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DIALOGUE II.

Vue confuse et indistincte de Dieu comme présent partout, seul objet de l'oraison de simple regard. Elle exclut toute autre connoissance, toute autre pensée, tout autre acte, tout autre objet. Elle bannit la crainte des jugements de Dieu, l'espérance en sa miséricorde, et toutes les autres considérations. Sainte Thérèse opposée à cette doctrine. Stupidité dangereuse où elle conduit.

La pénitente. Je vous suppliai, mon Père, la dernière fois, de me permettre de vous faire souvenir de tout ce que vous aviez encore à m'expliquer sur la propriété et l'activité: sources, comme vous dites, de toute la malice des actions humaines, et que vous regardiez, ce me semble, comme le plus grand obstacle que l'homme pouvoit former au progrès de l'oraison de simple regard, et ensuite à la motion divine qui en est l'effet.

LE DIRECTEUR. Le simple regard', ma fille, est quelque chose de si élevé au-dessus de toute prière, de toute action sainte, et de tout exercice de religion, que je me sens obligé de

I. .... En cette oraison de simple regard, nous pratiquons hautement la vertu sans la pratiquer: nous faisons tout sans rien faire, et nous le* faisons d'une manière si élevée, que cent autres n'en feroient pas tant en vingt années avec leurs actes redoublés et multipliés avec tant de ferveur. Une œillade simple qui nous ramasse de l'épanchement que nous pourrons ** avoir parmi la diversité des créatures, sous le *** obscur de la Foi, qui ne laisse aucune clarté pour nous joindre à Dieu, dit plus, comprend plus, que tout ce que la méditation et l'oraison affective peuvent dire ou comprendre. » (L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, p. 93 et 94.)

rayon

Il y a nous la faisons, dans l'ancienne édition des Dialogues : faute d'impression sans nul doute.

** On a imprimé pouvons dans l'ancienne édition des Dialogues. *** Mur, au lieu de rayon, dans l'ancienne édition. On comprend aisément que l'imprimeur ait lu mur, au lieu de raïon : l'écriture souvent longue et serrée du dix-septième siècle (telle qu'était par exemple celle de la Bruyère) pouvait rendre fréquentes ces sortes de méprises.

vous instruire de tout ce qui peut tout à la fois vous en faciliter l'idée et la pratique: d'autant plus que par certaines formules ou manières de parler qui vous échappèrent la dernière fois en nous séparant, il m'a paru que vous aviez besoin d'être entièrement désabusée de la prière, je dis de toute autre prière, puisqu'elle est suppléée par cette haute et sublime oraison de contemplation acquise, que vous avez eu le bonheur de pratiquer lorsque vous y fûtes attirée.

LA PÉNITENTE. Comment attirée, mon Père, par une motion divine? cela ne pouvoit être, car vous venez de dire qu'elle n'est que l'effet du simple regard. Par ma détermination propre? ce seroit propriété et activité : à Dieu ne plaise ! et ce ne sont point là les voies qui conduisent à une oraison si parfaite.

Je vous avoue qu'il y a là je ne sais quoi d'embarrassant et qui me fait de la peine; car si on a besoin d'une inspiration extraordinaire pour psalmodier, d'une encore pour jeûner, d'une autre pour donner l'aumône, d'une autre pour porter la haire, ou se donner la discipline, combien à plus forte raison paroît-elle nécessaire pour la plus excellente action qu'il y ait dans le christianisme? Il semble néanmoins qu'il faille s'en passer, puisque cette motion extraordinaire devant être précédée, dites-vous, du simple regard, elle n'en peut être ni la préparation ni la cause1.

LE DIRECTEUR. Cela est vrai en quelque façon, et je suis ravi de vous voir déjà instruite de toutes ces choses.

1. << Vous croirez peut-être que vous ne sortez de la prière aussi stérile que vous y étiez entrée, que par manque de préparation.... Persévérer..., en la présence du Seigneur..., est l'unique préparation, et la seule disposition nécessaire pour ce temps-là. » (Molinos, Guide spirituelle, livre I, chapitre x1, no 70, p. 46 et 47.) << Malaval ne permet cet acte (par lequel on se met en présence de Dieu au commencement de l'oraison) que trois ou quatre jours au plus, parce qu'une âme qui est entrée dans le simple regard, comprend bientôt qu'il y a un langage muet, par lequel nous nous faisons entendre à Dieu beaucoup mieux que par les paroles sensibles et même par les actes intérieurs réfléchis, et elle auroit honte de chercher le secours de quelque chose de sensible contre l'attrait qu'elle sent. » (L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, p. 40.)

LA PÉNITENTE. Vous êtes mon maître et mon apôtre, et j'attends ce que vous direz avec une humble soumission.

LE DIRECTEUR. Ceci, ma fille, est une matière délicate, qui pour être bien sue à fond demande des connoissances qui vous manquent : profitons du temps que j'ai à vous donner, et parlons seulement de votre conduite dans l'oraison de simple regard, de quelque manière que vous y ayez été attirée. LA PÉNITENTE. J'en suis contente.

LE DIRECTEUR. En étiez-vous encore, ma fille, sur la lecture de votre Nouveau Testament de Mons, ou de quelque autre livre spirituel1? Vous prépariez-vous enfin à la grande oraison par la méditation de quelque mystère de Jésus-Christ, ou de quelque précepte de la loi de Dieu? Vous occupiezvous de la haine du péché, de l'amour pour la vertu? Songiez-vous à la mort, au jugement de Dieu ? Le craigniez-vous Espériez-vous en lui?

La pénitente. Rien de tout cela, mon Père.

LE DIRECTEUR. Fort bien.

La pénitente. Il faudroit que j'eusse la tête bien dure pour n'avoir pas compris par tous vos discours qu'on ne peut se défaire trop tôt de toutes ces choses, quand on tend à la perfection.

1. << Il est sûr que la fréquente lecture des livres mystiques, qui.... ne donnent point de lumière pour la conduite de la vie, fait plutôt du mal que du bien ; qu'elle brouille l'esprit au lieu de l'éclairer. » (Molinos, Guide spirituelle, livre II, chapitre 11, no 9, p. 80.)

«< ....

Cet acte consiste à envisager Dieu seul en lui-même, ce* qui comprend tout.... On n'a pas besoin de lectures, ni de méditations ; mais il suffit de se reposer doucement en Dieu avec ce regard d'une foi vive. » (Malaval, Pratique facile, partie I, p. 50.)

« Les livres mêmes et les bonnes lectures en cet état (d'oraison de simple regard) sont nuisibles, dit un grand spirituel **. Cela appuie et maintient la manière ordinaire d'opérer, et fortifie l'ancienne habitude. » (L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, p. 187.).

*Il faut sans doute supprimer ce, et lire plus bas : « avec le regard.» Voyez ci-après p. 601, note*, le texte exact.

** Dans les Conférences mystiques, on lit en marge de ce passage: « Chrétien intérieur, livre VII, chapitre XIX. » Cet ouvrage, l'un de ceux que la Bruyère place dans la chambre d'Onuphre (voyez ci-dessus, p. 155 et 372), est de Jean de Bernières Louvigny.

LE DIRECTEUR. Oh merveilles! Vous vous jetâtes donc d'abord sur votre fauteuil, ou sur votre prié-Dieu "?

La pénitente. Le fauteuil m'est plus commode.

LE DIRECTEUR. Et là sans autre préparation, vous envisageâtes, vous regardâtes Dieu présent partout', c'est-à-dire, qu'il est sur la terre, dans les eaux, dans les éléments, dans les métaux, dans les pierres, dans tous les corps, dans les âmes, dans l'homme, dans le cheval, dans le reptile ?

LA PÉNITENTE. Je ne fis pas même cette longue énumération je songeai senlement qu'il est présent partout.

LE DIRECTEUR. Encore mieux; et cela dans une vue confuse et indistincte de Dieu, par un pur acte, un simple acte, je dirois volontiers par une indifférence à tout acte?

LA PÉNITENTE. Quoi ? à celui même qui nous fait regarder la simple présence de Dieu 3 ?

LE DIRECTEUR. Oui, ma fille, s'il étoit possible; car le malheur

a. Voyez ci-dessus, p. 9 et note 1.

1. « L'oraison de quiétude consiste à se mettre en la présence de Dieu par un acte de foi, qui nous fait concevoir Dieu présent à nousmêmes; après quoi il faut bannir toutes sortes de pensées, d'affections, de prières, et attendre tout le reste de Dieu. » (Malaval, Pratique facile *.)

2. « .... L'entendement ne connoît pas Dieu par des idées, des réflexions, et des raisonnements;... mais par une foi obscure, générale et confuse. » (Molinos, Introduction à la Guide spirituelle, section 1, no 7, p. 4.)

« Une âme fidèle se donne bien de garde de rien ajouter à la simple vue de Dieu, si elle n'y est obligée par quelque pressante nécessité.... Car tout ce qu'on y ajoute fait connoître l'amour propre, qui, ne se contentant pas de Dieu, se veut appuyer sur les choses de Dieu.» (Malaval, Pratique facile **.)

3. « Quand une âme considère que Dieu est présent en elle, c'est une bonne chose, quoique ce soit l'imaginer d'une manière limitée, et

* Nous ne trouvons pas ces mots mêmes, mais souvent cette pensée, dans la Pratique facile : voyez p. 4, 16, 50, 56, 58, 61, etc. de la Ire partie.

** Cette citation ne nous paraît pas non plus textuelle. Mais on trouve la première pensée un peu partout dans la Pratique facile. voyez p. 26, 32 de la Ire partie, etc. La seconde pensée est familière aussi aux auteurs quiétistes, mais nous la croyons tirée d'un autre ouvrage que la Pratique facile.

des hommes est de se multiplier dans les actes, de chercher dans l'oraison un acte par d'autres actes, au lieu de s'attacher par un acte simple à Dieu seul. Je m'explique: il y a des chrétiens qui dans l'oraison ne croient jamais assez haïr le péché; qui se persuadent ne pouvoir jamais assez aimer Dieu.... La pénitente. Ils ont grand tort, car il est si bon et si aisé à contenter.

Le directeur..... Qui s'excitent à des mouvements de foi et d'espérance; qui se sentent touchés de l'amour du prochain dans la vue de Dieu, tous actes intérieurs multipliés, non seulement inutiles à l'oraison de simple regard, mais qui lui sont très pernicieux, puisqu'ils en altèrent la simplicité et la pureté. Elle est appelée par nos maîtres l'oraison de silence, l'oraison de simple présence de Dieu, l'oraison de repos2. Ju

non plus le croire assez simplement*. » (Falconi, Lettre à une fille spirituelle, p. 150.)

1. « Dieu purifie.... l'âme de toutes opérations propres et distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très grande,... relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et l'ennoblissant.... » (Moyen court, § XXIV, p. 131.)

<< Rien n'est plus opposé à l'oraison parfaite que l'attache à son propre esprit et afin que l'âme soit admise à l'union divine, elle doit réduire toutes les fins en une, toutes les vues en une, et exclure toute sorte de multiplicité. » (La Combe, Analyse de l'oraison mentale**.) 2. «Oraison de foi, oraison de repos, recueillement intérieur et contemplation. » (Molinos, Introduction à la Guide spirituelle, section II, no 11, p. 6.)

<< Oraison de simplicité ou d'unité, oraison de pure foi, oraison de silence, oraison de recueillement, oraison de présence de Dieu, oraison de repos, d'oisiveté, de paix, de dormir.» (La Combe, Analyse de l'oraison mentale ***.)

* On avait abrégé et dénaturé ce passage qui était devenu inintelligible. Nous avons, d'après le sens, substitué imaginer à imagination, et non plus à n'est plus.

**Hinc apertum relinquitur maxime obesse orationi, præsertim provectæ, duriorem proprii spiritus tenacitatem.... Hæc causa est propter quam, ut animus noster in divinam unionem admittatur, sensim omnes suos fines, in unicum finem,... et omnes suos intuitus in unicum intuitum, ac tandem multiplicitatem omnem.... ad unum necessarium reducere debeat ac colligere. (Pages 45-47.)

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Dicitur namque primo oratio simplicitatis seu unitatis.... Tum vo

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