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Le devoir de l'abbé du Pin, au défaut de l'ami qu'il met en cause sans nous dire clairement ce qu'il avait à faire, était de les collationner lui-même avant de les publier; mais le contrôle de passages dépourvus le plus souvent de renvois aux pages ou aux chapitres, quelquefois même au livre, était, nous en avons fait l'expérience, un long et pénible labeur, pour lequel il eût fallu un éditeur moins affairé que ne l'était l'abbé du Pin. Le Gendre et Saint-Simon, et avec eux tous les critiques, nous disent quelle hâte il apportait à ses travaux : il ne se départit point de ses habitudes dans la préparation de l'édition des Dialogues.

Notons cependant qu'il ne se désintéressa pas de l'ouvrage, une fois l'impression achevée, puisqu'il y introduisit huit cartons.

En payant 1 200 livres le manuscrit de la Bruyère, le libraire avait peut-être espéré que les Dialogues sur le quiétisme auraient plusieurs éditions, se souvenant du nombre de celles des Caractères et de la fortune qu'elles avaient value à Michallet; mais les Dialogues ne furent réimprimés qu'une fois de son vivant et ce fut par un contrefacteur. C'est en 1818 qu'il en fut fait une troisième édition, J.-B. Depping les ayant compris dans son édition des œuvres de la Bruyère. Réimprimés par nous en 1865, en 1912 et dans la présente édition, les Dialogues ont été reproduits également en 1872 dans l'édition Plon, en 1876 dans l'édition Chassang, et enfin dans les Textes de la Bruyère choisis et commentés par Emile Magne. Si les Dialogues sont plus tard l'objet d'une nouvelle publication, souhaitons que ce soit après la rencontre de l'une des copies qui ont été prises en 1698 du manuscrit de l'auteur.

Nous donnons ci après le texte de l'édition publiée par du Pin à la date de 1699, la seule que nous ayons eu à consulter. Les variantes qu'ont fait disparaître les cartons ont été relevées dans nos annotations 1.

Quant aux citations disposées au-dessous du texte, nous ajoutons à

1. Les exemplaires de cette édition présentent trois états, si nous ne tenons pas compte d'un état primitif dont nous n'avons vu aucun exemplaire, celui qui a pu être formé de toutes les bonnes feuilles sans mélange d'aucun carton du premier état sont les exemplaires qui ne portent d'autres cartons que ceux qui ont été introduits dans le IXe dialogue, lequel est de l'abbé du Pin; du second les exemplaires qui ont reçu tous les cartons à l'exception de ceux qui ont été tirés les premiers et insérés dans le IX dialogue (il y a eu là une distraction du relieur); du troisième état sont les exemplaires qui portent les huit cartons. Dans la seconde édition des Dialogues on plutôt dans la contrefaçon qui en fut publiée dès 1699, les fautes qu'indique l'Errata de la première édition sont corrigées. On n'y a tenu compte que des carions du IX. dialogue; c'est donc un exemplaire du premier état que l'on a reproduit.

presque toutes des renvois aux chapitres et aux pages des ouvrages: quiétistes, renvois assez rares dans l'édition originale. Les extraits, peu nombreux d'ailleurs, qui ne sont pas accompagnés de renvois aux pages ou aux chapitres ont échappé à nos recherches. Le texte des citations, comme nous l'avons dit, est souvent altéré: afin que le lecteur puisse distinguer ce qui est un extrait textuel et ce qui est une libre reproduction, nous imprimons en italique les phrases et les expressions qui ne sont pas conformes au texte de l'auteur indiqué; de plus nous insérons entre crochets les mots qu'il nous a paru utile d'introduire dans les citations, d'après l'ouvrage d'où elles viennent, pour en compléter le sens. Des membres de phrase ont été passés sans que le lecteur en soit averti par aucun signe : des extraits tirés de passages divers ont été très souvent rapprochés dans une même citation, sans qu'on les ait séparés par des points: nous avons comblé de notre mieux toutes les omissions. Enfin nous devons avertir que toutes les notes qui, appartenant à l'édition originale, ont été simplement collationnées et complétées par nous, sont précédées dans la nôtre de chiffres arabes, et que toutes celles que nous avons ajoutées sont marquées par des lettres italiques ou par des astérisques : les lettres italiques sont affectées aux notes qui portent sur le texte ; les astérisques à celles qui se rattachent aux notes de l'édition originale.

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AVIS AU LECTEUR.

On a lieu d'espérer que cet ouvrage ne sera pas désagréable au public. On ne prétend point le prévenir en sa faveur, et on lui laisse une entière liberté d'en juger. On le soumet même volontiers à sa critique. Il est bon néanmoins qu'il sache que ce sont les derniers efforts des veilles d'un illustre académicien, qui s'est acquis une réputation immortelle par ses fameux Caractères, et dont tout le monde a regretté la mort précipitée. Il avoit fait, avant que de mourir, sept dialogues sur le quiétisme, qu'il avoit confiés à un ami particulier pour confronter les passages des livres des quiétistes. Quoiqu'il n'y eût pas mis* la dernière main, ils se sont trouvés au jugement des connoisseurs en état d'être imprimés. C'est ce qui a déterminé à les donner au public. Mais comme l'ouvrage n'étoit pas encore achevé, on a cru y devoir ajouter deux dialogues pour remplir le dessein de l'auteur, conformément au plan qu'il en avoit fait; on a taché d'imiter son style et ses manières. Cependant on ne se flatte point de l'avoir fait parfaitement, qu'il n'y ait bien de la différence entre les sept premiers dialogues et les deux derniers. Il seroit assez inutile que le nom de l'auteur de ceux-ci fût connu, puisqu'il n'a fait qu'achever l'ouvrage du sieur de la Bruyère, à qui tout l'honneur en appartient. Voilà le détail de la fortune de cet ouvrage, dont on a cru qu'il étoit à propos d'informer le public.

PRÉFACE**

Il y a eu de tout temps des erreurs, et c'est, selon saint Paul, une espèce de nécessité qu'il y en ait ***. Plusieurs ont mérité d'être réfutées sérieusement, parce qu'elles paroissoient plus importantes; et d'autres n'ont point été relevées, parce qu'elles sont tombées dans le mépris dès leur naissance. L'erreur des quiétistes étoit de nature à avoir ce dernier sort, si ses partisans n'avoient fait goûter poison de cette doctrine, en la rendant spécieuse sous l'apparence d'une sublime perfection et d'une profonde piété. En effet, quoique cette doctrine n'ait que des principes frivoles, elle a frappé tant d'esprits par sa nouveauté, qu'il a fallu nécessairement y remédier, en la détruisant par des raisons également solides et sérieuses. Plusieurs prélats, par leurs savantes et chrétiennes ordonnances ont heureusement découvert la plaie que ces nouveautés pouvoient faire à l'Église, et les suites fàcheuses qui en seroient arri

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* Var. (1er état): Il avoit fait, avant que de mourir, sept dialogues sur le quiétisme, et quoiqu'il n'y eût pas mis la derniére main. Voyez ci-dessus, p. 540. **Cette préface est de l'éditeur, c'est-à-dire de l'abbé du Pin. ***Ire épître aux Corinthiens, chapitre x1, verset 19.

Voyez ci-dessus la Notice, p. 530.

vées. Mais pendant que ces prélats, animés d'un saint zèle, et revêtus de l'autorité que leur donne leur caractère, s'efforcent de détruire un monstre si dangereux, en combattant ses erreurs par les principes de l'Écriture sainte et de la tradition, l'auteur de ces Dialogues a cru qu'il étoit à propos de les tourner en ridicule, en les exposant au public d'une manière agréable et naturelle. Pour y réussir, il n'a eu qu'à faire parler les quiétistes comme ils parlent dans leurs écrits, et à découvrir l'extravagance de leurs discours par des réflexions aussi solides que divertissantes. C'est ce qu'il a heureusement exécuté, en introduisant d'abord un directeur quiétiste, bien instruit de la doctrine de ses auteurs, qui en entretient sa pénitente: elle croit aveuglément tout ce qu'il lui enseigne; pleine de ces maximes, elle en confère avec un docteur de Sorbonne, son beau-frère. Le docteur, justement indigné contre des impiétés cachées sous de captieux principes, reproche à sa sœur sa foiblesse et son dévouement aux rêveries de ce pernicieux maître. Elle s'offense des raisons de son beau-frère, et court en diligence chez son directeur, lui rend compte de sa conversation, et le fait consentir à une entrevue dans laquelle le docteur n'a pas de peine à convaincre ce directeur de la fausseté de ses principes et de ses maximes. Pour achever de le confondre, on propose une autre conférence avec un homme du monde, qui ayant été autrefois dans les mêmes erreurs, dont il étoit revenu, en tire exprès des conséquences pour autoriser une vie toute mondaine, et les faire servir d'excuse à toute sorte de déréglements. La pénitente, voyant son directeur confus et embarrassé, et comme contraint d'avouer les suites pernicieuses de cette infàme doctrine, la déteste, et prend le parti de rentrer pour jamais dans les sentiments d'une véritable catholique.

Voilà le sujet des neuf dialogues dont cet ouvrage est composé. L'auteur s'est principalement appliqué à rapporter avec sincérité les maximes des quiétistes dans leurs propres termes. Quelqu'un pourra peut-être l'accuser d'être plagiaire de leurs ouvrages; mais s'ils lui en savent mauvais gré, ce ne sera pas pour avoir dérobé leurs maximes, afin de s'en faire honneur: ce sera pour les avoir exposées trop naïvement à la vue du public. Il pourroit aussi venir dans l'esprit de quelques personnes de piété, qu'il est à craindre que les maximes erronées que l'on fait débiter au directeur quiétiste ne soient capables de scandaliser les foibles et de corrompre la foi; mais on peut les assurer que si les erreurs des quiétistes ne font d'autre impression sur les esprits que celle qu'elles feront dans cet ouvrage, elles ne corrompront personne. Elles y sont représentées d'une manière qui les rend dignes d'horreur ou de mépris. On leur oppose les principes les plus purs de la morale de l'Évangile, dont la lumière fait paroître toute la difformité des erreurs contraires. Enfin l'auteur a eu soin de prendre toutes les précautions nécessaires pour ne pas donner atteinte à la piété chrétienne, à la vie intérieure, et aux maximes raisonnables des vrais mystiques; s'il plaisante en quelques endroits, c'est que la matière le demande; s'il raille un peu vivement le directeur, ce qu'il en dit ne convient qu'à un quiétiste qui abuse de son ministère, et ne peut en aucune manière être appliqué à ceux dont la foi, la vertu et la piété

sont connues.

OUVRAGES DES AUTEURS QUIÉTISTES

D'OU SONT TIRÉES LES PReuves de ce qui est avaNCÉ
DANS CES DIALOGUES.

La Guide spirituelle de Molinos, prêtre espagnol, en italien, à Rome, en 1 685; en latin, à Leipsich, en 1685; en françois, à Amsterdam, en 1688 a. Lettres du même.

Lettre de Jean Falconi, de l'ordre de la Merci, à une fille spirituelle c. Moyen court de Mme Guyon, à Lyon, en 1686 d.

Explication du Cantique des cantiques, de la même, à Lyon, en 1688e.

a. C'est de cette dernière édition que sont tirées les citations que l'on trouvera au bas des pages. Le livre a pour titre : Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme et les quiétistes, ou Molinos, ses sentimens et ses disciples, Amsterdam, chez A. Wolfgang et chez P. Savouret, 1688. Ce livre a été condamné par l'Inquisition le 19 mars 1692, et par la conférence d'Issy, dans l'une des trente-quatre propositions signées à Issy le 10 mars 1695 par Bossuet, l'évêque de Châlons (Louis-Antoine de Noailles), futur archevêque de Paris), M. Tronson, directeur de Saint-Sulpice, et Fénelon. Ces propositions ont été publiées, au mois d'avril 1695, par Bossuet et par l'évêque de Châlons en deux ordonnances pastorales distinctes. Auparavant soixante-huit propositions, représentant les doctrines de Molinos, avaient été condamnées par un décret de l'Inquisition du 28 août 1687, confirmé par une bulle d'Innocent XII, du 20 novembre 1687.- La Guide spirituelle de Molinos se compose de deux parties: Introduction à la Guide spirituelle ou système abrégé de la Guide, et la Guide spirituelle.

b. Voyez ci après, p. 700, note c.

Cette

c. Lettre d'un serviteur de Dieu à une de ses filles spirituelles. lettre de quelques pages, publiée en espagnol l'an 1657, réimprimée à Rome en italien, et à Paris en français, a été jointe au Moyen court de Mme Guyon dans toutes les éditions de cet opuscule, ainsi que dans les éditions des Opuscules spirituels de Mme Guyon. Elle a été condamnée par l'Inquisition, une première fois le 1er avril 1688, en même temps que l'Alphabet pour savoir lire en Jésus-Christ, du même religieux, et une seconde fois le 30 novembre 1689. Les renvois dont nous accompagnons les citations de la Lettre de Falconi s'appliquent à l'édition du Moyen court qui est citée dans la note sui

vante.

d. Moyen court et très facile de faire oraison, que tous peuvent pratiquer très aisément, et arriver par là dans peu de temps à une haute perfection. La première édition a été publiée à Grenoble en 1685. Ce livre a été condamné le 30 novembre 1689 par l'Inquisition, le 16 octobre 1694 par l'archevêque de Paris, le 10 mars 1695 par la conférence d'Issy, et le 21 novembre 1695 par l'évêque de Chartres. — Nos renvois sont faits sur l'édition de Lyon, 1686. e. Le Cantique des cantiques de Salomon, interprété selon le sens mystique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, 1688; à Paris, chez Coustelier. Livre condamné par l'archevêque de Paris le 16 octobre 1694, et par la conférence d'Issy le 10 mars 1695. Dans les Dialogues, cet ouvrage est désigné sous ce titre : Explication du Cantique des cantiques.

LA BRUYÈRE. III.

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