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et même que l'on puisse faire. Il y eut de très beaux traits, fort hardis, et le sublime y régna en bien des endroits; elle fut prononcée en maître et avec beaucoup de dignité1. Elle sera imprimée : c'est Monsieur le Duc et Madame la Duchesse qui l'ont souhaité. J'ai marqué à Monsieur de Meaux l'endroit de votre lettre où vous vous y intéressez3. J'ai mené un vrai deuil d'avoir échappé au plaisir d'entendre une si belle pièce, faite d'ailleurs sur un sujet où j'entre si fort par devoir et par inclination. Les Révérends Pères sont très satisfaits de cette action de Monsieur de Meaux, et personne ici et ailleurs ne m'en a parlé avec plus d'éloge qu'ils ont fait je le lui ai dit comme cela, et il a été fort aise de leur approbation.

Je suis,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

:

le très humble, très fidèle et très obéissant serviteur,

DELABRUYÈRE.

Ce samedi 18. août [1685], à Versailles.

Au dos, d'une autre main: M. de la Bruyère, 18 août 1685.

1. Gourville, de son côté, écrit à Condé, le 10 août 1685: «< Monsieur de Meaux fit hier une fort belle oraison funèbre, et tout ce qu'il dit de lui me parut extrêmement beau et touchant; mais les mémoires qu'on lui avoit donnés ne m'édifièrent pas tant : peut-être est-ce ma faute. » (Archives du Musée Condé.)

2, Elle a été imprimée en effet chez Mabre-Cramoisy en 1693. 3. Ce dernier mot a été écrit à la place d'un autre, que la Bruyère a gratté.

4. Les Révérends Pères jésuites du Rosel et Alleaume, chargés avec la Bruyère de l'éducation du duc de Bourbon. Ici la Bruyère écrit : «<les R. P. »; plus loin (lettre x, p. 496) il écrira : « les RR. Pères. »

VIII

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Ce 2 octobre [1685]. à Fontainebleau.

Hier lundi, le matin et le soir, je fis étudier Monsieur le duc de Bourbon; j'ai fait la même chose aujourd'hui. Ainsi depuis dimanche au soir j'ai eu avec Son Altesse quatre longs entretiens sur l'histoire de Louis XII, qui s'achemine par là vers sa fin. Elle m'envoie querir dès qu'elle a le moindre intervalle qu'elle peut donner à ses études, et me tient fidèlement la parole que j'ai eue1 d'elle à Chambord, qu'elle remplaceroit ici le temps perdu à la chasse et aux divertissements, en m'accordant toutes les heures qu'elle auroit de libres à Fontainebleau2. Je

1. Il y a : « que j'ai eu d'elle, » sans accord, dans l'autographe. 2. La cour avait passé vingt jours du mois de septembre à Chambord, du 7 au 27. La Bruyère y suivit son élève; mais la plupart des journées étaient données à la chasse, et les leçons étaient rares. Aussi Condé, qui, le 13 septembre, avait écrit de Chantilly à son fils pour le féliciter d'avoir réglé les études de son petit-fils et lui dire son contentement de l'application de ce dernier, écrivait-il, trois jours plus tard, à Monsieur le Duc : « Je ne puis m'empêcher de vous témoigner qu'il me revient de tous les côtés que votre fils va tous les jours à la chasse. J'appréhende que ce violent exercice, et particulièrement la chasse du loup, qui est la plus violente du monde, ne le fasse malade. Prenez-y garde, cela l'empêche d'étudier. Il deviendra un fort bon veneur, mais ignorant dans tout ce qu'il faut qu'il sache. C'est à vous à y remédier et à songer à sa vie, à sa santé et à sa bonne éducation. Je vous prie de n'attendre pas à y remédier quand il ne sera plus temps. » Puis le 23 septembre: « J'ai reçu votre lettre du 20. septembre.... Je vois bien que ce qu'on vous mande sur votre fils ne vous plaît pas. Je me dispenserai à l'avenir de vous en rien mander, jusqu'à ce que vous le trouviez bon. Vous me mandez qu'il n'a été

:

dois donc assurer Votre Altesse Sérénissime que tout commence fort bien ici, et qu'il y a même lieu d'espérer que la fin répondra au commencement. Nous en sommes présentement à la révolte des Génois, à leur punition et à l'entrée du roi Louis XII dans leur ville cela me donne l'occasion d'entretenir Monsieur le duc de Bourbon de la république de Gênes, de lui en faire l'histoire dès son premier établissement jusques à ses dernières soumissions à Versailles, dont nous avons été les témoins1. Si ces sortes de digressions ne déplaisent point à Votre Altesse, je continuerai de faire ainsi de chaque État, royaume ou

qu'une fois à la chasse du loup. On m'avoit mandé qu'il y a été deux fois, et au cerf et au sanglier quatre jours de suite. Je n'ai rien trouvé à redire à celles du Roi, au contraire; mais à celles du loup beaucoup. Je sais bien qu'il peut lui arriver des accidents aussi bien qu'à vous, mais il en peut arriver plutôt quand on y va plus souvent, et quand ce sont des chasses au courre depuis le matin jusques au soir. Je sais bien aussi que quand on y va tous les jours on n'étudie point*, et qu'outre les accidents, il est bien difficile de ne pas tomber malade. Mais comme cela vous regarde de plus près que moi, aussi bien que le soin de son éducation, vous ferez de vousmême les réflexions que vous jugerez à propos, et je me dispenserai de vous en rien dire jusqu'à ce que vous m'en priiez. » (Archives du Musée Condé.) Les chasses du loup (ou du sanglier) étaient les chasses que faisait presque tous les jours le Dauphin. Le Roi d'ordinaire courait le cerf le matin; il suivait la chasse en calèche, et les princes étaient à cheval. Après dîner, Louis XIV tirait dans le parc. La cour, partie de Chambord le 27 septembre, arriva le 30 à Fontainebleau. Le Roi donna au duc de Bourbon le logement qu'avait précédemment occupé M. de Bouillon, et la Duchesse fut placée dans celui du maréchal de Villeroy. (Journal de Dangeau, tome I, p. 225).

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1. C'est au mois de mai 1685 que le doge de Gênes, accompagné de quatre sénateurs, était venu faire à Versailles les soumissions qu'avait exigées Louis XIV. Le duc de Bourbon était à côté de son père, le jour où ce dernier reçut la visite du Doge : cette visite eut lieu le 14 mai.

*Ne est omis. L'autographe porte : « on étudie point. » — Quatre lignes plus bas, il y a priez, pour priiez.

république, que je lui expliquerai en détail, mais pourtant fort succinctement et sans retarder le cours de notre histoire ordinaire et qui fait la marche de nos études. Il a présentement assez d'application, et telle que j'en suis content. Dès que je le serai moins, vous en serez aussitôt averti; je le lui fais entendre ainsi de temps en temps. pour me faire écouter. Je ne desire rien au monde plus fortement que de pouvoir lui être utile par mes soins, et vous persuader que je suis avec tout le respect que je dois,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur,

Delabruyère.

Au dos A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince, à Chantilly.

IX

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

Ce 22 octobre au soir, à Fontainebleau.

MONSEIGNEUR,

Il y a trois jours que nous avons achevé d'écrire la vie de Louis XII; je la répète encore une fois à Monsieur le duc de Bourbon, afin qu'il la sache mieux. Je ne le ferai plus écrire et commencerai à lui faire lire les mémoires à François I, pour suivre cette pratique dans les suivants jusqu'à celui-ci. J'assure Votre Altesse Sérénissime qu'il est appliqué et que j'en suis content. Il apprend par cœur

les généalogies et la géographie. Je suis avec un profond

respect,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur,

DELABRUYÈRE.

Au dos A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince, à Chantilly.

X

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

[Ce 28 octobre 1685, à Fontainebleau.]

Je crois que Votre Altesse Sérénissime est informée que les études de Monsieur le duc de Bourbon sont fort régulières à Fontainebleau. M. Sauveur travaille avec lui tous les matins, depuis dix heures jusques à onze; les Révérends Pères1 et moi alternativement tous les matins, depuis onze heures jusques à midi et demi. J'ai outre cela toutes les après-dînées, où je travaille deux heures, depuis trois jusques à cinq, avec Son Altesse: ces après-dînées sont consacrées à l'histoire; et les matins, un jour à la géographie jointe aux gouvernements, l'autre jour aux généalogies et à la fable: cela sans interruption, ainsi que Monsieur le Duc l'a ordonné. Nous parlâmes hier, dans notre entretien de l'après-dînée, de la

1. Le P. du Rosel et le P. Alleaume.

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