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fait à mon ouvrage des Caractères. M. l'abbé Reynier1, à qui je dois l'avantage d'être connu de vous, a bien voulu se charger de vous dire la raison qui m'a empêché de vous faire plus tôt cette réponse; il vous aura dit aussi combien j'ai été sensible aux termes civils et obligeants dont vous avez accompagné vos observations, comme au plaisir de connoître que j'ai su par mon livre me concilier l'estime d'une personne de votre réputation. Je tâcherai de plus en plus de m'en rendre digne et de la conserver chèrement, et j'attends avec impatience l'occasion de mon retour à Paris, pour aller chez vous, Monsieur, vous continuer mes très humbles respects.

Vendredi au soir, Versailles.

DELABRUYÈRE.

XIX

LA BRUYÈRE A BUSSY 2.

A Paris, ce 9 décembre 1691.

Si vous ne vous cachiez pas de vos bienfaits, Monsieur, vous auriez eu plus tôt mon remerciement. Je vous le dis sans compliment, la manière dont vous venez de m'obliger m'engage toute ma vie à la plus vive reconnoissance dont je puisse être capable. Vous aurez bien de la peine à me fermer la bouche : je ne puis me taire sur cette circonstance qui me dédommage de n'avoir pas été

1. Regnier des Marais. Voyez ci-dessus, p. 460, note 2.

2. Cette lettre et la suivante ont été publiées dans la Correspondance de Bussy Rabutin, édition Lalanne, tome VI, p. 515 et 516, d'après les éditions antérieures des Lettres de Bussy.

reçu dans un corps à qui vous faites tant d'honneur1. Les Altesses à qui je suis seront informées de tout ce que vous avez fait pour moi, Monsieur. Les sept voix qui ont été pour moi, je ne les ai pas mendiées, elles sont gratuites; mais il y a quelque chose à la vôtre qui me flatte plus sensiblement que les autres. Je vous envoie, Monsieur, un de mes livres des Caractères, fort augmenté, et je suis avec toutes sortes de respects et de gratitude, etc.

XX

BUSSY A LA BRUYÈRE.

A Chaseu, ce 16 décembre 1691.

QUAND je vous ai voulu faire plaisir sans me faire de fête, Monsieur, ce n'est pas que j'eusse honte de vous servir, mais c'est qu'il m'a paru qu'un service annoncé avant qu'il soit rendu a perdu son mérite. Les voix que vous avez eues n'ont regardé que vous vous avez un mérite qui pourroit se passer de la protection des Altesses, et la protection de ces Altesses pourroit bien, à mon avis, faire recevoir l'homme du monde le moins recommandable. Jugez combien vous auriez paru avec elles et avec

1. Bussy avait donné sa voix à la Bruyère lorsqu'il s'était présenté à l'Académie, en novembre 1691, comme candidat à la place que la mort de Bensserade laissait vacante. L'élection avait eu lieu le 22, et Pavillon avait été nommé. Sa réception se fit le 17 décembre.

2. La 6e édition sans doute, dont l'Achevé d'imprimer est du 1er juin 1691. Il ne serait pas impossible toutefois que ce fût la 7o, qui n'a point d'Achevé d'imprimer et est simplement datée de 1692 : les livres publiés à la fin d'une année portent souvent, au dix-septième siècle comme aujourd'hui, la date de l'année suivante.

vous-même, si vous les aviez employées. Pour moi, je vous trouve digne de l'estime de tout le monde, et c'est aussi sur ce pied-là que je suis votre ami sincère et votre, etc.

XXI

LA BRUYÈRE A SANTEUIL1.

Ce jeudi matin, à Paris.

VOULEZ-VOUS que je vous dise la vérité, mon cher Monsieur? Je vous ai fort bien défini la première fois vous avez le plus beau génie du monde et la plus

1. Cette lettre a été publiée, en 1708, à la Haye, dans le Santeüilliana (2o partie, p. 40 et 41), et reproduite dans les Lettres choisies de Messieurs de l'Académie françoise sur toutes sortes de sujets, avec la traduction des fables de Faerne par M. Perrault de l'Académie françoise (Paris, J. B. Coignard, édition de 1708, p. 171; édition de 1725, p. 214); dans les Nouvelles lettres familières et autres sur toutes sortes de sujets, etc., par René Milleran (édition de Bruxelles, 1709, p. 190 et 191); dans la Vie et les bons mots de M. Santeuil, etc. (Cologne, 1722, tome II, p. 44); dans le Santoliana publié par Dinouart en 1764 (p. 255), etc. Après avoir comparé le Santeüilliana de 1708 et les Lettres choisies, achevées d'imprimer le 31 janvier 1708, il nous a paru certain que la publication du Santeüilliana est antérieure à celle des Lettres, et que l'éditeur de ces dernières a extrait du Santeüilliana une partie des lettres adressées à Santeul. C'est d'après le Santoliana que MM. Walckenaer et Destailleur ont reproduit la lettre de la Bruyère : le premier, en ajoutant aux fautes du texte, altéré en plusieurs endroits; le second, en intercalant quelques mots pour le rendre intelligible. M. Éd. Fournier en a donné dans sa Comédie de J. de la Bruyère, p. 239 et 240, un texte rectifié d'après le Santcüilliana de 1708 et les Lettrés choisies (édition de 1725). Nous publions, sauf indication contraire, le texte du Santeüilliana, c'est-à-dire celui que nous jugeons le plus ancien.

2. Cette phrase fait-elle allusion au caractāre de Théodas

* Voyez ci-dessus, p. 101-103, et p. 345-347.

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LA BRUYÈRE. III.

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fertile imagination qu'il soit possible1 de concevoir; mais pour les mœurs et les manières, vous êtes un enfant de douze ans et demi. A quoi pensez-vous de fonder sur une méprise ou un oubli, ou peut-être encore sur un malentendu, des soupçons injustes, et qui ne convenoient point aux personnes de qui vous les avez? Comptez3 que Monsieur le Prince et Madame la Princesse sont très contents de vous, qu'ils sont très incapables d'écouter les moindres rapports; qu'on ne leur en a point fait, qu'on n'a point dû leur en faire sur votre sujet, puisque vous n'en avez point fourni de prétexte; que la

blié dans la 6o édition ? On l'a dit, et cette interprétation assignerait à la lettre une date postérieure à celle de la 6o édition, dont l'Achevé d'imprimer est du 1er juin 1691. Mais en rappelant la définition qu'il a faite « la première fois », la Bruyère ne semble-t-il pas se reporter à quelque conversation, ou plutôt à quelque lettre antérieure ? Et le caractère de Théodas ne serait-il pas le développement de cette première définition de Santeul donnée à Santeul lui-même ? S'il en était ainsi, la lettre que nous commentons serait antérieure à la publication de la 6o édition. Quoi qu'il en soit, elle a été écrite après la mort du grand Condé, alors que son fils prenait le titre de Monsieur le Prince, et que sa femme était appelée Madame la Princesse.

1. On lit dans toutes les anciennes impressions: «< qui soit possible de concevoir »> ; il est vraisemblable que la Bruyère a écrit ainsi.

2. Tel est le texte des deux ana. Les autres éditions anciennes répètent sur après ou.

3. Dans le Santeüilliana, et dans toutes les réimpressions de la lettre, cet endroit est inintelligible. On lit dans les diverses éditions du Santeüilliana, dans le Santoliana, dans l'édition de 1708 des Lettres choisies et dans la Vie, etc. de M. Santeuil : « aux personnes de qui vous les avez contés (ou contez), que Monsieur le Prince, etc.; » dans les recueils de Coignard et de Milleran: «< aux personnes de qui vous les avez contées. Que Monsieur le Prince, etc. >> C'est à Édouard Fournier qu'est due la rectification que nous adoptons.

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4. Dans les deux ana : << qui sont très incapables. » L'éditeur du recueil de Coignard (1708) et Milleran ont imprimé : « qu'ils sont, etc. >>

5. Dans le Santeüilliana, dans la Vie, etc. de M. Santeuil, dans le recueil de Coignard et dans celui de Milleran : «< qu'on a point. >>

première chose qu'ils auroient faite1 auroit été de condamner les rapporteurs voilà leur conduite; que tout le monde est fort content de vous, vous loue, vous estime, vous admire et vous reconnoîtrez que je vous dis vrai. La circonstance du pâté3 est foible contre les assurances que vous donne avec plaisir et avec une estime infinie,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,
De la BruyèRE”.

1. Le participe est au pluriel masculin dans toutes les anciennes impressions de la lettre (le Santoliana excepté) : « qu'ils auroient faits. » Dinouart a imprimé : « qu'ils auroient faite. »

2. La phrase est ainsi coupée dans les recueils de Coignard et de Milleran : « voilà leur conduite. Tout le monde, etc. >>

3. « La circonstance du pâté, » telle est la leçon du Santeüilliana et du Santoliana. L'éditeur des Lettres publiées en 1708 par Coignard y a sans doute vu, comme en 1866 Édouard Fournier, «< une bizarre faute d'impression; » aussi a-t-il corrigé pâté en passé. Milleran, qui donne la lettre d'après le recueil de Coignard, reproduit cette correction. Nous conservons la leçon du Santeüilliana, qui est la première. L'histoire du pâté au sujet duquel il y eut « méprise, oubli ou malentendu,» nous ne la connaissons pas, mais ce «< pâté » n'a rien qui nous surprenne dans les relations de Monsieur le Prince avec Santeul, l'un des convives les plus habituels de Chantilly. Il se peut fort bien qu'un pâté, promis à Santeul, ait été vainement attendu par lui à l'abbaye de Saint-Victor, et que cette vaine attente ait mis le poëte en colère il s'est parfois fàché pour de moindres griefs.

4. Dans le Santoliana: << que je vous donne ; » et plus loin :: « avec une estime possible. »

5. Cette lettre a toute les apparences de l'authenticité, et elle est bien conforme aux relations qui existaient entre Santeul et la Bruyère,, ainsi qu'on peut le voir dans la Notice biographique.

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