. Le sommeil leur est plus agréable qu'aux riches indolents; mais ils se réveillent sans chagrin, et jamais l'heure du repos n'a pris sur celle du devoir. Jeunes, ils ont le plaisir d'entendre les éloges des vieillards; vieux, ils aiment à recueillir les respects de la jeunesse. C'est avec joie qu'ils se rappellent leurs actions passées ; ils font avec joie ce qui leur reste à faire, et c'est moi qui leur concilie la faveur des dieux, l'affection de leurs amis, les hommages de leurs concitoyens. Quand le terme fatal arrive, l'oubli du tombeau ne les ensevelit pas tout entiers, mais leur mémoire, toujours florissante, vit dans un long avenir. Imite leur grande âme, ô jeune héros! sois digne du sang généreux qui t'a fait naître. Je te promets le bonheur et la gloire (1). »

(1) Mémoires sur Socrate, livre II, ch. 1, extrait traduit par M. J.-V. Leclerc.

XIII.

UNE LEÇON D'ÉCONOMIE SOCIALE

AU THÉATRE COMIQUE.

Le débat de la Richesse et de la Pauvreté.

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