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« Dites, mon frère, le moins nécessaire et souvent même le plus préjudiciable à une bonne confession. - Bon, reprit-il, voilà où je voulois vous amener. » Et en s'adressant à la compagnie: «< Préparez-vous à entendre d'étranges choses, mais fort curieuses, et qui ont été oubliées dans vos formules de confession. » A ce mot, il se lève, et en me regardant de travers: « Je ne puis, me dit-il, tenir davantage contre de telles sottises; je veux qu'on me berne, si votre extravagant de directeur ne vous fait courir les rues avant qu'il soit deux mois. » Et après cette belle décision, il sortit.

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Ma belle-mère demeura, et après m'avoir dit qu'il falloit être un turcou un huguenot pour se confesser sans faire son examen, elle ajouta qu'elle ne partiroit point de là que son fils le docteur, qu'elle rappela, ne m'eût rendu muette comme une carpe.

Je continuai, et je dis qu'il n'y avoit point d'occasions dans toute la vie du chrétien, où il fût plus exposé à agir par propriété et activité que dans celle de l'examen; que ce n'étoit que contentions d'esprit, qu'efforts de mémoire pour se ressouvenir de l'espèce, du nombre et des circonstances de ses péchés. << Dites, ma sœur, une torture, une bourrellerie de conscience. Pourquoi ne parleriez-vous pas comme les calvinistes? Vous avez déjà assez de choses communes avec eux. » Je lui dis qu'il tenoit de Madame sa mère, quand il parloit ainsi.

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Il se radoucit, et me dit agréablement que l'examen étoit une chose aussi facile que nécessaire; qu'on n'étoit obligé de rendre compte au prêtre dans le tribunal de la pénitence que des péchés mortels; que ceux-là, pesant sur la conscience, sautoient aux yeux dès qu'on pensoit seulement à se confesser; et que pour ce qui est des péchés véniels, que les âmes pieuses éprouvoient dans l'habitude de la confession qu'un médiocre soin suffisoit pour en faire la revue et les rappeler presque tous à la mémoire.

Je lui répondis du même ton que pour les péchés grands et petits, le meilleur souvent étoit de les oublier, par deux raisons1 la première, parce que cet oubli étoit une marque

a. « Courir les rues, c'est être fou. » (Dictionnaire de Richelet.) 1. « L'âme oubliera ses défauts et aura peine à s'en souvenir, mais

de la purification de sa faute; la seconde, parce que Dieu, quand il se faut confesser, ne manque point de faire voir à l'âme ses plus grandes fautes, et voulant bien alors le faire lui-même, il n'y auroit rien de mieux pour elle, que bandonner à sa providence.

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<< Si Dieu, ma sœur, s'en veut mêler tout seul, je conçois fort bien qu'une âme éclairée de la lumière divine verra plus clair dans son intérieur que par ses propres lumières. Vous voyez bien, mon frère. Et si, continua-t-il, Dieu vouloit rendre présent à la mémoire d'un pénitent tous les péchés de sa vie passée, avec leur nombre et leurs circonstances, et lui mettre en même temps dans le cœur une contrition parfaite, ce seroit bien de la peine épargnée, et je pas quel besoin il auroit d'effort pour faire son examen, sans lequel assurément je trouverois sa confession fort bonne, et meilleure qu'il n'eût su en faire en toute sa vie. - << N'est-il pas vrai, lui dis-je, que nous ne sommes pas l'un et l'autre si éloignés de sentiments?

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<< Vous le verrez, me dit-il; mais pour vous faire une règle de conduite dans un sacrement le plus nécessaire au salut pour les pécheurs qu'il y ait dans l'Église, il faut con

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il ne faut pas qu'elle s'en fasse aucune peine, pour deux raisons : la première, parce que cet oubli est une marque de la purification de la faute, et que c'est le meilleur, dans ce degré, d'oublier tout ce qui nous concerne, pour ne se souvenir que de Dieu; la seconde raison est que Dieu ne manque point, lorsqu'il se faut confesser, de faire voir à l'âme ses plus grandes fautes; car alors il fait luimême son examen. » (Moyen court, § xv, p. 65*.)

a. Les mots : « pour les pécheurs » ont été omis dans l'ancienne édition. Se conformant à une indication de l'Errata, l'imprimeur de la contrefaçon les a introduits dans le texte.

* Dans l'ancienne édition des Dialogues, ce passage est précédé des mots suivants: «S'exposer devant Dieu, qui ne manquera pas de l'éclairer et de lui faire connoître la nature de ses fautes. >>> C'est la fin d'une phrase du § xv (p. 61), mal à propos placée par l'éditeur en tête de la citation, et qui devait faire par elle-même une citation distincte : « L'examen, dit Mme Guyon en mençant ce chapitre, doit toujours précéder la confession; mais l'examen doit être conforme à l'état des âmes. Celles qui sont ici doivent s'exposer devant Dieu, qui ne manquera pas de les éclairer et de leur faire connoître la nature de leurs fautes. >>

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clure de ce principe-ci que l'oubli des péchés est une marque qu'ils sont pardonnés, parce que Dieu lui-même en fera l'examen, ou que sa parole y soit engagée, ou que vous ayez droit de compter sur cette lumière divine, qui sans que vous vous en mettiez autrement en peine, vous découvrira vousmême à vous-même. Je vous demande donc sur quoi vous établissez ce droit. Qui vous a révélé que vous l'aviez? En quel endroit de l'Evangile Dieu vous a-t-il promis de suppléer à votre négligence les propres soins de sa providence et de sa charité infinie? Nommez-moi vos garants: saint Pierre ? saint Paul? dites, parlez. Si vous me demandez, ma sœur, pourquoi nous faisons notre examen, je ferai ici paroître mon filleul votre fils: il n'a pas huit ans accomplis; vous lui avez appris les commandements de Dieu et de l'Église; il les récitera devant vous, et entre autres articles celui-ci qui dit: Tous tes péchés confesseras, et le reste. Pour confesser ses péchés, il faut s'en souvenir; pour s'en ressouvenir, il faut les avoir sus; pour les savoir, il faut faire une sérieuse recherche des actions de sa vie. Cette recherche est un examen; donc cet examen est nécessaire. Mais pour faire une confession de nos péchés qui les efface entièrement, et qui nous réconcilie avec Dieu, il faut qu'elle soit accompagnée et précédée d'une grande contrition pour sentir cette douleur amère de nos fautes, il faut en avoir connu profondément et le nombre et l'énormité; cette connoissance a dû dépendre d'une exacte revue de ces même fautes: une telle revue est l'examen de la conscience; donc un examen est nécessaire, et préalable à la confession. Nous raisonnons ainsi.

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— « Mais direz-vous, mon frère, qu'un chrétien qui, au sortir de l'oraison de simple regard, où Dieu lui aura fait connoître la grandeur de ses péchés, ira par une motion divine se jeter aux pieds d'un prêtre, s'il en oublie un considérable dans la confession, direz-vous que ce péché ne lui est pas pardonné ?

« Je dirai plus, ma sœur, me répondit-il : c'est que votre chrétien ajoute à son péché, qui ne lui est point pardonné (parce qu'il ne l'a pas confessé), un autre péché très grief, qui est celui d'une paresse criminelle dans un homme dont la conscience, chargée de crimes, ne l'excite point à

examiner l'état de son âme avant que de l'exposer au ministre de Jésus-Christ.

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— « Au contraire, dit-il, je le compte pour beaucoup, pour une illusion grossière, et pour une ignorance très coupable. Gar que voulez-vous que je pense d'un chrétien qui, pour toutes précautions avant une confession qui sera peutêtre suivie d'une communion, se contentant de regarder dans son oraison Dieu présent en tous lieux, présume par là assez de la sainteté de son état pour attendre de Dieu, ou qu'il lui révèle tous les péchés qu'il a commis, ou qu'il lui pardonne ceux qu'il ne lui aura pas révélés? Si ce n'est pas là tenter Dieu, je ne sais plus ni quand ni comment on le peut tenter. Je reviens à mon saint, et je le fais, avec votre permission, solenniser les mystères de Jésus-Christ tous les jours des fêtes qui lui sont consacrées.

« Si cela se passe, lui dis-je, sans action vivante de sa part, sans activité et sans propriété, votre saint est le mien de tout mon cœur ; mais autrement, il n'est pas mon saint, et ne le peut être de personne.

— « Vous parlez bien affirmativement, me dit-il; mais, ma sor, croyez-vous en Jésus-Christ?

<< Voilà une belle question!

- « Et en son Église?

<< Tout de même !

« Et au pouvoir de son Église........

- « Après? lui dis-je.

- « Émané de Jésus-Christ?

- « Je le crois.

<< Vous croyez donc, poursuivit-il, que les fêtes que nous trouvons établies dans l'Église pour célébrer chacun des mystères de la religion, sont bien et religieusement instituées, autorisées même par le Saint-Esprit, qui gouverne l'Église depuis l'Ascension de Jésus-Christ?

— « Je l'ai appris ainsi.

— « Où voit-on, dans les jours qu'on appelle des fêtes solennelles, réciter de certaines leçons, de certains psaumes et de certaines homélies, dire de certaines messes, faire de cer

taines cérémonies, s'appliquer à certaines prières et certaines méditations sur tel et tel mystère ?

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<< Prenez garde, ma sœur, gouvernée par Jésus-Christ, inspirée par le Saint-Esprit. » Et continuant son discours : « Celui donc qui dans ces jours récite un tel psaume, s'applique à une telle messe, médite un tel mystère, ne fait-il pas ce que le Saint-Esprit lui dicte par l'organe de l'Église, qui a ses usages, ses lois, sa tradition? et s'il suit le mouvement du Saint-Esprit, s'il se laisse aller à la pratique de toute l'Église, où il a reçu le baptême, et dont il fait partie, hé! ma sœur, pouvez-vous dire qu'il suit sa propre détermination? qu'il agisse par propriété et par activité? que ce soient là des actions vivantes, des actions d'Adam, des péchés qu'il faille confesser? Quand s'est-on jamais confessé de pareils péchés ? Quelles sortes de pénitences, à votre avis, lui pourroit-on imposer selon l'esprit de cette même Église? des jeûnes? des psaumes? des prières? des méditations sur les mystères? Ses propres péchés pour pénitences, qu'il faudra expier jusqu'à l'infini par pénitences qui sont d'autres péchés: de sorte que cela se perpétuant jusqu'à la fin de sa vie, vous faites mourir mon saint dans l'impénitence finale.

<< Il y a un bon remède à cela, mon frère.

<< Hé! quel peut-il être ?

- << Le simple regard.

<< Le simple regard, ma sœur? Vous me faites souvenir des charlatans qui n'ont jamais manqué d'un remède à tous maux, et qui ne guérit d'aucun en particulier.

« Ah! mon frère, repris-je, si vous saviez, si vous pouviez expérimenter une fois ce que c'est qu'une âme fervente, élevée par la contemplation acquise jusqu'à la vue confuse et indistincte de l'essence de Dieu, si vous compreniez le plaisir de cette âme, dans les renoncements à sa propre action, dans les plongements qu'elle fait dans l'océan de la volonté divine, quelle paix, quel repos, quelles nuits resplendissantes pour cette âme, de ne plus voir en elle qu'un dénuement parfait de toute opération, pour ne plus souffrir

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